Photo : Riad De notre correspondant à Tizi Ouzou Lakhdar Siad La région de Kabylie a cette autre particularité née durant la dernière décennie : le marché immobilier a flambé et est hors de portée des salariés et même des «cadres» et l'offre en la matière est loin d'apaiser l'impatiente demande. «Un appartement F3 au premier étage à la cité 600 logements de la nouvelle ville de Tizi Ouzou coûtait en 2004 220 millions de centimes et son prix actuel est de 450 millions de centimes ; les prix ont doublé en l'espace de quatre ans seulement», rapportent des gérants expérimentés d'agences immobilières dans la wilaya de Tizi Ouzou qui parlent d'inflation excessive des tarifs de vente et de location. Par exemple, la location d'un appartement F3 à la nouvelle-ville s'élève à pas moins de 13 000 DA par mois, «prix qui n'est pas à la portée d'un salarié moyen touchant au maximum deux fois le SMIG, c'est-à-dire 20 000 DA». L'offre dépasse de très loin la demande. Pourquoi ? Le phénomène de l'exode des villages de montagne vers le chef-lieu de wilaya de Tizi Ouzou revient dans la bouche des agents immobiliers interrogés sur le sujet. Beaucoup de personnes, notamment les salariés vivant en couple ou les couples dont le mari ou la femme a décroché un emploi à Tizi Ouzou ville ou dans la périphérie recherchent le plus souvent un logis non loin du lieu de travail. Une situation qui renseigne sur le chômage endémique ravageant les localités kabyles où des élus donnent le taux d'environ 60% de chômeurs dans une région dominée par la jeunesse de sa population active alors que les autorités affichent un taux de promesse électorale irréel de moins de 11% pour ne pas remettre en cause leur politique inefficace de développement. La grave situation sécuritaire qui sévit en Kabylie depuis plus d'une décennie a fait que beaucoup de familles préfèrent abandonner leur maison située plus particulièrement dans les régions sud et sud-ouest de la wilaya de Tizi Ouzou pour fuir la violence et le racket de groupes terroristes armés activant même en plein jour. «L'insécurité a fait déplacer des centaines de pères de famille qui viennent trouver refuge tout près du chef-lieu de wilaya où ils espèrent survivre sans la peur au ventre ; ces familles ont opté pour cette solution extrême, laissant derrière elles leurs biens familiaux pour ne pas mourir du fait terroriste étant sans protection ou aide», explique M. Akili, agent immobilier bien établi à Tizi Ouzou. Pour lui, la cherté de l'immobilier dans cette wilaya est aussi induite par l'absence d'appartements de type studio ou F2 pour répondre aux besoins de plus en plus pressants et en nette augmentation de jeunes couples ayant quitté le giron familial pour vivre plus à l'aise et dans des conditions moins contraignantes. «La société a changé et la politique du logement instaurée par les pouvoirs publics est restée figée ; on n'a pas suivi l'évolution des comportements sociaux au niveau des plans de résorption de la crise du logement qui est malheureusement toujours d'actualité dans le pays, notamment au Centre», commente M. Akili. D'autre part, les constructions illicites et l'anarchie urbanistique qui ont progressé naturellement et rapidement à l'ombre des événements terroristes qu'a subis la Kabylie durant des années ont fait que beaucoup de propriétaires ne peuvent plus continuer d'exploiter longtemps dans la clandestinité leurs biens immobiliers. C'est l'avis de Mohand Akli Nebbali, gérant de l'agence immobilière Idir depuis le début de 1992. «Parce que la construction illicite ne respecte pas les normes, son propriétaire ne peut pas vendre ou louer ; dans ce cas, si la loi est acceptée, le propriétaire ne peut pas se faire délivrer un certificat de conformité par les services concernés de wilaya afin de jouir pleinement de sa construction pour non-respect des normes ; je tiens à souligner le laisser-aller des brigades de suivi de la construction qui passent à côté de leurs prérogatives et de leurs missions, pénalisant ainsi tout l'environnement et l'esthétique de la ville avec les dégâts que l'on constate tous les jours même au cœur du chef-lieu de wilaya de Tizi Ouzou», relève M. Nebbali qui insiste sur le «fléau» de l'exode des villages déshérités vers la ville ou la périphérie de Tizi Ouzou en raison de l'insécurité qui menacent des centaines de familles de ces régions où des groupes armés portent atteinte à l'intégrité physique et aux biens des personnes dans des séries d'incursions terroristes quotidiennes.L'autre facteur qui fait grimper de façon vertigineuse le loyer à Tizi Ouzou est celui du parc immobilier inoccupé dans l'indifférence totale des autorités à l'échelle nationale et régionale. Rien qu'en ce qui concerne les logements inoccupés, l'Algérie en compterait plus de 1,5 million sans les autres composantes du parc immobilier, selon des chiffres rendus publics il y a quelques jours par la Fédération nationale des agents immobiliers (FNAI). «Le parc immobilier entre appartements, sous-sol… dans la wilaya de Tizi Ouzou est trop important pour qu'il soit négligé dans la perspective du règlement de la grave crise du logement qui prévaut aujourd'hui dans cette région ayant connu des transformations sociologiques capitales, notamment ces dernières années ; si la majorité des propriétaires de logement acceptaient de louer leur appartement, on réglerait facilement le problème du loyer à Tizi Ouzou», affirme M. Akili. Mais pourquoi ces propriétaires d'un ou de plusieurs appartements ne louent-ils pas ? Un ancien agent immobilier donne son explication : la majorité écrasante de ces propriétaires immobiliers ont de l'argent, vivent très à l'aise, ici au pays ou à l'étranger et n'ont pas par conséquent besoin de rentrées d'argent supplémentaires pour vivre heureux ; certains ne louent pas pour ne pas divulguer l'ampleur de leurs biens immobiliers et d'autres ont usé de prête-noms pour s'octroyer plusieurs appartements et ne voudraient pas des tracasseries ou couacs qui pourraient survenir lors de l'établissement du contrat de location ou de vente de peur de perdre leurs biens. Une catégorie de ces propriétaires choisit de louer sur parole leurs biens immobiliers à des personnes amies ou proches de la famille pour échapper à la loi. Cependant, elle constitue une infime minorité pour qu'il y ait une incidence notable sur la baisse de la demande de location ou de vente de logements à Tizi Ouzou. Notre interlocuteur donnera en exemple ce fonctionnaire de la wilaya de Tizi Ouzou qui a bénéficié de trois appartements «sans payer le moindre sou» et qui n'est nullement tenté par la location et encore moins la vente de l'un de ses appartements. «Le fonctionnaire pense qu'il n'a rien à perdre ou à gagner en louant ou en vendant ses appartements inoccupés, étant dans l'aisance, loin du besoin», témoigne-t-il. Pour libérer ces biens immobiliers inoccupés soit par le biais de la vente, de la location ou à la rigueur de l'exploitation, l'Etat doit jouer le premier rôle, selon des responsables d'agences. Comme première étape, ces agents proposent l'instauration d'une forte taxe sur les biens immobiliers inexploités et de revoir à la baisse les taxes dont sont redevables les «naïfs» propriétaires immobiliers qui soumettent leurs biens à la loi du marché et aident ainsi à soulager nombre de demandeurs. La proximité de la capitale Alger (qui s'y frotte s'y pique, dit-on) provoque une mécanique commerciale rodée d'alignement des prix qui sont traduits par les mêmes barèmes. «Alger est connue pour l'inflation des prix des biens immobiliers et, par ricochet, la wilaya de Tizi Ouzou qui est théoriquement à une heure de route (si on oublie les insupportables embouteillages sur l'autoroute) subit cette situation désavantageuse ; il s'agit d'un impact négatif qui nuit beaucoup à la demande au niveau de la wilaya de Tizi Ouzou», estime M. Nebbali qui montre du doigt le «désengagement» de l'Etat dans le règlement des problèmes du foncier et plus particulièrement le logement. «L'Etat ne construit pas, il s'est complètement désengagé du domaine, il n'arrive même pas à constituer des assiettes foncières pour la construction d'immeubles à usage d'habitation, de même pour les APC et les banques qui refusent d'acquérir des portefeuilles fonciers ; les banques peuvent créer une sorte de fonds national des agences immobilières comme ça existe en France par exemple, une banque spécialisée rien que pour les agences immobilières», propose-t-il par ailleurs. Cela dit, des agents immobiliers espèrent qu'avec l'opération de cadastrer l'ensemble du territoire il sera plus facile de prendre en charge les problèmes du foncier posés actuellement. «A la fin de l'opération du cadastre, un livret du foncier sera adopté pour permettre de distinguer la nature des propriétés et de délivrer en conséquence les documents justes pour la régularisation définitive des biens immobiliers», projette M. Akili qui soutient qu'à l'heure qu'il est beaucoup de coopératives n'ont pas d'acte de propriété, contrainte qui ne favorise aucune des parties en jeu dans l'immobilier.