L'œuvre de Mohamed Leftah est révélée au lecteur par un coup de hasard. Après la publication de son premier roman, Demoiselles de Numidie, passé inaperçu, il a fallu attendre l'attention d'un lecteur invétéré, Salim Jay, pour le faire connaître puis sortir d'autres textes tels Au bonheur des limbes, Une fleur dans la nuit, Ambres ou les métamorphoses de l'amour, l'Enfant de marbre et le Jour de Vénus, etc.Une chute infinie est un exemple de ce singulier art d'écrire que pratiqua Leftah loin des feux de la rampe. Sans concession et avec finesse, cette petite chronique, comme le souligne l'auteur, est une prière qu'on a refusée à un jeune adolescent qui s'est donné la mort. «J'ai voulu, en mémoire d'un jeune condisciple qui s'est donné la mort devant nos yeux, qu'un professeur d'arabe ensevelit dans des versets vengeurs et auquel ma société a refusé la prière des morts», note Mohamed Leftah. Ecrit quarante ans après la mort de Khalid dont la mère, veuve, accusée d'adultère et dont la meute aboie la mort, ce livre rend compte de la réalité de Settat, «petite bourgade somnolant comme un lézard sous un ciel immuablement bleu, ensoleillé». Avec une écriture concise et détaillée, Leftah saisit la réalité marocaine dans sa complexité en s'intéressant de près à l'interdit, au non-dit, à la subversion en somme et donne à lire des fragments d'histoires imbriqués les uns dans les autres qui révèlent la complexité d'une société où le mépris, l'hypocrisie représentent des pesanteurs meurtrières. Cette écriture truffée de clins d'œil poétiques et littéraires révèle la singularité d'une œuvre qui capte «la grâce indicible» d'un adolescent que la société a suicidé comme parler comme Artaud.Parsemé des citations, clins d'oeil poétiques, de Rimbaud dont quelques poèmes accompagnent l'histoire jusqu'à Rilke – on peut dire que l'auteur s'est ingénieusement servi de passages de certains auteurs à la fois comme «décor» et aussi pour dire son affection donc les saluer –, ce texte est un plongeon «dans la mer d'éternité» puisque à travers le plongeon de Khalid – on a envie de dire que c'est orphée –, c'est un autre plongeon dans la réalité de Settat que Leftah effectue pour saisir dans la racine les dysfonctionnements d'une société intolérante, mais aussi un plongeon dans cette enfance dont le souvenir rend vivant Khalid et son royaume : l'enfance. A. L.