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L'affaire RADEP
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 05 - 05 - 2011

Le Maréchal Mobutu aux fidèles du Parti : Enrichissez-vous et si vous volez, ne volez pas en même temps. Vous pourriez être arrêtés. Volez intelligemment, un peu à la fois » P.M Durand : Mobutu, le fossoyeur du Zaïre. L'Histoire. Avril 2007.
Des mots et des faits :
Juillet 1972. Club des Pins. La salle des congrès déborde d'étudiants venus assister à la première conférence nationale du volontariat. La révolution agraire est une priorité d'Etat. C'est le devenir de la Nation qui est en jeu. Une question de vie ou de mort Toutes ses forces vives sont mobilisées pour l'édification de la société socialiste. Dans le plan de bataille, les étudiants occupent une place de choix. Ils sont l'instrument de réalisation du bonheur agricole. L'organisation n'est pas hasardeuse, elle est confiée à des mains sûres. Le Parti de l'Avant-garde Socialiste. La loyauté politique de ses soldats socialistes est insoupçonnable. Professionnellement, les Pagsôts sont irréprochables. Dociles, besogneux et patients. Un appareil de rêve et un militant idéal.
La conférence est présidée par la révolution elle-même, c'est-à-dire le Colonel en personne. C'est donc une date historique. L'onction recherchée est à portée de mains. La présence à ce rendez vous est une chance. L'occasion de la vie. Recevoir la bénédiction du colonel est le rêve de tout militant socialiste.
La révolution rentre dans la salle. Plus de deux mille étudiants se lèvent comme deux jambes et applaudissent comme deux mains. Des cris fusent : vive la révolution, puis les refrains préférés : djich, chaab dhid Rajiya et enfin le tube de cet été là : hé mamya thaoura ziraiya. L'émotion est à son comble. La chaleur est suffocante. Une forte transpiration rend l'air vicié. Piqués par la sueur, les yeux souffrent, démangent, rougissent. Plus on frotte, plus on a mal. Une odeur infecte envahie la salle. Irritées par les exhalations, les narines pleurent de douleur. Dans presque tout Alger, les robinets sont à sec depuis on ne sait combien de jours. Depuis longtemps il ne pleut plus et les gens se sont habitués à se baigner au mois de Janvier. Le savon est rare et les lames de rasoirs sont introuvables.
Le Colonel ratisse la salle. Seuls ses yeux bougent. Le regard est froid, métallique. En langage révolutionnaire, c'est un signe fort. L'heure est grave. La révolution est en danger. L'alerte est au maximum et la vigilance impérative. Une ambiance d'angoisse s'empare des étudiants. Affolés, ils ne savent plus quelle posture adopter. Une peur diffuse flotte dans la salle. Toute leur attention est au garde à vous. Djich, chaab, dhid arjiya, lança une voix anonyme. Les étudiants reprennent le slogan à gorges déployées. Ils suppliaient. Après un moment qui n'en finissait pas, la révolution fit un sourire et le supplice prit fin. Le soulagement vint à un moment où la fatigue devenait éprouvante mais la confiance était revenue. Le colonel leva la main …droite. La tension baissa subitement. Tranquillisés, les étudiants s'assirent. La révolution parla longuement de la révolution puis s'étala sévèrement sur les forces réactionnaires. Le réquisitoire était dur, implacable. Le colonel le voulait incontestable.
-Les réactionnaires ne veulent pas que les masses laborieuses et les paysans puissent vivre dignement, dit-il. Elles tentent de s'opposer à l'éducation des enfants du rif…..l'Algérie a besoin d'ingénieurs, de médecins et de techniciens, pas de bergers….ces forces s'entêtent à saboter la révolution agraire pour empêcher l'émancipation du khammès…..et s'agitent dans l'unique but de conserver un ordre féodal condamné par l'histoire….elles sont frustrées à l'idée que nos paysans quittent leur gourbi pour vivre dans les villages socialistes que nous bâtissons pour leur offrir des conditions de vie décentes, expliqua t-il.
Le langage était si dur et envoûtant que les étudiants se tournèrent les uns vers les autres et s'interrogèrent sur l'identité de ces réactionnaires. Sont-ils rétrogrades à ce point ? Se demandèrent-ils. La haine était si intense qu'ils n'avaient qu'une envie, les pulvériser. Nous voulons des noms, des noms, réclamèrent quelques étudiants à haute voix.
-La révolution armée n'a pas été menée uniquement contre l'ordre colonial, mais aussi contre son allié, le féodalisme, expliqua le colonel. Dans la salle, un nom est chuchoté. Le commutateur a fonctionné. Maintenant, les étudiants ont quelque chose à mastiquer. Le colonel scrutait les traits des visages. La fascination qu'il exerçait était visible. Les têtes étaient projetées vers l'avant comme si elles étaient entrainées par une force d'aimant. C'est le moment, se dit-il.
Un cahier des charges pour délinquants :
-Cette révolution n'aurait pas abouti si les paysans ne l'avaient pas portée sur leurs épaules depuis son déclenchement jusqu'à la libération, asséna t-il en français. Surpris, les étudiants volontaires se regardèrent de nouveau. Les yeux étaient rouges, gonflés mais rieurs. Le colonel venait de confirmer qu'il parlait la langue de Luis de Funès. Il était donc moderne. Des commentaires inaudibles se multiplièrent parmi les étudiants. Il parlait si fréquemment en arabe qu'ils finirent par être déçus. Une phrase dans la langue de Brigitte Bardot les délivra. Là, ils s'assurèrent que le colonel n'était pas un baathi, un homme archaïque mais bel et bien un dirigeant de son temps.
La révolution remarqua une gaieté chez de nombreux étudiants mais aussi une certaine gêne mêlée de déception dans une partie occupée par des arabophones. Leur accoutrement les rendait facilement reconnaissables. Cette émotion dura quelques minutes. Satisfait de l'effet, le colonel tira de sa poche un cigare, le fixa, l'enroula délicatement, en tapota légèrement le bout sur la table pendant qu'il cherchait le briquet. Il leva les yeux vers son auditoire puis invita les étudiants à un débat. Un long silence s'ensuivit. La révolution en profita pour allumer le cigare offert par le camarade Castro. La fumée, lâchée par petites saccades, soulageait ses narines mises à mal par la transpiration de ses auditeurs.
Un étudiant, encouragé par ses camarades, demanda la parole. La caméra de la télévision le pris de dos. Son intervention était à peine audible. Presque une friture. Fort heureusement la révolution avait compris. C'était le plus important.
-Connaissez-vous quelqu'un dont l'activité est le miel et qui n'en goûte pas ? Demanda le colonel dans un sourire plein de malice.
Quelques étudiants lâchèrent des bruits qui avaient une vague ressemblance avec des rires. Les tons rappelaient plutôt des rots. D'autres, s'efforcèrent à faire autant. Ils parvinrent avec beaucoup d'efforts à produire des rictus. Ils étaient si laids et résonnaient si faux que la révolution s'en offusqua. Le colonel senti le mou d'un marais. Il se délesta de l'air séduisant qu'il lui arrivait d'emprunter en de rares occasions. Ses traits se raidirent, ses yeux s'enflammèrent, il fixa les étudiants d'un air menaçant.
-On ne dénonce pas la corruption sans avoir de solides preuves, prévint le colonel d'une voix coléreuse. La révolution se tut et un silence de mort enveloppa la salle. Aux odeurs de la sueur vint se mêler celle des urines.
De bonne foi, l'étudiant volontaire avait dénoncé des pratiques de corruption dans une mairie. Naïvement, il pensait que cette pratique était le fait des forces réactionnaires. Au lieu d'apporter de l'eau au moulin de la révolution, comme il l'espérait, il venait d'en susciter le courroux. Inattendu ! Les téléspectateurs qui avaient entendu la réplique du colonel furent stupéfaits. Ainsi la révolution en personne trouvait des circonstances atténuantes aux corrompus. Elle prenait leur défense et menaçait leurs ennemis. Ce jour là, certains d'entre eux avaient compris que la corruption était une activité révolutionnaire, une tâche nationale démocratique. Sa dénonciation devenait donc un acte réactionnaire, un crime contre révolutionnaire. En dépit de cette clarté, quelques Algériens refusaient de comprendre. Ils s'obstinaient à nier les évidences. La force des fantasmes qu'ils construisaient inhibait leur capacité de perception de la réalité. Ils durent attendre deux longues années encore.
Lissocrates, Otages et Braquages :
Au préalable et dès 1970, le colonel avait mis au point un traquenard imparable. La tentative de putsch de Tahar Zbiri l'avait sérieusement inquiétée. Réduire cette menace en se débarrassant des officiers susceptibles de le neutraliser était son obsession. Il imagina une combinaison que seul un colonel pouvait inventer : un volet social. Il proposa aux officiers la radiation des rangs de l'ANP contre un prêt non remboursable. Ceux qui avaient accepté la transaction montèrent de petites entreprises que l'UGTA et les Inspections de travail reçurent pour consignes de démolir. Le travail de sape accompli entre 1976 et 1978 devaient empêcher les “propriétaires” d'avoir les capacités de rembourser le Crédit Populaire Algérien, la banque créancière. La dette se transforma en moyen de pression politique. Si le chantage s'avérait insuffisant, il pouvait avoir un prolongement judiciaire. En fait, le coup est triple : Evincer de l'armée les officiers qui pouvaient avoir des prétentions politiques ; neutraliser ces acteurs considérés, à tord ou à raison, comme des compétiteurs en les piégeant par des prêts impossibles à rembourser et, enfin, empêcher la formation d'un noyau bourgeois susceptible d'être une menace pour un ordre fondé sur le khaddem et le khammès du colonel.
En 1974, le conflit entre la révolution et la réaction, dont le nom fut soufflé par les commutateurs lors de la première conférence nationale des étudiants volontaires, devenait explosif. Une autre conférence nationale fut organisée. Celle des “cadres de la nation”. Le discours développé ce jour là était clair, sans équivoque. Le sens était accessible à tous, y compris aux nigauds. Le colonel n'avait pas besoin d'être terre-à-terre comme Mobutu.
-La révolution, déclara alors le colonel, tolère la présence, en son sein, de mille personnes qui détournent les deniers de l'Etat mais n'acceptera jamais l'existence d'un seul opposant. “Les cadres de la nation” se levèrent comme un seul voleur. Ils n'avaient jamais autant applaudit. Ils ne sentirent aucune douleur aux articulations. L'appel d'offres aux malversations et détournements des deniers de l'Etat fit son effet. La révolution venait de délivrer à ses militants l'autorisation de rapiner. Les obligations fixées dans le cahier des charges étaient très simples : ne vous opposez pas à moi et en échange, volez autant que vous pouvez. Ceux qui avaient commencé plus tôt régularisèrent leur situation en exhibant avec fierté un ventre chancelant et un double menton qui commençait à bourgeonner. Désormais, pour être un socialiste révolutionnaire, il faut commencer par devenir un corrompu et un voleur. Plus le casier judiciaire débordait et plus “le cadre de la nation” était dans les bonnes grâces de la révolution. La réaction n'eut d'autres choix que de s'exiler ou de se terrer. Quelques années plus tard, les réactionnaires devinrent des marginaux avant de disparaitre totalement. Des millions de corrompus et de voleurs se mirent à accélérer le pas dans l'accomplissement de “la révolution nationale démocratique à orientation socialiste.” les ”maladies infantiles” du socialisme et les “effets contre intuitifs” des choix révolutionnaires étaient les couleuvres pédantes livrées par l'aile gauche du volatile national, plus pour s'excuser que pour convaincre les curieux. Le clivage commençait à devenir béant et les dissonances insupportables.
Les formes définitives de l'Etat gangster sont achevées au moment où la soumission par la violence, une légitimité physique, est conquise par l'appât des personnels utiles à la corvée et la menace de tous les autres. Le niveau d'aliénation est mesuré en permanence par les “tracasseries administratives”, un procédé extrêmement efficace qui devient redoutable lorsqu'il est accompagné de sa réplique, les pénuries en tout. La moindre réclamation était assimilée à une contestation, donc subversion, alors rébellion. La punition était souvent disproportionnée, brutale, sauvage au point où la peur avait fini par pétrifier tout le monde, le truand comme sa victime. Une série de ruses appelées révolutions et taches nationales démocratiques ont réussi à imposer une charpente politique fondatrice. C'est de là que dérive une kyrielle de faits à valeur normative. La “démocratisation de l'enseignement” justifia une distribution massive, industrielle de diplômes tous azimuts et donna corps à une “révolution culturelle” très originale en favorisant la promotion d'illettrés diplômés ; Les cancres furent orientés vers les classes d'enseignement arabisé. C'est à ce personnel que fut confiée la mission d'algérianiser et d'arabiser le corps enseignant et l'administration qui aboutit à la formation d'une fausse élite dont le mandat était une décérébration accélérée de la société; une “industrie industrialisante” conçue, principalement depuis l'introduction de la gestion socialiste des entreprises, comme activité ludique qui a finit par produire des crèches pour adultes. Cette fantaisie était le but réel de la “révolution industrielle”, une pompe à fric pour les bureaux d'études, les fournisseurs d'équipements industriels, des matières premières, des pièces de rechange, des produits semis finis et, le comble, des produits finis puisque la production locale était soit très insuffisante soit stockée. Dans les deux cas, il fallait créer la pénurie pour justifier l'importation. A toutes les étapes, les révolutionnaires ponctionnèrent une fraction du montant de chacune des transactions. L'autre amusette était la révolution agraire. La confiscation des terres agricoles aux paysans devait empêcher les agriculteurs de s'émanciper du “pouvoir révolutionnaire”. Castrer une bourgeoisie terrienne susceptible de constituer un risque pour le régime devenait vital. La rupture avec le travail de la terre fut un succès total. Elle profita aux agriculteurs Européens, Nord- Américains et à leurs légataires locaux.
L'accumulation que vont réaliser les acteurs de ce milieu noir va croître à un rythme si élevé que les lignes rouges apparaissaient, chaque jour, comme des camisoles qu'il fallait mettre en pièce. L'univers des forbans, formé depuis le “sursaut” du 19 juin 1965, avait un besoin irrépressible d'expansion. Les fortunes constituées à l'occasion des achats d'usines livrées “enveloppe en mains” et des produits de consommation obtenus “commissions en poche” avaient donné de l'envergure tant l'appétit et l'ambition étaient sans limites. Cela se produisit lors du sanglant braquage d'Octobre 1988. Néanmoins, les nouvelles conditions apparurent rapidement aléatoires. Les effets indésirables nés de cet historique forfait s'avérèrent de sérieux obstacles à la massification de la rapine. Le butin rapporté était si décevant qu'il devint impératif d'organiser un autre braquage et, ce faisant, mettre fin à “la récréation” apparue comme un effet pervers du premier. Ce fut alors, le tragique Janvier 1992 et ses méga prédations charriées par des oueds d'hémoglobine. L'ultime braquage, exécuté en Novembre 2008 par le métreur du 19 Juin, annula définitivement les dommages collatéraux du premier. Auparavant, mais dix ans après, la vieille idée d'Abderezzak Bouhara, publiée par Algérie Actualités en Octobre 1988, trouva enfin, dans l'alliance présidentielle, un aboutissement concret.
Les rares et maigres lignes de crédits obtenues sont rapidement épuisées. La demande est trop forte et l'offre est insignifiante. Mais dès 2000, les prix du pétrole grimpent, le casino fait le plein et la RADEP devint rapidement l'eldorado. Tous ces faits constituent des balises, construites avec un sauvage acharnement, à un enchainement ininterrompu d'hold up colossaux. Les défenseurs de l'ordre républicain tirent, alors, le jackpot.
26 milliards de dollars US ! Tel est le montant détourné estimé par Abdelhamid Brahimi pour la période 1962-1980. Pendant des mois, il fit l'objet de quolibets invraisemblables. Tirs groupés sur une cible qu'il fallait impérativement discréditer jusqu'à sa décrédibilisation. Pour avoir susciter l'emploi de toute l'armada contre sa personne, c'est que l'ancien premier ministre a touché l'espace hypersensible, la partie charnelle du milieu. Il avait osé braver la Loi de l'omerta. A cette occasion, les peines prévues par les parrains sont rappelées à toute personne qui serait tenté de suivre la voie de l'ancien premier ministre. Mais il n'a pas fallut attendre longtemps pour confirmer l'existence de ce crime. La commission d'enquête n'eût même pas le temps de confectionner de fausses empruntes. Abdelmoumen Khalifa eût le mérite d'apporter la preuve manquante à Abdelhamid Brahimi. 7 milliards de dollars US s'évaporèrent ! Insuffisance de preuves ? Kharroubi, le patron de la BCIA apporte un concours tout aussi assommant S'il y avait un Etat, il se serait effondré. En Août 2005, Nasreddine Saadi révèle la disparition de 75% d'une enveloppe de 7 milliards de dollars US, une dotation affectée à l'exécution du premier plan de relance. Relance de quoi ? De l'hémorragie ? Des économies des Etats parrains ? le FNDRA, la CNMA, l'autoroute Falcone-Khaled, les bateaux de pèche commandés à un fictif chantier naval Turc, le quota de thons abandonné dans des conditions faciles à deviner , des livres scolaires commandés à un imprimeur Libanais au milieu de l'année scolaire parce que le virement de la commission a tardé, BRC, Sonatrach, Orascom, les affaires explosent de partout. Avec les banques, on assiste à des razzias exécutées dans le plus pure style du moyen âge Maghrébin. Aucune d'entre elles n'échappe à des sacs répétés. L'acharnement est tel que les lecteurs de la presse eurent la nausée. Des milliards de dinars et plusieurs millions d'euros disparaissent Le vol se pratique à une échelle industrielle pendant que la Cour des Comptes est momifiée et l'IGF castrée. Elles font fonction de bibelots. On ne parle ici que du crapuleux gros bizness rapporté par la presse. Il serait fastidieux de parler du racket des gangs en bleu, en vert, en gris et en noir, des agents du fisc, des fonctionnaires communaux et des wilayas. Les régents sont si prévoyants qu'ils pensent même à la formation des cadres de demain. L'Etat ne doit pas s'éteindre avec la disparition des hommes, sermonnait le colonel. Chaque organisation syndicale d'étudiants, relais d'un parti politique, rançonne un groupe de fournisseurs de biens ou services aux œuvres universitaires. Dans ces syndicats, des étudiants ont acquis l'expertise nécessaire à une carrière professionnelle exemplaire. Les autres, ceux qui ont décliné la formation à ce management sont exportés gratuitement même s'ils ont coûté 40 milliards de dollars à Hassi Messaoud. Il faut reconnaitre cependant que le partage entre les syndicats estudiantins est si équitable que l'université resta longtemps un lieu de débauche très paisible.
Muletas, épouvante et réformes:
Personne n'a osé, à ce jour, écrire une histoire du FLN pour rendre intelligible la période comprise entre le congrès de 1964 et 2008. Les raisons de ce mutisme sont évidentes. Aucun dirigeant du PAGS n'a jugé opportun d'éclairer les militants et sympathisants par la publication d'un bilan ou d'une histoire du parti depuis sa fondation en 1966 jusqu'à l'apparition de ses métastases. Les raisons de cet évitement restent mystérieuses. Après avoir berné une génération entière, l'éthique dicte à l'homme politique de rendre compte de son action. C'est un devoir moral de s'expliquer sur le systématique “soutien critique” qui devint si critique que la critique s'effaça devant le seul soutien. Se réfugier dans le refoulement n'est pas l'attitude d'un communiste même si une fraction des “camarades” préféra hisser les bannières de Darlan et de Darnand bariolées d'une vulgate tirée d'un modernisme d'emprunt.
Je demande l'indulgence du lecteur pour ces propos qui peuvent paraître un abus de langage. A mon sens, les notions et concepts de la sociologie politique, du droit constitutionnel et de l'économie sont inappropriés pour comprendre les conduites des gangs qui tiennent “la société ”dans un tel état de soumission. Des universitaires, des journalistes et d'anciens hauts fonctionnaires glosent depuis des années sur des thèmes comme l'absence d'un projet de société, la constitution et les pouvoirs qu'elle consacre, la loi électorale, celle des finances, celle des partis, le code de l'information, les investissements et la “défaillance” des moyens de contrôle, l'absence d'un projet économique, la faiblesse de la production industrielle, les exportateurs des devises et la domination qu'ils exercent sur le marché noir, les désordres de l'agriculture, l'état comateux du cinéma et de la télévision, l'anarchie des plans d'urbanisme et les paradoxes des réformes de l'enseignement, le chaos de l'université, la banque et la fiscalité et les faux barrages qu'elles imposent à l'entreprise privée “parasitaire”, l'exil des cadres et l'entreprise publique économique organisée en confrérie. L'objet de ces travaux est de révéler le malfonctionnement- ou le disfonctionnement- des institutions de l'Etat. Ces contributions, souvent de qualité indéniable, permettent à leurs auteurs d'attirer l'attention des “autorités publiques” sur ce qu'ils considèrent comme étant des anachronismes. La naïveté a empêché, jusque là, la perception de l'intentionnalité, mieux, de la rationalité de l'agencement et du développement de ces “anachronismes”. D'un naturel foncièrement crédule, nos “observateurs avertis” attendront ad vitam aeternam les réformes politiques majeures qui propulseraient l'Algérie au statut d'Etat. J'imagine le fou rire des braqueurs publics à la lecture de leurs perspicaces descriptions, courageuses analyses et patriotiques suggestions.
Le délire politique auquel on s'est habitué a fini par nous contraindre à intérioriser le concept de l'Etat jusqu'à l'hypnose. Le bon sens et un minimum de lucidité auraient du nous permettre de démystifier les artifices et les ornements que les naphtotraficants ont construit comme leurres pour gérer notre passe-temps. Le clivage entre l'objet de référence, d'un côté, et le signifié et le signifiant, de l'autre, est manifeste. Piégés par les plaisirs des bivouacs, nos élites servirent de vecteurs au développement de l'illusion des institutions. Tels des matadors et pendant trop longtemps, ils ont orienté et focalisé notre attention sur les muletas. Cet embobinage a soustrait à notre perception la nature de faux pour usage de faux du régime régent.
Pour certains de nos intellectuels, ce sont là des idéologies populistes et des pratiques néo-patrimonialistes. La différence entre le néo-patrimonialisme et la lissocratie est la destination finale du produit rapiné. Dans le premier cas, le produit ne quittait pas le territoire national. Le jeu du conflit imposa aux acteurs économiques la nécessaire différenciation entre le patrimoine de l'Etat de celui des citoyens et de consacrer à la fois la consolidation et l'hégémonie du premier et, concomitamment, l'autonomie des particuliers. Dans notre cas, le produit du pillage quitte la sphère économique nationale pour être investi dans les marchés Européens et Asiatiques. Cette fuite des capitaux qui accompagne le pillage des entreprises étrangères rend la formation d'une bourgeoisie nationale impossible. Les nationalisations des années 60 et 70 et l'origine, souvent criminelle, des capitaux ont imposé une méfiance chez les détenteurs des grosses fortunes. Les placements d'actifs sous diverses formes sous des ”cieux sûrs” est devenu un reflexe consolidé par les dramatiques mésaventures d'hommes aussi puissants que Messaoud Zeggar, Seghir Mostefai et le général Belloucif, tous trois dépouillés de “leur patrimoine”. Le syndrome Zeggar a fixé un mode de conduite paranoïaque. L'épouvante que doivent vivre les hommes qui gèrent les “affaires publiques” rend l'idée du changement angoissante.
Le populisme et le néopatrimonialisme sont des notions à forte réverbération pour faire écran à un banditisme d'Etat facile à lire. Ce sont des notions qui légitiment plus qu'ils n'expliquent un état socio-historique. Dans son livre-témoignage “l'Algérie a l'indépendance : la crise de 1962” Benyoucef Ben Khedda nous révèle que l'Etat-major de l'ALN a dissimulé, rien qu'en billets de 20 dinars Tunisiens, l'équivalent d'un milliard d'anciens francs ! Cette découverte fut faite à l'occasion d'un changement de billets de banque pris par le gouvernement Tunisien au début de 1962 probablement à cause d'une faible circulation de ce billet de 20 dt. Un tel trésor, caché par les colonels de l'EMG alors que les djounoud de l'intérieur manquaient de tout, était une arme de guerre contre les moudjahidine, identifiés comme ennemis de premier niveau ! Pendant trois longues années, de 1957 à 1959, l'armée Française a construit, en toute quiétude, un barrage fait de barbelé, mines anti personnel, lignes électrifiées et radars sur une longueur de 690 km le long de la frontière Ouest et un ouvrage de même nature d'une longueur de 460 km le long de la frontière Est. A aucun moment, l'Etat-major général n'essaya de gêner, un tant soit peu, l'exécution de ces travaux. Bien au contraire, il encouragea les indigènes à participer à la construction de la ligne Morrice puis sa doublure, celle dite Challe à condition de verser une partie des salaires aux collecteurs de l'ALN ! “Il nous faut des ressources financières” leur disaient-ils, nous apprend Mohamed Harbi dans le FLN mirage et réalité. Le chef de l'Etat-major et ses responsables hiérarchiques, les trois membres du comité interministériel de guerre, refusèrent d'ordonner le harcèlement de l'ennemi pendant toute la durée de construction de cet ouvrage. Un plan de sabotage de ce barrage conçu par Abdallah Larbaoui, responsable militaire de la zone de Ghazaouet, fut rejeté ! Cette attitude n'était ni de l'incurie comme l'a qualifiée M. Harbi, ni de l'incompétence comme l'a jugée B. Ben Khedda. C'était tout bonnement un crime contre l'ALN de l'intérieur. Dès le congrès de la Soummam, elle était devenue la cible ennemie par excellence. Son asphyxie était l'objectif de son propre commandement, installé en Tunisie et au Maroc, mais aussi celui de l'armée d'occupation qui devenait l'alliée naturelle du premier. Cette bienveillante coopération faisait suite à une autre collaboration, celle qui a permis la sanglante destruction de l'Union Syndicale des Travailleurs Algériens. A partir de Mars 1956, après le vote des pouvoirs spéciaux, la police arrête les dirigeants de l'USTA. Les groupes de choc constitués par la fédération de France du FLN se chargèrent, de leur côté, de liquider physiquement les principaux responsables de cette organisation syndicale. Cette coopération laissa le champ libre à l'UGTA qui offrit en sacrifice Aissat Idir dont le martyre servit à légitimer le syndicat monté par R. Abbane.
Les concepts de l'anthropologie et de l'ethnologie sont, me semble t-il, mieux indiqués pour cerner, sans risque d'approximation, la persistance des phénomènes des seigneurs de guerre, cachés derrière des masques institutionnels en miettes, de la razzia comme pratique exclusive qui se sert de l'économie comme alibi et, plus prégnant encore, cette tendance obsessive à sprinter, dans l'indignité, derrière la protection des puissants. Envoutée par les parrains, une partie de la population tire son bénéfice de sa proximité avec le maître qui transforme la soumission de ses obligés en des attributs de seigneurs. Ce n'est pas le fait du hasard si le crédo des zouaves : l'homme qui partage le lit de ma mère est mon père est le mieux partagé par notre génération. La raison est qu'elle accepte de vivre dans une société naturelle puisque “l'ordre” est fondé sur le tag ala men tag. Passer à une protosociété n'est pas dans ses projets. Naddi haqy en pensant tirer son épingle du jeu ou takhti darna oua tfout qui devient inévitablement takhti rassi oua tfout sont des postures qui n'ont jamais choqué. Le mécanisme de rationalisation des dissonances s'est adapté par le jeu de la substitution d'une corbeille par une autre. Celle du mektoub par celle du système.
Un demi-siècle d'une indépendance très chèrement acquise après une très longue et sanglante occupation pendant laquelle des théoriciens Français ont pensé sérieusement à l'extermination de nos ancêtres, nous voila de nouveau, vivant exactement les conditions à l'origine du 05 Juillet 1830 ! La puissance des Deys, de leur flotte, de l'Odjak et de ses janissaires, du quadrillage des tribus par le makhzen, des gros revenus de la course et du commerce des céréales, de la pacification des tribus raaya jusqu'à l'écrasement ont trompé les régents. Obsédés par le pillage auquel ils se sont accoutumés pendant plus de trois siècles et au transfert des produits de leurs rapines vers, notamment, Naples, Alexandrie et Izmir, ils ne pouvaient prendre conscience de l'état fictif de leurs forces. En quelques heures seulement les troupes Françaises paradaient à Alger. La surprise fut totale. Comme en Juillet 1830, nombreuses sont les sentinelles qui veillent à la conservation de la RADEP, tel un surgelé dans une chambre froide, et qui trépignent d'impatience dans l'attente d'Alfred d'Aubignosc pour un festin en présence du nouveau maître. Slimane, El moro maydir al beylek disait Raul, un Espagnol d'Oran venu faire ses adieux à son ami, la veille de son départ définitif fin 1962.
Qui “réussira” à clore une récréation qui aura duré 50 ans ?
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