La Banque centrale européenne (BCE) a subi une nouvelle déconvenue jeudi lors de son deuxième méga prêt aux banques, et beaucoup d'experts s'attendent désormais à ce qu'elle franchisse le Rubicon en rachetant de la dette publique pour soutenir la zone euro. L'institution monétaire de Francfort a annoncé avoir prêté 129,8 milliards d'euros à 306 banques européennes, dans le cadre d'un prêt ciblé très bon marché sur quatre ans. Il s'agissait du deuxième tour d'une série de huit opérations baptisées TLTRO ("Targeted Long-Term Refinancing Operations"), qui auront lieu d'ici 2016. Grâce à ces gigantesques prêts, la BCE espère rouvrir les vannes du crédit pour les entreprises et relancer l'économie atone de la zone euro et l'inflation. "L'allocation du deuxième TLTRO est ressortie conforme aux attentes de la BCE et aux estimations des marchés", a estimé sur Twitter Benoît Coeuré, membre du directoire de l'institution. Mais son diagnostic est loin de faire l'unanimité. La plupart des analystes tablaient sur un emprunt de 150 milliards pour l'opération de jeudi. Le résultat "est probablement nettement inférieur à ce qu'espérait la BCE", commentait Martin van Vliet, économiste d'ING. Alors que c'est là que le crédit est le plus en souffrance, les banques du sud de l'Europe se sont montrées prudentes. L'italienne Unicredit a emprunté 2,2 milliards, "surtout pour l'Autriche", a fait savoir son patron; sa consoeur Intesa Sanpaolo 8,59 milliards. En Espagne, Bankia n'a reçu que 50 millions, ses concurrents BBVA et Caixa Bank ont respectivement obtenu 2,6 et 3,87 milliards. "La demande de crédit n'est pas encore ce qu'elle devrait être et ceci pourrait constituer un message à la BCE", a constaté le patron d'Unicredit, Federico Ghizzoni.
Sarbacane La BCE avait déjà essuyé une déconvenue lors de son premier TLTRO en septembre: 255 établissements avaient emprunté seulement 82,6 milliards, nettement en dessous des attentes. Le volume alloué lors des deux premiers tours s'avère faible au regard des ambitions de la BCE. Son président Mario Draghi était prêt à mettre 400 milliards sur la table, la moitié (212,4 milliards) ont été octroyés. Avec ce nouveau méga prêt décevant, la BCE utilise "une sarbacane plutôt qu'un bazooka" pour combattre les problèmes de la zone euro, estime Nick Kounis d'ABN Amro. Les gardiens de l'euro ont pourtant tout fait pour susciter l'appétit des banques et stimuler l'économie réelle. Le taux des TLTRO est fixé à 0,15%. En outre, contrairement aux précédentes éditions en 2011 et 2012, l'octroi des fonds est "ciblé": les banques emprunteuses se doivent d'augmenter leurs prêts secteur privé. La sanction prévue pour les établissements qui ne remettraient pas l'argent en circulation est un remboursement anticipé de leur TLTRO, dès l'automne 2016 au lieu de septembre 2018.
Dernière cartouche Sous l'impulsion de M. Draghi, la BCE ne s'est pas limitée aux seuls TLTRO pour contrer le risque de déflation. Elle a envoyé ses taux directeurs au plancher (0,05% pour le taux central depuis septembre) et rachète sur les marchés certains actifs financiers. Au total, l'Italien veut injecter 1 000 milliards d'euros dans le circuit économique et financier pour soutenir le Vieux Continent. Mais avec des TLTRO décevants, le compte n'y est pas. L'opération de jeudi "apporte une nouvelle raison, s'il était besoin, pour que la BCE lance un +QE+ complet" (quantitative easing ou assouplissement quantitatif), juge Jennifer McKeown de Capital Economics, en référence aux achats massifs de dette privée et publique pratiqués par la Réserve fédérale américaine. Cette option "bazooka" fait figure de dernière cartouche dans l'arsenal de la BCE. M. Draghi n'a pas caché être en pleins préparatifs la semaine dernière, s'affirmant convaincu de sa légalité. L'achat d'obligations souveraines suscite pourtant de vives réticences de la part de l'Allemagne, et le mandat de la BCE lui interdit de financer les Etats. "Ce n'est pas une solution miracle", estime Florence Pisani, économiste chez Candriam. Mais "nous en sommes au point où ne pas faire le QE serait dangereux car les marchés l'attendent tellement", conclut-elle.