Ali Haddouche. Médecin urologue ulcéré par les dérives de l'hôpital Quand la réalité dépasse l'infection… le 28.10.10 «A voir la manière dont on use envers les malades dans les hôpitaux, on dirait que les hommes ont imaginé ces tristes asiles non pour soigner les malades, mais pour les soustraire au regard des heureux dont ces infortunés troubleraient les jouissances.» Chamfort Le secteur de la santé publique est-il malade de ses structures, de ses hommes, de sa gestion ou de ses malades… ? La question lancinante, maintes fois posée, revient comme une litanie ou un leitmotiv. A l'instar d'ailleurs des recommandations à l'origine de la réforme de l'hôpital dont l'image s'est considérablement dégradée au cours de ces dernières années. Alors humaniser, restructurer réorganiser le secteur de la santé restera-t-il un vœu pieux ou faudra-t-il croire à l'hypothétique sursaut tant attendu ? En vérité, la mission n'est pas de tout repos et le puzzle est complexe comme la posture du malade, au cœur de l'engrenage tout en étant la première victime. Des urgences comparées à des mouroirs, des infections nosocomiales à l'origine d'un taux important de décès, négligences, erreurs médicales, prises en charge des malades aléatoires, gestion catastrophique, médicaments périmés et toujours en usage, l'argent destiné à soulager la douleur des malades détourné. Comme on le constate, le tableau n'est guère engageant. Récemment, le secteur a été ébranlé par l'histoire de ce directeur général d'un important institut qui a tapé dans la caisse pour ensuite se volatiliser dans la nature ! Pour essayer d'aller au fond du mal, le diagnostiquer et mieux le percevoir, nous avons pris attache avec un jeune assistant de la santé publique, urologue qui, à travers son cheminement singulier, lève le voile sur l'état préoccupant du secteur, coincé entre des idées généreuses et une réalité qui n'incite pas à l'optimisme. L'hôpital malade Il s'appelle Haddouche Ali, né le 21 janvier 1970, à Aïn Defla, où il a fait toute sa scolarité primaire et secondaire. Bac en poche, il poursuit son cursus à Alger où il opte pour la médecine. Médecine générale à Blida et praticien dans la région de Chlef (1996). Résidanat en chirurgie urologique (1997-2001). Depuis, il est assistant de santé publique au service urologie de l'hôpital Mustapha. Il y a un mois, Ali démissionne de son poste pour aller exercer dans le privé. «Pourtant, explique-t-il, je m'étais investi à fond en essayant de casser les tabous, de bouleverser les convenances en essayant d'améliorer les choses». Il nous raconte ses déboires qui se conjuguent avec ceux du secteur de la santé secoué par des crises à répétition. On se souvient que les médecins de santé publique, généralistes et spécialistes, suivis par les paramédicaux s'étaient engagés dans un mouvement de protestation durant de longues semaines sans que les pouvoirs publics ne réagissent. Le ministre concerné n'avait pas jugé utile d'ouvrir le dialogue en affichant un mépris indigne en brandissant les sanctions et en menaçant de recourir à la révocation. Pas question d'arrondir les angles alors que les protestataires soulignent qu'au-delà des questions de fiche de paie, ils demandent tout simplement à être respectés et considérés. Haddouche est à l'aise, parle doucement de sa passion. Il est connu pour être un praticien proche de ses patients, à l'écoute des plus vulnérables et des démunis dont la détresse est incommensurable face à une médecine à deux vitesses. «Les pauvres qui souffrent de pathologies lourdes ont du mal à supporter leur maladie car ne pouvant subvenir aux dépenses souvent exorbitantes exigées par les thérapies. Dans ce cas de figure, le malade est doublement pénalisé.» Jeune médecin, Ali avait des idées plein la tête, de l'enthousiasme à revendre et des projets à gogo «pour être au diapason de ce qui se fait de par le monde en matière de technologie avancée dans le milieu médical». La motivation seule ne suffit pas A travers son discours simple et sans emportement, on a compris qu'il faut vraiment disposer d'une solide carapace et avoir une sacrée dose de patience pour tenir le coup.«Mais de guerre lasse, on finit par abdiquer. On finit par être découragés. Je ne me permettrai pas de détourner les malades ni de profiter de leur désarroi», confesse-t-il. «En ce qui me concerne, je devais passer le concours de maîtrise, j'avais bossé comme un fou. J'étais très motivé. Mais à trois reprises, on m'a dissuadé de le passer au dernier moment. Et puis face au statu quo, j'ai préféré démissionner de mon poste. Pour deux raisons : un statut social qui laisse à désirer et aucune chance d'évoluer dans une ambiance qui ne s'y prête pas avec des moyens matériels dérisoires. Toute nouvelle technique on l'a apprise dans le temps complémentaire grâce aux journées cliniques auxquelles on a droit après cinq ans d'exercice. L'autre facteur qui m'a découragé, c'est le conflit de générations, il y a des liganes rouges tracées par les chefs, à ne pas franchir.» Ali estime qu'«il est inadmissible que pour des millions d'habitants de l'Algérois, les services où il a exercé à l'hôpital Mustapha ne disposent que d'une centaine de lits. C'est inadmissible. Face à ce dilemme, il y a un choix à faire. On est tenus de ne prendre que les urgences ou les malades graves. Conséquence : des rendez-vous qui prennent des années. C'est inhumain et illégal. Et le seul qui fait face à cette déplorable situation, c'est le médecin qui se trouve contraint de beaucoup mentir aux malades. Moi, je ne peux accepter cet état de fait !» Ali tire la sonnette d'alarme en matière d'hygiène : «C'est catastrophique. Notre service est le nid des infections nosocomiales qui y trouvent un terrain fertile. C'est connu, la première entrée des microbes c'est en milieu urologue qu'on la constate ! En 2003, j'étais parti en mission en Irak où on avait pratiqué des opérations. J'ai remarqué que l'état des hôpitaux, pourtant sous embargo, était acceptable. Leurs services sont mieux dotés et rationnellement utilisés. Là où j'exerçais à Mustapha, il y a 23 chirurgiens alors qu'il n'en faut que 8. Souvent ici, il y a pléthore de personnel alors que certaines régions du pays déplorent le manque de spécialistes. Il y a 10 000 équipements médicaux acquis chèrement mais qui ne sont pas utilisés. Pourquoi ? Ces commandes ont été faites par les gestionnaires qui ne disposent pas de personnel formé pour les utiliser. A titre d'exemple, à Tamanrasset, il y a un uretoroscope à l'arrêt parce qu'il n'y a aucun technicien pour le faire marcher. Mustapha, le plus grand hôpital d'Afrique, dispose de cet appareil mais il est sous emballage depuis 6 mois.» «Le système actuel de santé fait deux grandes victimes, les étudiants dont la formation laisse à désirer et les malades les moins nantis. Il y a une médecine à deux vitesses qui touche profondément la dignité du malade qui est parfois traité comme du bétail.» Ali fustige aussi certains comportements inacceptables de ses confrères, indignes de leur statut et du noble métier qu'ils exercent. «Moi je me réfère toujours au dicton grec qui dit que le médecin console toujours, soulage souvent et guérit très peu. Ecouter un malade, c'est atténuer de moitié ses souffrances. Il va sans dire que les compétences n'ont aucune motivation pour rester dans le service public gangrené par l'anarchie. Les gens aspirent à un statut social plus valorisant à même de leur assurer l'épanouissement souhaité. Fuite vers le privé Le médecin algérien spécialiste touche l'équivalent de 430 euros mensuels, alors que nos voisins tunisiens ou marocains touchent quatre fois plus !Mais la chose qui m'a écœuré c'est le laisser-aller et le laxisme qui caractérisent la gestion. On a fait de très belles interventions et de qualité, mais à l'heure des bilans, on n'a rien trouvé dans les archives ! Tout est parti en l'air comme si on n'avait rien fait. A titre d'exemple, j'ai pratiqué 50 grosses interventions, je n'ai trouvé que 7 comptes rendus dans les archives… Je concède que l'oralité est notre marque de fabrique mais tout de même ! D'un autre côté, il y a beaucoup de communications présentées dans les colloques par nos responsables, mais qui ne reflètent nullement la réalité. On tente de justifier l'injustifiable par des mensonges !», s'insurge notre homme. Abordant un autre chapitre, Ali considère que : «le système de pavillonnage dans les hôpitaux est largement dépassé, car il implique un temps fou qui peut s'avérer fatal pour le malade qui, des urgences, est transporté à la radiologie pour exploration, puis à la neurochirurgie, à la traumatologie pour peut-être finir à la morgue ! Il est capital de centraliser les urgences. Dans un autre registre, on constate que de grands travaux sont en train d'être effectués sur des bâtisses vétustes et qui ont fait leur temps à l'hôpital Mustapha. Ne serait-il pas plus judicieux avec tout cet argent de construire un nouvel hôpital moderne doté de toutes les structures adéquates», s'interroge-t-il ? Pour notre interlocuteur, il est temps d'établir de nouvelles relations organiques et fonctionnelles devant régir les rapports entre les pouvoirs publics et les personnels médicaux «impliquant la prise en charge de la nécessaire dimension morale devant caractériser les rapports entre praticiens, de même qu'entre ces derniers et les patients et ce, sur la base de principes de déontologie et d'éthique universellement admis». Il faut dépasser certains clivages car le privé, quoiqu'en dise, est un complément et non un adversaire, bien que dans certaines circonstances, la dualité public-privé donne lieu à des effets pervers comme l'inflation de certains actes, la sélection des malades et des pathologies sur des critères de rentabilité financière. Il est clair que la critique parfois sévère et dure n'est pas la remise en cause du rôle majeur de l'hôpital public, colonne vertébrale du système de santé, élément indispensable pour l'égalité des soins. Mais comme c'est un point sensible, il n'y a pas lieu de tergiverser ni de mettre en péril la vie des gens. Le but est de susciter le sursaut salvateur dans un secteur pris en tenaille entre le serment d'Hippocrate et le sermon tout court… Bio express : Né le 21 janvier 1970 à Aïn Defla, Ali Haddouche a eu une scolarité normale.Son rêve d'enfant, devenir médecin, s'est réalisé. Il a même poussé les études plus loin pour devenir spécialiste en caressant l'espoir d'aller encore plus loin car, dit-il, «la science n'a pas de frontières ni de limites. La technologie et la technicité évoluent chaque jour et si on ne s'adapte pas au rythme imposé, on risque de rater le train du progrès». Praticien de la santé publique dans un hôpital depuis une décennie, à 40 ans, Ali paraît usé non pas par le volume de travail mais par les problèmes que rencontre l'hôpital en raison d'une gestion qui laisse à désirer.Il y a quelques jours, Ali a sauté le pas en intégrant le privé. Il nous dit pourquoi, en levant le voile sur les dérives de l'hôpital… Il rend un hommage appuyé au professeur Mansouri El Hadi qu'il a côtoyé et qui avait compris depuis longtemps, la situation résultant de dysfonctionnements qui ont abouti à une «clochardisation regrettable de l'hôpital…»