De notre correspondant à Tizi Ouzou Malik Boumati Indéniablement, la musique festive est en train de perdre du terrain sur la scène artistique algérienne, en général, et kabyle, en particulier. C'est une évolution palpable et visible à l'œil nu mais elle reste encore timide du fait probablement qu'elle touche une nouvelle génération de jeunes qui refusent de baigner dans le léger et le festif. A voir les tendances du moment chez les adolescents et autres jeunes adultes, on se dira convaincu que l'ère de la chanson kabyle légère et même la chanson raï sont en déclin, notamment dans la wilaya de Tizi Ouzou où les jeunes sont plutôt branchés loin de ces chansonnettes médiocres et sont aussi exigeants en termes de qualité, pas seulement des textes mais surtout de la musique. Parce que, pour les jeunes générations d'aujourd'hui, une chanson qui ne présente pas un solo spécial à la guitare, au piano ou même au saxophone ne mérite pas d'être écoutée. Pour ces jeunes, ce sont quelques petits détails qui font la différence dans une œuvre musicale. «Pour moi, s'il n'y a pas un jeu de saxophone, il n'est pas question que j'écoute la chanson», dit Ahmed, un lycéen de 18 ans qui montre son intransigeance en s'exprimant avec la main et le bras non sans préciser qu'il n'est «pas question d'écouter aussi des textes nuls chantés par des artistes nuls, comme il y en a à gogo ces dernières années». Amine est un ami de Ahmed et tous les deux font partie d'un groupe de jeunes amis dont le sujet de discussion principal reste la musique. Amine fera savoir que le seul artiste de la région qu'il écoute est Ali Amran qui «a su mélanger la culture locale avec la musique occidentale. C'est lui qui représente l'universalité dans la chanson kabyle d'aujourd'hui». Les deux compères voient aussi les paroles de l'artiste Ali Amran comme «de beaux textes qui transmettent des messages intéressants à ceux qui les écoutent». Et à part Ali Amran et probablement d'autres artistes pas très nombreux comme Cheikh Sidi Bémol, les jeunes d'aujourd'hui comme Ahmed et Amine ne se gênent pas du tout pour regarder vers les pays occidentaux où ils trouvent leurs différents goûts. Nos deux interlocuteurs citeront une série de chanteurs et autres groupes de musique inconnus parmi les mélomanes traditionnels. Entre rap, tous genres confondus, et différentes facettes du rock, les jeunes d'aujourd'hui ont l'embarras du choix, selon les goûts mais aussi selon les humeurs et les états d'âme. Même la techno et la dance music qui ont fait danser les jeunes durant les années quatre-vingt-dix à la même période que la chanson kabyle rythmée et le raï, ont été abandonnées par les nouvelles générations de jeunes qui n'hésitent pas à traiter de «has been» les adeptes de ces styles de musique, même s'il n'y a pas plus de dix années entre elles jeunes. Il y a bien évidemment ceux parmi les jeunes qui tiennent encore aux idoles de leurs parents et parfois même grands-parents, comme Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui, Lounes Kheloui, Cherif Kheddam et même Lounes Matoub et Lounis Aït Menguellet. Et beaucoup de ceux qui apprécient les artistes occidentaux se disent fans des artistes traditionnels de la région. Ils se disent également fans des artistes européens et américains qui ont fait les beaux jours de la musique occidentale durant les années soixante et soixante-dix. Une sorte de retour aux sources qu'on veut vivre avec les idées d'aujourd'hui. Et à croire la nouvelle génération de jeunes, les jours de la médiocrité dans la chanson sont comptés et, bientôt, les artistes seront contraints de s'adapter aux exigences des nouveaux mélomanes, s'ils veulent continuer à chanter et faire écouter leurs œuvres. Mais beaucoup de jeunes se plaignent de l'indisponibilité chez les disquaires des œuvres d'un certain nombre d'artistes, particulièrement occidentaux, pensant même que «les éditeurs et les disquaires sont en décalage avec la réalité musicale des jeunes d'aujourd'hui». «Heureusement qu'il y a Internet et certains sites proposant des chansons et même des vidéos très intéressantes», disent de nombreux jeunes branchés qui ne ratent jamais l'occasion de surfer sur le Net à la recherche de nouvelles chansons, de nouveaux artistes et de nouvelles sonorités. Les sites de partage vidéo Youtube et Dailymotion restent les meilleurs fournisseurs de musique pour les jeunes d'aujourd'hui et il n'y a qu'à faire un tour sur le réseau social Facebook pour se rendre compte des différents partages auxquels s'adonnent les nombreux jeunes internautes. Souvent c'est là que les jeunes découvrent des chansons ou des chanteurs mais dès qu'ils font un déplacement chez le disquaire, ils déchantent aussitôt notamment parce que certains disquaires ne connaissent même pas les artistes demandés . La donne a changé à Tizi Ouzou comme certainement dans d'autres wilayas du pays. Mais l'environnement peine à suivre cette évolution, ni les disquaires, ni les éditeurs, ni les artistes, ni tous les autres intervenants dans la vie quotidienne de la nouvelle génération ne la satisfont et elle risque de montrer ses crocs et ses griffes.