Beaucoup de voix s'élèvent pour demander à ce que le hirak se structure, s'organise et se donne des représentants locaux et nationaux. Ce serait une erreur stratégique que l'Etat-Major exploitera pour diviser et affaiblir la dynamique du mouvement, comme l'a fait le DRS lors de la protestation populaire en Kabylie en noyautant les ‘arouchs et en provoquant leurs divisions. Le hirak est un mouvement social porteur d'une revendication nationale qui réunit l'ensemble des couches de la société. Il ne peut par conséquent se donner une organisation partisane que se disputeront les différents courants idéologiques dans la société. Il rassemble des Algériens de convictions politiques différentes, réunis par un seul mot d'ordre qui fait sa force : le transfert de l'autorité de l'Etat à des civils. Il est difficile de diviser le hirak sur cette revendication : dawla madania, machi ‘askaria est un slogan scandé par des centaines de milliers de manifestants tous les mardis et vendredis. Le hirak n'est pas porteur d'un projet de société ; il est porteur d'un projet d'Etat où le président et les députés sont élus démocratiquement et non désignés par la hiérarchie militaire. La structuration et la réorganisation du champ politique commencera avec la transition qui mettra fin aux partis artificiels subventionnés par l'argent public. Une nouvelle loi électorale fixera les conditions de création et de participation politique à des partis porteurs de projets sociaux et économiques qu'ils proposeront aux électeurs. Il y a deux étapes dans le hirak qu'il ne faut pas confondre : le départ du régime actuel et la construction institutionnelle du nouveau régime. La première étape est plus facile, car il est plus facile de mobiliser contre un régime qui a porté atteinte aux intérêts de la nation. La seconde étape est plus difficile car comme toute société, la société algérienne est divisée idéologiquement et politiquement. Il faudra alors s'entendre sur les règles de la compétition électorale avec deux principes non négociables : la liberté d'expression et l'alternance électorale. Il ne faut pas tomber dans le piège de janvier 1992 et répéter la tragédie nationale qui a coûté 200 000 morts. Si un parti gagne les élections, ses adversaires doivent le combattre légalement, dans le cadre de l'ordre constitutionnel, et chercher à l'affaiblir électoralement en attendant la prochaine échéance. En conclusion, les Algériens seront unis pour arracher la transition vers un régime civil, et pour cette tâche, ils n'ont pas besoin de structures organiques. Il faut juste obliger l'Etat-Major à négocier la transition avec des militants emprisonnés, renforcés par quelques personnalités crédibles qui n'ont jamais eu aucun lien avec le régime. Le hirak réussira parce que son objectif est clair et correspond à une profonde aspiration nationale à laquelle adhèrent aussi beaucoup de militaires : un Etat de droit dirigé par une élite sortie des urnes et non fabriquée artificiellement dans les laboratoires de la police politique.