La Turquie commémore cette semaine la tentative de coup d'Etat du 15 juillet dernier visant à renverser le président Recep Tayyip Erdogan, dont la vigoureuse riposte a bouleversé la situation politique, sociale et diplomatique du pays. Depuis un an, le gouvernement mène une purge d'une ampleur inégalée dans l'histoire moderne du pays, traquant inlassablement les sympathisants présumés du prédicateur Fethullah Gülen, désigné par Ankara comme le cerveau du putsch manqué, ce que l'intéressé dément depuis les Etats-Unis où il vit en exil. Loin d'être affaibli, M. Erdogan se dresse plus fort que jamais et ses détracteurs l'accusent de profiter de l'état d'urgence en vigueur depuis le coup de force pour asphyxier toute forme d'opposition. Le putsch avorté a également eu des retombées importantes sur les relations diplomatiques de la Turquie, pays candidat à l'UE et membre de l'Otan, dont les relations avec l'Occident se sont fortement tendues depuis un an. "L'impact du putsch manqué a été considérable", remarque Jean Marcou, chercheur associé à l'Institut français d'études anatoliennes, soulignant que le coup de force avait été suivi d'un "véritable reformatage de l'Etat" avec "des purges systématiques et radicales". Des événements seront organisés à travers le pays dès mardi pour rendre hommage aux quelque 250 "martyrs" du putsch qui font aujourd'hui l'objet d'un véritable culte. Les principales manifestations sont prévues à Ankara et Istanbul. M. Erdogan doit prononcer un discours devant le Parlement dans la nuit de samedi à dimanche à 23H32 GMT, à l'heure précise où l'Assemblée nationale a été bombardée par les putschistes.
Eradiquer le 'virus' Dans la nuit du 15 au 16 juillet, les habitants des deux plus grandes villes de Turquie ont été tenus en éveil par les avions de chasse survolant les habitations, les tirs d'hélicoptères sur les manifestants opposés au coup d'état et les chars des putschistes patrouillant les rues. Affirmant vouloir rétablir la "démocratie", un groupe de militaires factieux se faisant appeler le "Conseil de la paix dans le pays" affirme alors avoir pris le pouvoir. Mais depuis la station balnéaire du sud-ouest de la Turquie où il est en vacances, M. Erdogan contre-attaque: à travers un écran de téléphone, il exhorte ses partisans à descendre dans la rue. Des dizaines de milliers de personnes répondent à son appel. L'un des épisodes les plus marquants se joue sur l'un des ponts qui enjambent le Bosphore, rebaptisé depuis le "pont des martyrs du 15 juillet", où des éléments factieux ont tiré sur des civils. Leur reddition, au petit matin, symbolisera l'échec du coup de force. La défaite des putschistes a été saluée par M. Erdogan comme une victoire des forces démocratiques en Turquie. Mais l'espoir d'ouverture et de rassemblement s'est rapidement éteint devant l'ampleur de la réponse des autorités. Promettant d'éradiquer le "virus" factieux, le gouvernement a lancé des purges massives : plus de 50.000 personnes ont été arrêtées, plus de 100.000 limogées ou suspendues.
Erdogan plus fort Dépassant le cadre des partisans présumés de M. Gülen, cette traque a touché les milieux prokurdes, dont les principaux dirigeants politiques, qui s'étaient pourtant opposés au putsch, ont été écroués, des journalistes critiques ou encore des membres de l'ONG Amnesty International. Un an après avoir survécu à la plus rude épreuve de sa vie politique, M. Erdogan semble au faîte de sa puissance. L'armée, auteur de plusieurs putschs dans l'histoire de la Turquie, a été reprise en main, et une révision constitutionnelle controversée permet en théorie à M. Erdogan de rester au pouvoir jusqu'en 2029. Ces développements ont profondément polarisé la société entre pro et anti-Erdogan. Un mouvement de protestation pour défendre "la justice" conduit par le leader du principal parti d'opposition (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, est parvenu à mobiliser des centaines de milliers de mécontents pour un grand meeting dimanche. Mais un an après, des questions se posent toujours sur l'identité exacte des putschistes et sur le film des événements, et Ankara semble peiner à imposer sa version aux capitales occidentales. Ce décalage a provoqué des frictions diplomatiques. Ankara a réagi avec colère aux critiques européennes sur les atteintes aux libertés, et réclame sans ménagement à Washington l'extradition de M. Gülen, une requête restée lettre morte à ce jour.