Mais l'œil qui fait du mal ou qui tue n'est pas seulement celui de l'animal, c'est aussi et, dirait-on surtout, celui de l'homme. C'est le mauvais œil, croyance universelle au pouvoir de certains hommes et femmes de provoquer la maladie ou la mort. C'est la jettatura des Italiens ou le «ayn» des Arabes : jet de mauvais sort chez les premiers et tout simplement «œil» chez les seconds. Dans les croyances maghrébines, le mauvais œil n'est pas toujours provoqué intentionnellement : il suffit que l'on envie quelqu'un, voire même qu'on le trouve beau ou intelligent, pour lui jeter le mauvais œil. La convoitise, le désir de posséder ce que l'autre a et que l'on a pas, explique cette puissance du regard : ce que l'on n'a pas, on le détruit chez l'autre ou on le lui enlève dans l'espoir de le posséder. Les louanges sont toujours mal perçues parce qu'on croit qu'ils comportent toujours une part de convoitise : c'est pourquoi celui qui loue doit, pour montrer qu'il n'a pas l'intention de nuire, récite une formule de bénédiction : «Allah ibarek, que Dieu bénisse !» et celui qui est loué, pour conjurer le mauvais sort potentiel, récite une formule propitiatoire : «Je me réfugie auprès de Dieu contre Satan le lapidé» ou, tout simplement : «khemsa fi ‘âynek, cinq dans tes yeux !». Cinq, c'est-à-dire les cinq doigts de la main tendus vers le flatteur, étant le chiffre préservateur par excellence. On confectionne des talismans spéciaux contre le mauvais œil et on porte des objets préservateurs comme les cauris. On dessine également des mains, avec un œil au milieu, sur le fronton des portes pour repousser le mauvais œil.