Les phénomènes de la contrebande et du marché noir qui touchent la filière pharmaceutique sont une menace trop négligée pour la santé et l'économie nationale. Ce fléau, qui ne cesse de prendre de l'ampleur, est beaucoup plus lucratif et nettement moins risqué que la contrebande de drogues. C'est en tout cas ce que révèle le bilan des services de sécurité de la wilaya, dévoilé lundi, lors d'une conférence de presse, organisée au siège du Groupement de la gendarmerie de Guelma, pour la presse locale. Concernant le trafic des psychotropes, le bilan de la police judiciaire de cette structure fait ressortir le traitement de 6 affaires ayant trait à ce dossier impliquant une quinzaine de personnes en 2018. Ces opérations ont permis la saisie de 6 056 comprimés psychotropes. «Une grande partie du lot a été saisie grâce à la collaboration avec les services du Groupement de la gendarmerie de la wilaya d'El-Tarf, limitrophe avec la Tunisie, qui attire notre intention sur les déplacements très fréquents des suspects sur le territoire tunisien», dira l'officier chargé du dossier. Lors de cette conférence de presse, les intervenants ont soulevé le fléau de la contrebande des produits pharmaceutiques. Mais de quels types de médicaments s'agit-t-il ? D'où viennent-ils ? Comment arrivent-ils dans notre pays ? Des médicaments qui arrivent de l'étranger… Selon les enquêteurs, ils viennent de l'extérieur, majoritairement de Tunisie . «Des individus inconnus se présentent quotidiennement dans des officines de Guelma pour prendre des médicaments sur ordonnances prescrites aux noms des assurées de la Cnas, que moi personnellement je refuse de servir, en raison la facture trop élevée, et en plus, ce scénario devient de plus en plus fréquent et donc suspect», témoigne une pharmacienne. Et d'ajouter : «Ces médicaments seraient destinés à être échangés contre d'autres produits pharmaceutiques. C'est le cas de l'insuline qui est cédée contre des psychotropes.» «Cette pratique cible essentiellement la prégabaline (Lyrica), qui appartient à la classe des analgésiques, prescrite pour soulager la douleur neuropathique, notamment chez les diabétiques», tient à préciser un autre pharmacien du centre-ville de Guelma. Pourquoi Lyrica ? «C'est un produit qui ne figure pas sur la liste des psychotropes et sa délivrance en Tunisie n'obéit pas aux mesures dictées par l'instruction qui régit la distribution des psychotropes dans les officines, et cela contrairement dans notre pays où les pharmaciens sont tenus d'enregistrer la sortie de ce médicament dans le registre de police, en appliquant la même procédure pour les psychotropes, du fait qu'il est utilisé comme stupéfiant dans certains milieux de jeunes», déclare un officier de la police judiciaire du Groupement de la gendarmerie, lors de ce point de presse. «Si ces pratiques ont cours, c'est surtout en raison d'un manque de rigueur ou d'un laisser-aller de la part des services concernés, sinon comment des indélicats se procurent des ordonnances dont la valeur des médicaments est évaluée à pas moins de 70 000 DA, et avec une telle facilité ?», s'interroge un pharmacien affilié au Syndicat national des pharmaciens d'officine (Snapo). A cela s'ajoutent «les produits cabas» … Un jargon utilisé communément dans la filière pharmaceutique. Même constat pour ce fléau qui frappe de plein fouet l'économie nationale. Un responsable local du bureau de la section ordinale des pharmaciens explique que «ce type de contrebande cible plutôt les médicaments traitant les maladies chroniques comme le diabète, l'hypertension, l'asthme et autres pathologies cancéreuses et gynécologiques. En Algérie, ces médicaments qui sont subventionnés par l'Etat connaissent parfois des perturbations dans la distribution». Cette situation constitue un créneau particulièrement juteux pour les trabendistes de la filière du médicament. «Ces réseaux ramènent ces produits de l'étranger et essentiellement de Tunisie, pour les écouler sur le marche noir et même dans certaines officines et sans vignettes. Ils profitent de notre détresse pour nous exiger des prix exorbitants», témoigne une malade septuagénaire. «Il s'agit notamment de Colpotrophine, traitement hormonal en capsule vaginale, Avlocardyl 40 pour l'hypertension artérielle, et la prévention des crises douloureuses de l'angine de poitrine, la gonadotrophine 1500, la testostérone injectable… », révèle-t-on. Et plus grave encore, ces médicaments n'obéissent pas au contrôle systématique, et constituent ainsi un danger certain pour la santé du citoyen. Et dans ce cas, la menace de la circulation dans notre pays de médicaments contrefaits est bien réelle. «Nous sommes prêts à collaborer avec les secteurs concernés pour remédier à ces pratiques qui vont à l'encontre des principes de la déontologie et qui sont surtout réprouvées par la loi», affirment le syndicat et l'Ordre des pharmaciens. Selon ces derniers, ce mode opératoire s'applique aussi à certains médicaments à usage hospitalier, la forme injectable essentiellement. «Ils les volent dans les établissements publics de santé pour alimenter les réseaux de contrebande», indique une source proche des services de sécurité. «Ces médicaments sont ensuite revendus dans des antennes relais qui se trouvent dans le territoire tunisien», révèle-t-elle. Ces cas reflètent des défaillances dans la gestion des médicaments dans nos hôpitaux, selon les observateurs. …Et les médicaments et les dispositifs médicaux potentiellement dangereux Nombreux sont les témoignages d'hommes et de femmes qui révèlent que ces réseaux illicites s'investissent aussi dans la commercialisation des produits indiqués dans les troubles de l'érection et l'asthénie sexuelle chez la femme, ou utilisés dans le milieu sportif pour accroître les performances (anabolisants stéroïdiens…). Ces substances sont d'origine incertaine ou potentiellement falsifiées car elles échappent au contrôle systématique des produits pharmaceutiques. L'autre contrebande qui sévit à l'intérieur Selon des sources concordantes, les trabendistes dans la filière du médicament s'approvisionnent directement auprès de certains laboratoires qui activent sur le territoire national en médicaments non facturés. Ces réseaux alimentent essentiellement les épiceries et marchés informels des zones enclavées. «Il s'agit surtout d'antipyrétiques (contre la fièvre) et des antalgiques et antispasmodiques (contre les douleurs), comme le Paracétamol et le Spasfon, sous forme de comprimés», nous explique un pharmacien d'officine qui exerce dans une zone rurale de la wilaya de Guelma. En effet, et selon des riverains, des épiciers des zones éloignées vendent en détail le Doliprane (Paracétamol), les antispasmodiques et, plus grave encore, certains commerçants indélicats proposent même des antibiotiques. Les professionnels de la santé dénoncent ces pratiques mises en place et qui rongent le domaine médical, et dont les maillons de cette chaîne dans la filière du médicament se sont malheureusement accommodés. «Aujourd'hui, des praticiens spécialistes privés vendent des produits des vaccins…», dénoncent certains médecins consciencieux. La santé des citoyens ainsi que l'économie nationale sont mises en péril «Le risque sanitaire pour les patients est avéré : les produits cabas échappent au circuit national de contrôle, la date de péremption n'est plus une indication fiable, surtout que rien ne garantit le respect de la chaîne de froid tout au long du circuit informel de distribution», indiquent les professionnels de la santé. Selon des épidémiologistes, les intoxications médicamenteuses sont de plus en plus fréquentes ces dernières années. Pour ces derniers, «à défaut de contrôle, le malade risque de prendre des médicaments sous-dosés ou, au contraire, surdosés, et qui peuvent aussi contenir des molécules ou des excipients toxiques». Derrière les enjeux sanitaires, il y a un réel problème économique. Ce trafic reste le seul gagne-pain du dernier maillon de la chaîne, les petits revendeurs qui sont exploités par les chefs des réseaux, qu'il faut les traquer. Donc à cela s'ajoute le manque à gagner pour les caisses de l'Etat mais aussi pour les pharmaciens d'officine. «Ce circuit informel dans le marché du médicament nous fait perdre beaucoup d'argent», s'indigne une pharmacienne d'officine du centre-ville de Guelma. Evidemment, l'Etat aussi perçoit moins d'impôts. La sonnette d'alarme est donc tirée et n'est-il pas urgent de donner un grand coup de pied dans la fourmilière ? L'appel est donc lancé pour mobiliser toutes les parties concernées dont les médecins, les pharmaciens…, en faveur de la lutte contre les trabendistes de la filière pharmaceutique et les faux médicaments, un fléau mondial. Noureddine Guergour