Photo : Riad Par Youcef Salami En ce début de mois de Ramadhan, l'envolée des prix de produits de large consommation fait l'actualité. C'est la même rengaine chaque année. Mais qu'en pensent les consommateurs ? Leur avis est unanime : c'est «cher». Une opinion pondérée ? La mercuriale des prix d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celle d'il y a dix ans, ou un peu plus, que le mode de consommation des ménages ait quelque peu changé ou que la valeur du dinar ait été laminée. Ami Ali, un retraité des postes et télécommunications, rencontré au marché de Badjarrah se souvient de l'ambiance des marchés dans le temps : tout a changé, le couffin et le filet ont fait place au plastique et nylon (allusion aux sachets noirs), la «baraka» s'est envolée par l'appétit gargantuesque des uns et des autres, les prix s'enflamment… Par le passé, ajoute-t-il, l'entraide, la mansuétude étaient des valeurs sûres, respectées, portées par des gens simples, à Alger comme dans d'autres régions. Tout a été perverti aujourd'hui, ce qui se passe dans nos marchés n'est qu'une facette d'une décadence généralisée, explique-t-il. Des Algériens s'entretuent, s'entredéchirent, c'est intenable, s'indigne-t-il. «Que ce brasier cesse», implore-t-il. Notre interlocuteur ne s'est pas départi du couffin fait à la main. Il fait ses emplettes à Badjarah, un marché réputé pour ses bas prix (c'est relatif). «Chaque jeudi, je fais mes courses ici, rencontre mes amis pour discuter», dit-il. «En dehors du Ramadhan, les prix sont relativement abordables», estime-t-il. Badjarah, un marché où les sans registres du commerce se mêlent aux commerçants légaux, ne fait pas ainsi exception. Pendant le mois sacré, tous les commerçants veulent se remplir les poches, le climat s'y prête. Il est vrai que tout se vend et tout s'achète durant ce mois, sans retenue. Une demande assez importante, dont les commerçants tirent le maximum de gains. C'est «légitime», décrète un commerçant. Dire que les prix sont élevés et attribuer l'enfièvrement aux commerçants et aux détaillants, c'est quand même exagéré. En fait, c'est l'argument brandi, chaque fois qu'il est question du prix. Détaillants et grossistes se renvoient la responsabilité. Ramadhan ou non, Badjarah grouille de monde, vu les prix pratiqués, note un commerçant. Toutes proportions gardées, la mercuriale est plus clémente à Badjarah, à Belcourt, à Bab El Oued, ou à Boumati, en comparaison de Chéraga, d'El Biar, de Ouled Fayet, ou encore de Staouéli, pour ne citer que ces localités-là. Dans ces marchés huppés, les tarifs s'envolent à l'année ; certains produits sont quadruplés. Le paradoxe est que les habitants de ses régions ne sont pas tous des riches. Dans ces marchés, on trouve de tout, comme d'ailleurs dans les marchés «bas de gamme». Ici, les gens achètent, ils ne discutent pas le prix, indique un commerçant à Chéraga. Pour lui, la comparaison entre marchés et régions est incongrue, par exemple, entre les fruits et légumes de Staouéli et ceux de Ouargla. Qu'à cela ne tienne, notre interlocuteur dit-il vrai ? Les commerçants s'entendent à merveille sur les prix, élevés de surcroît, pendant le mois sacré. Et, rares sont ceux qui maintiennent les prix d'avant Ramadhan. Une réalité connue de tous, répandue aussi bien dans les petites villes que dans les grandes. La situation dans laquelle se débattent les marchés, de manière générale, est due à l'anarchie régnant dans le commerce. L'Etat en est responsable. La question des prix élevés est, certes, cruciale, surtout pour les ménages aux bas revenus, mais, cela ne doit pas focaliser l'essentiel : créer des marchés bien organisés, propres, gérés par des structures compétentes, comme on en trouve dans beaucoup de pays. L'Etat doit s'attaquer aux prix exorbitants, dans une stratégie globale qui consiste à réguler les activités commerciales de manière que le consommateur et le commerçant ne s'affrontent pas, que la spéculation soit bannie, que le fardage cesse et que la disponibilité des produit soit une des priorités majeures de l'Etat, de manière permanente. Est-ce un objectif inaccessible ? Chaque année, à l'approche du mois de Ramadhan et de la rentrée sociale, les différents gouvernements font entendre le même refrain : l'Etat va contrôler davantage les marchés, il y aura suffisamment de produits, importés ou locaux, sur les étals… Que de paroles en l'air, que de promesses, disent les plus pessimistes. C'est vrai, l'Etat n'arrive pas à traduire dans les faits ses engagements. Du coup, sa crédibilité s'effiloche. Et cela ne sera pas à son avantage. L'année dernière, la pomme de terre avait fait débat. Elle se vendait à cent dinars. Du jamais-vu d'après les consommateurs. Un Conseil des ministres s'était tenu pour traiter ce problème. Résultat des cours, les mesures prises en vue de juguler la crise n'y avaient rien changé ; l'Etat en avait pris un sérieux coup. Nos gouvernants semblent être en panne de vision. Dans ce cas, n'est-il pas judicieux de copier ce qui fonctionne le mieux, en termes de marchés, d'approvisionnement et de prix, dans certains pays. Que le prêt-à-porter ne soit pas forcément la bonne formule. Un pays voisin a, par exemple, inondé les marchés, à l'approche du mois sacré, comme les dattes, un fruit prisé pendant ce mois. Conséquence, les commerçants ont du mal à écouler leurs produits, ce qui se traduit par une baisse sensible des prix. D'aucuns diront que c'est un piétinement des lois du marché. Si celui-ci sert le portefeuille des ménages, cette entorse est à prendre du bon côté.