Jetée en l?air, entre le plafond noir de fumée et la table de travail tout en marbre, la rondelle de pâte fait deux ou trois tours puis retombe comme un lourd fardeau entre les mains. Le garçon prend un malin plaisir à faire des acrobaties. Et cela plaît visiblement à la jeune fille adossée au mur, en train de croquer un morceau de pizza, enduit de h?rissa. L?air épaté de celle-ci donne des ailes au garçon. Devant une fille charmante, un pizzaïolo fait bien plus que ce qu?on lui demande de faire : préparer des pizzas. De la même manière, il refait le même geste deux fois. Du grand art. «Elle est bien votre pizza, je viendrai en manger tous les jours», promet la fille, en esquissant un sourire. «Merci tu seras la bienvenue», rétorque le garçon en prenant un certain plaisir à la tutoyer. Pas le moindre répit avec cette clientèle qui déferle. Sitôt sortie du four, la «galette» toute chaude garnie de chedar, est vite accompagnée d?une fraîche boisson gazeuse. Les mêmes gestes, les mêmes acrobaties, le pizzaïolo a acquis une certaine dextérité dans son travail depuis qu?il a quitté les bancs de l?école, voilà presque dix ans. «C?est une histoire de famille. Mon grand frère est pizzaïolo à El-Biar, moi j?ai suivi le même itinéraire quand j?ai échoué au bac !» L?aventure débute en 1995. «Pour éviter le chômage, j?ai dû commencer dans une gargote. Puis chez un restaurateur à la rue Ben M?hidi et c?est là que j?ai appris à préparer la pizza auprès d?un homme plus âgé que moi qui est d?ailleurs, aujourd?hui, grand pizzaïolo à Francfort». Ses longues pérégrinations l?ont mené partout à Alger avant d?atterrir, il y a cinq mois seulement, dans une pizzeria à la place Audin. Seule fausse note, son tablier est noir comme le plafond de sa bicoque. Ce qui ne semble nullement incommoder les consommateurs tant cette pizza bien garnie est succulente.