La langue d'Ahmed Ouyahia venait-elle de fourcher quand il cita comme source de fléaux et dangers l'afflux vers l'Algérie de migrants subsahariens ? Difficile de croire que, venant du chef du deuxième parti de la majorité, de surcroit directeur de cabinet du chef de l'Etat, l'homme n'émettait qu'un avis personnel. D'ailleurs, une semaine ne s'était pas écoulée que l'ancien chef de gouvernement et diplomate de carrière se vit conforté par deux autres hauts-responsables. Abdelkader Messahel, ministre des Affaires étrangères, abonda dans le même sens dans une déclaration quasiment similaire et documentée. Il sera suivi du chef de l'appareil du FLN, Djamel Ould Abbès, qui exprima un soutien inattendu, dans cette affaire, à Ahmed Ouyahia. Il se peut bien que la charge de l'homme fort du système contre le fléau migratoire de nos voisins subsahariens s'inscrive dans un jeu politique (flou et imprécis) dans la perspective de certaines échéances électorales. Ceci dit sans certitude. Mais les différentes réactions, très peu amènes pour la plupart, qui ont suivi le tir d'Ahmed Ouyahia, pourraient être la traduction de divergences, au sein des structures et appareils du pouvoir, sur la politique migratoire des autorités. L'aspect sécuritaire, dans le contexte régional et sécuritaire actuel, met bien en exergue les dangers potentiels qui s'attachent aux flux incontrôlés des personnes le long des frontières de l'Algérie. L'Europe elle-même, comme on l'a vu en 2015 et 2016, n'a pas pu empêcher que dans les flots de réfugiés qu'elle a laissés franchir ses frontières se mêlent de vrais terroristes venus de Syrie. Paris et Bruxelles se souviendront longtemps de la terreur que ces derniers ont semée dans les aéroports et les grands quartiers touristiques. En ce qui concerne l'Algérie, et à en juger par les seuls communiqués du ministère de la Défense, il parait indéniable que les frontières méridionales et orientales de notre pays, lesquelles s'étendent sur des milliers de kilomètres, servent de transit à des terroristes et des contrebandiers qui ne répugnent pas à faire commerce des armes, de la drogue et d'autres produits prohibés. Sans oublier cette autre abomination qu'est la traite des êtres humains, ceux-là mêmes qui peuplent les quartiers mal famés des villes algériennes et se débrouillent comme ils peuvent. Si la langue d'Ahmed Ouyahia n'a pas fourché, dès lors qu'il a parlé d'un problème réel, ses choix sémantiques pour le dire ont cependant fait qu'ils ne pouvaient que soulever un tollé entre réprobation et condamnation. Tout cela a un sens : l'Algérie a besoin de redéfinir sa politique migratoire. Et c'est ce qui est en train d'être fait, selon les propos du Premier ministre, M. Abdelmadjid Tebboune. A la lumière des données objectives des constats livrés par la situation aux frontières et des prémices observables au-delà de celles-ci, le risque sécuritaire constituera probablement l'essentiel de l'exposé des motifs des lois et règlements à venir. L'Algérie, on l'a compris, s'apprête à légiférer et réglementer dans ce domaine plus que sensible. Il est à espérer qu'elle le fasse sans se couper de sa profondeur africaine et tout en faisant revivre l'héritage - plus qu'un simple souvenir- des liens puissants qui l'unissaient à un continent pour qui elle était l'exemple à suivre. Ces liens, qu'on le veuille ou non, se sont distendus au fil des années et «l'Algérie, Mecque des révolutionnaires», n'est plus qu'un slogan tombé en désuétude. A quand une «Année de l'Afrique en Algérie», ne serait-ce que pour raviver l'esprit du Festival panafricain qu'elle abrita en 1969 et qui fut un succès grandiose, notamment en révélant une de ses dimensions consubstantielles : l'Africaine ? L'Afrique avait répondu présent, à l'Algérie, désormais, d'y aller. A. S.