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«Les Kabyles ne doivent pas oublier la dimension méditerranéenne de leur identité» Ameziane Kezzar, auteur des textes des Chants des marins kabyles (Izlan Ibahriyen) :
Entretiens réalisé par notre correspondant à Tizi Ouzou Lakhdar Siad LA TRIBUNE : Comment est née l'idée des Chants marins ? Ammeziane Kezzar : L'idée des chants marins est née pendant l'été 2003. C'était à l'île d'Yeu. Mon amie et moi avions assisté une nuit à un concert des Tribordais, un groupe de l'île, dans un bar de marins, chez Tintin, et j'ai beaucoup aimé. Après cela, j'ai pensé à l'adaptation de ces chants en kabyle. Pourquoi avez-vous choisi les chants marins ? Pour plusieurs raisons : je crois qu'en Kabylie les gens se désintéressent de la mer au point que même les artistes venant des villes et des villages côtiers se refusent à chanter la mer. Cependant, nous ignorons tout d'elle : sa beauté, sa puissance, ses bienfaits, ses richesses… Je dirais même que nous la redoutons. Souvenez-vous, il n'y a pas si longtemps, nos vieux, les légendes aidant, nous enseignaient que la mer est un gouffre sans fond ; que dans ses profondeurs se cache l'hydre à sept têtes ; que la mer mange les hommes… Tout cela nous a éloignés de la mer. Pour nos proches ancêtres, la mer n'est qu'un monstre avaleur. Ce n'était pas le cas de nos lointains ancêtres ? Il y a 5 000 ans, les Libou, que les Grecs ont appelés Liboué, vocable devenu plus tard Libyens, qui signifie Les peuples de l'eau», ont régné en maîtres pendant longtemps sur la Méditerranée, période appelée d'ailleurs «Zzman bb waman». Selon Pausanias, historien grec, le Libyen Sardus, père fondateur de la Sardaigne, fut le premier à conquérir l'île avec ses marins. Sans oublier que Poséidon, dieu de la mer, est de chez nous. Beaucoup de textes anciens, dont ceux d'Hérodote, l'attestent. Ne pensez-vous pas qu'il est important de rappeler ce passé marin aux Kabyles ? Absolument. Il ne faut pas que les Kabyles oublient la dimension méditerranéenne de leur identité. N'avons-nous pas partagé cette mer avec de grands peuples dans l'Antiquité, en l'occurrence les Romains, les Phéniciens, les Egyptiens et les Grecs ? Il faut que la Kabylie réintègre culturellement cet espace qui est naturellement le sien. La mer Méditerranée représente beaucoup pour nous, elle est notre miroir et reflète à la fois notre passé et notre avenir. Pensez-vous que ces chants contribueront à réconcilier les Kabyles avec la mer ? Ce serait démesuré de ma part de prétendre à cela. Mais si ces chants aident à faire parler de la mer en Kabylie, ce serait déjà énorme. Revenons à ces chants. Sont-ils exclusivement bretons ? Il y a des chants américains, anglais, irlandais, bretons, vendéens… Vous savez, les chants marins voyagent au rythme des bateaux. Nous avons remarqué que dans le 1er volume, il y a beaucoup de chansons à boire. Est-ce le cas dans les 3 prochains albums ? Les chants racontent la vie des marins : leurs amours, leurs joies, leurs douleurs, leurs souffrances… Les marins chantent et boivent pour mieux affronter le monde de la mer, pas toujours clément. Comment avez-vous réussi à adapter ces chants en kabyle, sachant que la marine est actuellement quasi inexistante en Kabylie ? J'ai rassemblé le maximum d'ouvrages et de documents traitant de la mer et du lexique marin dans les régions berbérophones, notamment au Maroc, et à partir de là, j'ai constitué mon corpus et j'ai commencé à adapter. Je remercie au passage mon ami Mohand de Tigzirt qui m'a beaucoup aidé. C'est un pur bonheur que de l'écouter parler de la mer. Avez-vous eu tout de suite l'idée de qui les chanterait plus tard ? Pas du tout. Nous avons tenté de les interpréter tant bien que mal avec quelques amis, mais l'expérience s'est avérée peu encourageante. J'ai tenté d'autres castings avec d'autres voix, idem, jusqu'au jour où j'ai rencontré l'inégalable Cheikh Sidi Bémol. Un vrai marin celui-là. Etes-vous satisfait de son interprétation ? Absolument. Cheikh Sidi Bémol est de ces interprètes qui ne se contentent pas d'interpréter les mots, mais le sens des mots. C'est à cela qu'on reconnaît les grands interprètes. D'autres projets marins ? Oui. Des amis et moi sommes en train de créer une association dont le but est de promouvoir le patrimoine culturel de la mer Méditerranée. Nous sommes en train de contacter des gens en Grèce, en Italie, en Espagne, en France… Le but de notre association est de redécouvrir ensemble notre passé antique et de promouvoir des projets d'avenir relatifs à notre région, car, comme dirait l'autre, la Méditerranée n'est pas uniquement une mer, mais une patrie. Avez-vous déjà reçu des échos des pays que vous avez cités ? Oui. Les personnes que nous avons sollicitées sont très favorables à notre projet. Dernièrement, j'ai discuté avec un artiste athénien qui trouve l'idée très riche. Il m'a promis d'en parler autour de lui, notamment aux artistes et aux universitaires de son pays. Cet artiste connaît très bien la Kabylie. Il m'en a beaucoup parlé. Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur votre association ? C'est encore trop tôt. Nous avons l'intention de lancer le projet en octobre. Nous aurons sûrement l'occasion d'en reparler.