Photo : Riad Par Samir Azzoug «On habite dans des immeubles qui s'effritent. Que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur, le danger est partout», s'alarme un jeune habitant des Groupes du 1er Mai à Alger. Des escaliers dignes des films d'horreur, des façades fissurées, délabrées avec des pans entiers manquants, la scène ne se résume pas seulement aux immeubles du Champ de Manœuvre d'Alger. Tous les quartiers de la capitale, sans distinction, sont concernés. «Cela devient dangereux. Il y a quelques semaines, un gros morceau de balcon est tombé sur un véhicule en stationnement, brisant sa lunette arrière. Bien heureusement, il n'y avait personne dedans, et les gravats ne sont pas tombés sur un passant. C'est un miracle, car la rue est très fréquentée», se rappelle le trentenaire. La problématique du vieux bâti ne semble pas connaître son épilogue. Le sujet, cyclique, est sensible. Y mettre un terme nécessite des moyens financiers et humains importants et implique des décisions tranchées. L'Algérie a 2 millions de logements précaires. Plus de 550 000 recensés officiellement. C'est 8% du parc national. Selon un recensement récent effectué par les services de la wilaya d'Alger, il y aurait plus de 250 immeubles (il s'agit bien d'immeubles et non de logements) qui présentent une menace pour leurs habitants. Dans une ville sujette aux catastrophes naturelles, séismes et intempéries, le risque est grand. Il faut dire que dans la capitale algérienne, un nombre important de bâtisses date de l'ère coloniale. Le défaut d'entretien, qui aura duré des décennies, a accéléré considérablement l'état de délabrementde ces bâtisses. Pourtant, l'effondrement des immeubles ou d'une de leurs parties constituerait presque un phénomène courant. Un fait qui obligea le gouvernement dès 1980 à engager un programme de réhabilitation de sept grandes agglomérations (Annaba, Skikda, Constantine, Blida, Oran et Sidi Bel Abbès). S'ensuivra, en 1981, le régime de la copropriété qui restera sans effet car ne situant pas les responsabilités ni les droits et devoirs. Le séisme de Boumerdès, avec son lot de malheurs, remettra le sujet sur le tapis et mettra à nu la vétusté des bâtisses qui constituent les grandes villes du pays. Une opération de diagnostic touchant 195 000 logements est lancée à Alger, Annaba, Oran et Constantine. Cette année, le ministre de l'Habitat annonçait qu'un programme de prise en charge toucherait près de 85 000 logements précaires concentrés dans quatre villes (Alger, Annaba, Oran et Constantine). En septembre dernier, la wilaya d'Alger annonçait le lancement d'une opération de réhabilitation du vieux bâti, dénommée «Plan Blanc», étalée sur quatre ans avec une enveloppe de cinq milliards de dinars allouée. En pleine opération d'éradication des bidonvilles et de relogement, Alger est confrontée à un autre défi : celui de l'éradication du vieux bâti. Une action sujette à polémiques. Car avant de s'engager dans une telle démarche, plusieurs points sont à éclaircir. Ces constructions fragiles doivent-elles être démolies ou réhabilitées ? Si la première option est retenue, où loger les locataires des lieux dans un pays qui souffre d'une insuffisance chronique en matière de logements ? Surtout que, selon les chiffres officiels, plus de 85% des sites recensés appartiennent à des privés. Faudra-t-il les dédommager ? La démolition des 250 bâtisses répertoriées permettra de récupérer une superficie globale de plus de 60 000 m2 dans une zone où le mètre carré vaut son pesant d'or. Qui en profitera ? Dans le cas où la seconde option est choisie, la réhabilitation, le challenge devient plus problématique. Sachant qu'une telle opération est, dans la plupart des cas, plus compliquée, plus coûteuse et plus lente que la démolition et la reconstruction en même temps, il s'agira de trouver des entreprises capables de relever un tel défi. Et elles ne courent pas les rues. Une alternative pourrait, toutefois, alléger la facture. C'est la contribution des citoyens (propriétaires et habitants) dans ces opérations de réhabilitation, de maintenance et d'entretien. Mais dans cela aussi, le citoyen a son mot à dire. «Si c'est pour réparer les canalisations défectueuses à l'intérieur des immeubles, nettoyer la cage d'escalier ou même refaire l'étanchéité du toit, on a l'habitude de se cotiser entre voisins pour effectuer les travaux. Mais qu'on nous demande de refaire les façades, les marches des escaliers ou la peinture extérieure et les balcons, c'est hors de nos moyens», explique Hamid, membre d'un comité de quartier très actif dans une cité populaire à El Biar. «Notre comité se réunit régulièrement. On fait ce qu'on peut pour assainir notre espace de vie, mais les autorités locales ne nous facilitent pas les choses», déplore-t-il en pointant du doigt les services concernés. «On n'a que des promesses non tenues. Et les voisins, qui pour la plupart sont de simples salariés, commencent à éviter les membres du comité. A trop solliciter leur portefeuille, ils finissent par être boudés», déplore-t-il. Finalement, le problème du vieux bâti en Algérie est sensible et complexe. Y mettre un terme nécessite une véritable politique claire, volontaire et globale, un recensement efficace répondant à des normes strictes et un traitement au cas par cas. Et puis qu'on mette un échéancier, même si c'est pour 2080. Un ultimatum. Dire qu'après avoir annoncé les mesures jugées adéquates en situant les responsabilités, on décide que toute bâtisse non réhabilitée sera détruite. Chacun saura à quoi s'en tenir car des vies humaines sont en danger.