Aïcha s'était levée aux aurores : elle avait tant de choses à faire. Elle avait commencé par nettoyer, récurer sa panoplie de parfait boucher pour la ranger dans le placard jusqu'à l'année prochaine. Elle prépara ensuite le petit-déjeuner en mettant bien en valeur les petits gâteaux qu'elle avait préparés en rouspétant abondamment sur la surcharge de travail qui pesait sur ses frêles épaules ; mais c'est avec une affection infinie qu'elle regardait sa progéniture déguster ses petits fours. Elle se dépêcha ensuite de se préparer pour recevoir les visites que ne manqueraient pas de lui faire ses frères. Affublée d'un sachet en plastique posé sur sa tête enduite d'une teinture douteuse (elle faisait tout pour dissimuler les mèches blanches qui envahissaient inexorablement sa chevelure courte et frisée), elle avait plus que jamais l'air d'une matrone qui ne se souciait plus des apparences. Ses va et vient entre la salle de bain, la cuisine, la chambre et le salon où Messaoud s'était réfugié en quête d'inspiration, le bruit des pas pressés, sa façon de trotter pour marquer sa diligence, tout cela agaçait profondément l'écrivain en herbe qui voulait se donner une contenance. Entre deux apparitions elle ne manquait pas de faire quelques réflexions sur la ponctualité de ses belles-sœurs (elle n'accusait jamais ses frangins car elle disait toujours à voix basse qu'ils se font mener par le bout du nez) : elle en savait quelque chose sur la guerre d'usure qu'elle a dû mener pour faire plier « le fier Sicambre ». Cela décontenançait Messaoud qui était déjà déstabilisé par les bruits sourds de hache qui emplissaient l'immeuble. L'équarrissage des victimes de l'avant-veille n'en finit pas. Et alors Messaoud perdait ainsi chaque fois le fil de ses pensées : il avait beau allumer et rallumer sa vieille pipe, non pas pour fumer mais pour aspirer une de ces bouffées qui plonge l'esprit dans un épais brouillard pour faire jaillir l'étincelle créative… Au bout d'un moment, Aïcha ne put s'empêcher de lancer sur un ton sarcastique : « Alors ! Tu as bientôt fini tes fameuses mémoires ? - Je n'arrive pas à démarrer. - Depuis longtemps que tu en parles… Je pense que c'est une de tes nouvelles tactiques pour tirer au flanc. Des mémoires ! Tu as oublié ce que tu as mangé ce matin et Monsieur veut écrire ses mémoires. Chaque fois que tu as le malheur de faire le marché, tu oublies la moitié des choses : Alzheimer n'est pas loin ! Alors dépêches-toi si tu n'as pas envie que ce soit moi qui finisse tes mémoires. - Je ne sais pas par quel bout commencer et je suis encore indécis sur la forme narrative : je ne sais pas si mon récit sera linéaire : il débute à l'enfance et suit les événements dans leur chronologie naturelle. Quelquefois je pense commencer mon texte par mon dernier jour de travail avec une perspective sur cette retraite ennuyeuse et un long retour en arrière sur les diverses péripéties d'une vie, en somme, toute banale. Aïcha s'était levée aux aurores : elle avait tant de choses à faire. Elle avait commencé par nettoyer, récurer sa panoplie de parfait boucher pour la ranger dans le placard jusqu'à l'année prochaine. Elle prépara ensuite le petit-déjeuner en mettant bien en valeur les petits gâteaux qu'elle avait préparés en rouspétant abondamment sur la surcharge de travail qui pesait sur ses frêles épaules ; mais c'est avec une affection infinie qu'elle regardait sa progéniture déguster ses petits fours. Elle se dépêcha ensuite de se préparer pour recevoir les visites que ne manqueraient pas de lui faire ses frères. Affublée d'un sachet en plastique posé sur sa tête enduite d'une teinture douteuse (elle faisait tout pour dissimuler les mèches blanches qui envahissaient inexorablement sa chevelure courte et frisée), elle avait plus que jamais l'air d'une matrone qui ne se souciait plus des apparences. Ses va et vient entre la salle de bain, la cuisine, la chambre et le salon où Messaoud s'était réfugié en quête d'inspiration, le bruit des pas pressés, sa façon de trotter pour marquer sa diligence, tout cela agaçait profondément l'écrivain en herbe qui voulait se donner une contenance. Entre deux apparitions elle ne manquait pas de faire quelques réflexions sur la ponctualité de ses belles-sœurs (elle n'accusait jamais ses frangins car elle disait toujours à voix basse qu'ils se font mener par le bout du nez) : elle en savait quelque chose sur la guerre d'usure qu'elle a dû mener pour faire plier « le fier Sicambre ». Cela décontenançait Messaoud qui était déjà déstabilisé par les bruits sourds de hache qui emplissaient l'immeuble. L'équarrissage des victimes de l'avant-veille n'en finit pas. Et alors Messaoud perdait ainsi chaque fois le fil de ses pensées : il avait beau allumer et rallumer sa vieille pipe, non pas pour fumer mais pour aspirer une de ces bouffées qui plonge l'esprit dans un épais brouillard pour faire jaillir l'étincelle créative… Au bout d'un moment, Aïcha ne put s'empêcher de lancer sur un ton sarcastique : « Alors ! Tu as bientôt fini tes fameuses mémoires ? - Je n'arrive pas à démarrer. - Depuis longtemps que tu en parles… Je pense que c'est une de tes nouvelles tactiques pour tirer au flanc. Des mémoires ! Tu as oublié ce que tu as mangé ce matin et Monsieur veut écrire ses mémoires. Chaque fois que tu as le malheur de faire le marché, tu oublies la moitié des choses : Alzheimer n'est pas loin ! Alors dépêches-toi si tu n'as pas envie que ce soit moi qui finisse tes mémoires. - Je ne sais pas par quel bout commencer et je suis encore indécis sur la forme narrative : je ne sais pas si mon récit sera linéaire : il débute à l'enfance et suit les événements dans leur chronologie naturelle. Quelquefois je pense commencer mon texte par mon dernier jour de travail avec une perspective sur cette retraite ennuyeuse et un long retour en arrière sur les diverses péripéties d'une vie, en somme, toute banale.