Le Nigeria a renoué avec les violences interreligieuses à l'occasion de la célébration des fêtes de Noël. Cette fois-ci, ce sont les extrémistes musulmans de la Secte des Boko Haram qui a commis un carnage en s'attaquant à plusieurs églises dans le nord du pays. Une centaine de personnes aurait été tuées dans les assauts sanglants des membres de cette secte qui se revendique d'Al-Qaïda et qui veut imposer la Charia au Nigeria comme seul mode de gouvernance. La secte a revendiqué ces attaques et celles commises durant ces derniers jours dans les villes de Damaturu et Potiskum, relavant de l'Etat Yobe, et à Maiduguri, capitale de l'Etat voisin de Borno. Ces deux Etats sont régulièrement secoués par les violences liées à la religion. En décembre 2010, les membres de Boko Haram ont commis le même type d'attaques contre les chrétiens du nord musulman durant la nuit de la célébration de Noël, faisant des dizaines de morts et des blessés. Quelques jours plus tard, un village musulman a été attaqué par des jeunes chrétiens en guise de représailles aux attentats commis contre plusieurs églises du centre du Nigeria. En novembre dernier, une dizaine de personnes a été tuée dans des affrontements entre chrétiens et musulmans dans la région de Barkin Ladi, dans l'Etat du Plateau. Cet Etat et sa capitale Jos, située à la lisière entre le nord musulman et le sud chrétien a connu des affrontements semblables qui ont coûté la vie à près d'un millier de personne en deux jours seulement. Et à chaque montée de la tension entre les deux communautés religieuses, les dégâts matériels sont aussi importants que les pertes humaines. Des maisons, des églises, des mosquées et des immeubles administratifs sont à chaque fois incendiés et détruits. Les attaques aux armes blanches et aux cocktails Molotov contre les bus font aussi leur lot de victimes dans les deux camps. Il faut noter que le nord du Nigeria est divisé en 16 Etats majoritairement musulmans. L'extrémisme religieux s'est propagé tellement vite que les autorités locales ont décidé de gouverner selon les principes édictés par la charia, la loi islamique. Ce qui constitue une violation de la constitution qui garantit la liberté de croyance au Nigeria. Le gouvernement nigérian à Abuja n'a jamais osé ouvrir le débat sur cette question par peur d'attiser les tensions entre musulmans et chrétiens. Mais aucune initiative n'a été prise pour mettre fin aux violations du droit et de la constitution dans ces provinces du nord, devenues le terreau des extrémistes religieux qui veulent imposer la charia au reste du pays. Le problème dépasse l'aspect religieux Pour certains religieux, aussi bien musulmans que chrétiens, l'origine des tensions n'a rien à voir avec la croyance et la foi. Les deux parties convergent vers une même vision mettant directement en cause l'Occident et ses relais en Afrique pour déstabiliser constamment le Nigeria dans le seul but de dilapider ses richesses sans qu'ils soient inquiétés. Le Nigeria est le premier producteur de pétrole en Afrique et le troisième à l'échelle mondiale. Mais la pauvreté touche des pans entiers de la société qui pataugent dans une extrême misère. L'on se rappelle tous de la guerre civile qui a fait entre un et deux millions de morts entre 1967 et 1970. Cette guerre connue sous le nom de guerre du Biafra, en référence à cette région sécessionniste du sud-est du Nigeria, riche en pétrole, avait éclaté pour des raisons purement sociales et économiques, sous couvert de conflit religieux entre chrétiens et musulmans. L'intervention militaire de l'occident, notamment de la France, aux côtés des autorités de Lagos (l'ancienne capitale du Nigeria), avait contraint les rebelles de cette province à déposer les armes. Depuis, on n'entend plus parler de la République du Biafra dont l'existence s'était limitée aux trois années de guerre sanglante. Le souvenir de cette période est donc resté dans la mémoire collective des nigérians, notamment chez certains religieux chrétiens qui ne veulent pas voir le pays s'embraser une nouvelle fois. «Nous savons très bien, dit-il, que le riche Occident n'est pas mené par un esprit chrétien. Il ne s'agit pas de christianisme et d'islam. Bien plus, si nous parlons de christianisme, peut-être les chrétiens devraient-ils lutter contre ce monde occidental, aussi injuste. Le Saint-Père lui-même l'a déclaré : la division entre riches et pauvres n'est pas la volonté de Dieu», a souvent déclaré l'archevêque d'Abuja, Monseigneur John Onaiyekan (né musulman mais converti au catholicisme) qui affirme que ce qui se passe au Nigeria est du domaine politique, social et économique. Mais pour certains membres de l'Eglise protestante, l'archevêque d'Abuja veut seulement éviter un éventuel accrochage avec les musulmans en essayant de minimiser l'aspect religieux du conflit. «Au Nigeria, les violences ont des causes multiples : religions, tribus (Ibos surtout et Hausas-Fulanis), affrontements nord-sud, et toute l'histoire ancienne depuis la colonisation. Au cours de celle-ci, plusieurs groupes ethniques, à majorité musulmane, furent privilégiés, aux dépens des autres, Ces groupes furent intégrés dans le système du pouvoir britannique, et purent dominer les autres. Il est évident que les groupes privilégiés se sentent menacés par ceux qui veulent plus de justice, et en premier lieu par les chrétiens. L'introduction de la charia dans de nombreux Etats du Nord a pour but de maintenir le statu quo religieux et social de certains groupes ethniques», lit-on sur le site des Missionnaires d'Afrique qui n'ont pas tout à fait tort. Guerre du foncier et du pétrole La constitution nigériane consacre le principe de l'indigénéité. L'article consacrant ce principe autorise les membres des groupes ethniques à obtenir ce certificat d'indigénéité qui n'est autre qu'un passe-droit en faveur des populations installées en premier dans un endroit donné. L'Etat du Plateau où se trouve Jos qui concentre la majorité des affrontements meurtriers, est aussi une partie des terres fertiles. Il se trouve que dans cet Etat, ce sont les chrétiens qui possèdent le certificat d'indigénéité qui leur donne accès à certains emplois interdits aux musulmans. Dans cet Etat, les musulmans les plus chanceux peuvent exercer le métier de commerçant. Cet état de fait est à l'origine de beaucoup de clashs qui engendrent des morts par centaines, sans compter le nombre important de blessés et les populations déplacées. Le cas d'un conflit entre deux propriétaires, un chrétien et un musulman, autour d'une affaire de foncier, au début janvier 2010 dans le village de Kuru Karama, près de Jos, a dégénéré en affrontements à l'arme blanche qui s'est étendu à d'autres villages de la région. Plus de 150 corps ont été retirés des puits du village en question au bout de quelques jours d'affrontements. Plusieurs personnes ont été portées disparues par les organisations humanitaires et les autorités locales qui avaient fait appel à l'armée pour intervenir et rétablir l'ordre. Près de 18000 personnes se sont réfugiées dans des casernes militaires, des églises, des mosquées près de Jos après avoir fui les affrontements, a-t-on révélé à l'époque. Si le nord évite de demander de se séparer du sud c'est uniquement pour des raisons économiques, notamment celles relatives aux revenus pétroliers. Si le sud vient un jour à demander la sécession de la partie nord du Nigeria, ce sera la guerre civile dans ce pays, l'un des plus violents sur le continent africain. Mais tous les ingrédients sont présents pour envisager une fin du Nigeria comme celle qui a fractionné le Soudan, en 2011, en deux pays l'un au nord (musulman) et l'autre au sud (chrétien et animiste). L. M.