Photo : Riad Par Ziad Abdelhadi De nombreux experts et auteurs d'ouvrages sur l'agriculture algérienne s'accordent à dire que les réformes engagées dans le secteur ont, certes, apporté des changements mais qui sont restés superficiels car, pour ces derniers, «à l'efficacité stratégique de relance attendue par le biais de ces réformes, il en est résulté des incohérences sur le terrain». Pour plus de compréhension sur le sujet, il est utile de rappeler le contenu des différentes réformes agraires qu'a connues le pays depuis son indépendance en 1962 avec cette précision : chacune de ces réformes s'inscrivait dans un contexte politique, social et économique donné.
La réforme agraire de 1963 Un changement par lequel l'Etat devient le propriétaire des terres coloniales et gérées dorénavant par leurs ouvriers. Elles sont, en clair, autogérées. Une série de textes dits «Décrets de mars 1963» va institutionnaliser cet état de fait. C'est le décret du 18 Mars 1963, par lequel le droit des propriétés déclarées vacantes tombe en déshérence, c'est-à-dire qu'elles ne sont attribuées à personne. De même, le décret du 22 Mars 1963 qui organise la gestion des exploitations agricoles vacantes. Quant au décret du 28 Mars 1963, il porte sur la répartition du revenu des domaines autogérés. Cette récupération des terres, qui constitue en fait la nationalisation de l'ancien domaine colonial, regroupant 22 037 fermes sur une superficie de plus de 2 200 000 ha, va donner naissance au secteur autogéré, communément appelé secteur socialiste, au vu de l'option politico-économique du pouvoir en place. Cette première réforme devait conduire à la constitution de 1994 domaines autogérés, dont 70,7 % ayant des superficies supérieures à 500 ha. Redimensionnement rendu nécessaire par la difficulté de trouver, à l'époque, 22 000 directeurs pour les fermes laissées par les colons. Ainsi ces nouveaux domaines vont être dirigés conjointement par les anciens travailleurs et les représentants de l'Etat. Les décrets cités plus haut précisent le mode de fonctionnement ainsi que les organes internes de l'autogestion, à savoir : l'assemblée générale des travailleurs, composée de l'ensemble des travailleurs permanents qui éliront le conseil des travailleurs et le comité de gestion qui élira le président, représentant de tous les travailleurs et président de tous les organes cités. Quant au directeur, nommé par l'organisme de tutelle, il est représentant de l'Etat. Par ailleurs, il faut noter que jusqu'à sa restructuration, ce secteur va connaître certains réaménagements qui n'auront pas une grande influence sur son fonctionnement. Première incohérence : il restera toujours dirigé de façon administrative et avec une absence presque totale d'initiatives de la part des concernés dans la mesure où ils doivent obéir à une planification assez rigide, notamment en matière de commercialisation, d'octroi de crédits, de fixation des prix... L'intervention de l'Etat ne va pas se limiter uniquement au niveau de la propriété foncière car, dès le début, l'autogestion sera placée sous la tutelle de l'Office national de la réforme agraire (Onra) qui sera chargé du financement, de l'approvisionnement et de l'écoulement de la production. Seconde incohérence : son caractère centralisé allait très vite montrer ses limites. Du coup l'environnement économique chargé du soutien des exploitations autogérées allait connaître de nombreux réaménagements avec la création, dès 1969, d'une multitude d'offices (Ofla, Onalait...). Malgré les importants moyens humains et matériels mis à leur disposition, ces organismes sont restés toujours caractérisés par la lourdeur de leurs interventions et une bureaucratie contraignante, ne répondant pas toujours aux objectifs qui leur étaient assignés. En ce qui concerne le secteur privé, celui-ci n'a bénéficié, à l'époque, d'aucune aide significative de la part de l'Etat ; au contraire, il va se voir marginalisé et sera toujours perçu comme retardataire du processus de développement économique et social, d'une part, et caractérisé par une forte inégalité dans la distribution qualitative et quantitative des terres, contraire à l'option socialiste choisie par l'Algérie, d'autre part. Ce qui va justifier l'intervention de l'Etat «pour supprimer ces inégalités», par l'abolition des grandes propriétés foncières à travers un nouveau démembrement agraire : la Révolution agraire.
La révolution agraire de 1971 ou le renforcement du secteur étatique Ce nouveau démembrement de l'agriculture se situe à une période charnière du développement économique du pays : Le lancement du premier plan quadriennal 1970-1973 et la nationalisation des hydrocarbures qui constituent les prémices de la planification économique, dont la base matérielle sera la rente pétrolière. C'est dans ce contexte que sera promulguée le 8 Novembre 1971 l'ordonnance portant Révolution agraire. L'action de ce nouveau démembrement agraire s'étend à l'ensemble de la campagne algérienne où «il doit se traduire non pas par une simple nationalisation des terres mais par la création des conditions de leur mise en valeur au profit des masses rurales», souligne Lazhar Baci, de l'Institut national agronomique, département d'économie rurale, Alger (Algérie), dans une de ses recherches parues dans les cahiers du Ciheam. Selon toujours cette même source, l'application de la Révolution agraire allait se faire en phases successives afin de garantir au maximum sa réussite, avec comme slogan «La terre à ceux qui la travaillent», qui constitue, en fait, l'article premier de cette ordonnance. «A travers cette Révolution agraire, l'Etat voulait, avant tout, étendre son emprise sur le secteur privé. Pour ce faire, d'importants moyens furent employés afin d'amener une plus grande adhésion de la part de la petite paysannerie», commente Lazhar Baci. Il faut dire aussi que, comme rapporté dans plusieurs ouvrages sur la réforme agraire, l'environnement technico-économique fut, une nouvelle fois, restructuré et ce toujours au profit des exploitations Etatiques, qui bénéficièrent en priorité du soutien de l'Etat par le biais de coopératives spécialisées (Capcs). Comme action sociale, il était prévu la construction de 1 000 villages agricoles socialistes au profit des attributaires de la Révolution agraire, mais seulement 201 ont pu être réalisés. Les objectifs escomptés à travers cette Révolution ne furent pas atteints, ce qui s'est traduit par une faible production, une productivité médiocre et un désistement d'attributaires significatif. C'est là, en fait, un résumé des incohérences qui sont apparues sur le terrain lors de la deuxième phase de la Révolution agraire. Pour Lazhar Baci, «la Révolution agraire qui fut menée tambour battant a fini par s'empêtrer dans une infinité de problèmes, sans apporter les changements escomptés, à part la nationalisation des terres et l'augmentation de la puissance du monopole de l'Etat. Cet échec a permis de lever le voile sur la crise que couvait le secteur productif Etatique, de façon générale, et le secteur agricole, de façon particulière». Le système planifié allait-il connaître ses limites ? s'est demandé l'auteur. Dès le début des années quatre-vingt, l'Etat algérien va prendre un peu de recul dans la sphère agricole. Cela s'est traduit par la libéralisation de la commercialisation (1980), la restructuration des domaines agricoles autogérés (1981) et l'accession à la propriété foncière en 1983. La réforme agraire de 1981 : la restructuration La troisième réforme que connut le secteur agricole sera en fait limitée dans le temps et dans l'espace, car elle concernera essentiellement le secteur autogéré et sera caduque dès 1987. Les objectifs visés à travers cette restructuration seront définis dans l'Instruction présidentielle N° 14 du 17 mars1981, à savoir, entre autres, l'assainissement et l'autonomie de gestion des exploitations agricoles autogérées et des coopératives des anciens moudjahidine, ainsi que le remembrement de ces exploitations. Les 1 994 domaines autogérés vont donner naissance à 3 200 domaines agricoles socialistes (DAS), suivant leur nouvelle dénomination. Toujours est-il, alors que la restructuration du secteur socialiste et l'accession à la propriété foncière, à peine entamées, commençaient à donner des résultats probants, grâce, entre autres, à la libre commercialisation des produits agricoles et à une meilleure maîtrise de la gestion des exploitations, un projet de loi modifiant le mode d'exploitation de ce secteur est annoncé sans qu'aucun bilan ne fût dressé.
La réforme agraire de 1987 : la réorganisation du secteur agricole, une réforme précipitée A l'époque, on disait qu'elle s'inscrit dans une logique de réforme globale des secteurs économiques, décidée par les pouvoirs publics. Et d'ailleurs, elle fut lancée sur la base d'une simple circulaire interministérielle, en août 1987, qui prendra la forme d'un projet de loi voté hâtivement en décembre 1987. «Cette précipitation était due en fait à l'illégalité de cette opération dans la mesure où les textes régissant le secteur agricole socialiste n'étaient pas encore abrogés», explique Lazhar. Cette réforme s'articulait autour de trois axes principaux, entre autres, la création d'Exploitations agricoles communes (EAC), de 4 à 11 membres et d'Exploitations agricoles individuelles (EAI), lorsque les conditions ne permettent pas la création d'EAC. La précipitation avec laquelle a été réalisée cette importante opération a engendré de nombreux problèmes, notamment de transfert du patrimoine. Par ailleurs, il a été relevé certaines anomalies dans l'application de la loi : certaines attributions de terres n'étaient pas conformes. Et, sous la forte pression des médias et de l'opinion publique, le ministère de l'Agriculture demanda une enquête qui releva que près de 10 % des attributions étaient contraires à la loi. Toujours à propos de cette 4e réforme, des sources proches du dossier l'ont considérée comme étant un moyen pour l'Etat de se désengager d'un secteur devenu très lourd à gérer et non rentable. «Les déficits et l'accumulation des dettes des exploitations agricoles du secteur socialiste devenaient une charge trop lourde que l'Etat ne pouvait plus supporter», attestent des observateurs. Dernière réforme : la réorganisation Après moult réflexions et suite aux échecs des réformes successives engagées jusqu'ici dans le secteur de l'agriculture, les pouvoirs publics ont opté pour une politique participative menée de concert avec les agriculteurs. En somme, une réorganisation du secteur qui va permettre de construire une politique cohérente pour le renouveau agricole et rural. En clair, par cette réorganisation, les pouvoirs publics visent à créer une impulsion nouvelle afin de moderniser le secteur. Pour ce faire, il a été mis en place différents programmes. On peut citer le Programme de renforcement des capacités humaines et d'assistance technique (Prchat), le Programme de soutien au renouveau rural (Psrr), les Projets de proximité de développement rural intégré (Ppdri), le Système de régulation des produits agricoles de large consommation (Syrpalac), l'adoption de la loi sur l'Orientation agricole. Ces programmes ont été élaborés en concertation entre le ministère de l'Agriculture et du Développement rural, d'une part, et de tous les acteurs intervenant dans le secteur, à commencer par les agriculteurs, toutes filières confondues, les syndicats et d'autres organismes et institutions concernés directement ou indirectement par la dynamique qui a pris corps au sein de l'ensemble du secteur de l'agriculture en Algérie, d'autre part. C'est ainsi que ce vaste mouvement a été étendu aux experts et spécialistes dans le domaine de l'agriculture, aux organismes interprofessionnels, dont l'Office algérien interprofessionnel des céréales (Oaic), l'Office national interprofessionnel du Lait (Onil). Dans cette dynamique, d'autres chaînons du secteur agricole sont intervenus pour apporter leur soutien. En somme, ce sont tous les acteurs du secteur agricole qui ont, chacun à sa manière, mis la main à la pâte pour apporter leur contribution aussi minime soit-elle. Ce n'était pas le cas auparavant où les réformes successives ont été décidées en haut lieu et menées, administrativement, par circulaires. En revanche, la stratégie actuelle a de fortes chances de donner des résultats appréciables sur le terrain puisqu'elle a été minutieusement concoctée avec l'engagement pris par l'ensemble des acteurs du secteur agricole. C'est pourquoi, dans le milieu des gens de la terre, on reste convaincu que la vision, quant à l'avenir du secteur, est devenue plus claire. Cela dit, on peut croire, enfin, que le secteur va connaître un changement radical qui va permettre au pays de devenir autosuffisant, du moins dans les cultures où les potentialités de production intensive existent.