Depuis le début de la troisième vague épidémique située officiellement au milieu du mois de juin dernier, la wilaya de Tizi-Ouzou a enregistré des cas qui frôlent la barre du millier de contaminations et des décès annoncés avec une cadence quasi ininterrompue. Retour sur une folle semaine rythmée par la détresse, les scènes d'angoisse et de colère provoquées par des épisodes répétés d'épuisement des stocks d'oxygène dans les hôpitaux, de deuil et de tristesse mais aussi d'espoir suscité par la solidarité citoyenne pour enrayer la spirale du malheur et de la mort. Une flambée épidémique inattendue Tel un ennemi insidieux, le virus s'est insinué subrepticement, causant au cours de sa rapide progression un nombre de contaminations qui a surpris les citoyens qui passeront vite de la curiosité suscitée par l'apparition d'une nouvelle forme de coronavirus à la sidération en raison de l'ampleur et de la fulgurance des infections et des décès que cet agent infectieux aura causés en un laps de temps très court.
Plus de 500% de malades hospitalisés oxygéno-dépendants Dès le début de la deuxième quinzaine du mois de juillet, le pic des contaminations montera de façon exponentielle. Dès lors, on assistera à des évacuations ininterrompues de malades vers les structures hospitalières de la wilaya dont les responsables ont dû agir dans l'urgence pour aménager des services et des lits supplémentaires pour faire face à l'afflux incessants des malades. Dans beaucoup de cas, les patients transférés étaient dans un état jugé difficile, transformant, du coup, les services dédiés au Covid-19 en de véritables unités de soins intensifs. S'exprimant devant les élus de l'APW réunis en session ordinaire, le 26 juillet dernier, le directeur local de la santé parle de 922 malades du Covid-19 dont 40 admis au service de réanimation, occupant ainsi près de la moitié des 78 lits prévus à cet effet. En 48 heures, le nombre des patients connaîtra un bond de plus de 90 malades puisque la veille de la tenue de la session de l'Assemblée de wilaya, il est fait état de 836 patients hospitalisés dont 803, soit près de 90% d'entre eux sont déclarés comme oxygéno-dépendants. Un nombre certainement sous-estimé, car ne tenant pas compte des personnes infectées non déclarées ou confinées à domicile. Ce dont témoignera le Dr Sid Ali Youcef, élu à l'APW de Tizi-Ouzou et médecin spécialiste exerçant à l'EPH de Aïn-el-Hammam, au micro de Berbère Télévision, en affirmant que «des malades sont décédés aussi chez eux». Et les décès étaient aussi nombreux dans les structures hospitalières même si le premier responsable de l'autorité sanitaire de la wilaya tente de minimiser leur ampleur. Il parle de 55 décès seulement enregistrés depuis le déclenchement de la troisième vague pandémique qu'il situe au début de la première quinzaine du mois de juin. Le chiffre que ce responsable a fourni n'a pas convaincu grand monde parmi l'assistance au sein de l'hémicycle de l'APW, et le premier responsable de cette institution ne s'est pas gêné pour le dire en jugeant le décompte du DSP en deçà de la réalité. «Vu les décès que nous enregistrons quotidiennement, le nombre total est bien au-dessus de ce chiffre», a rétorqué Youcef Aouchiche qui déplore, à l'instar de nombreux élus, que des malades meurent par manque d'oxygène. Sur les réseaux sociaux, on annonce avec affolement des décès en grand nombre au niveau des différents EPH de la wilaya. Des informations auxquelles il est, bien entendu, difficile de donner foi, en raison de l'impossibilité de les confirmer auprès des sources autorisées. Ce qui est sûr, ce sont ces défilés de cercueils sortant des hôpitaux et ces enterrements en série dans le village qui peuvent être masqués par le black-out sur l'information imposé par les autorités sanitaires locales qui adoptent plutôt une attitude de carpe. Tirs groupés contre une gestion de la crise en dents de scie «Nous n'avons pas su tirer les leçons des deux premières vagues de la pandémie qui a débuté en 2020. On aurait dû prendre nos dispositions pour que l'oxygène soit disponible», déplore le Dr Msela du FFS qui se dit scandalisé par les décès pour cause de manque d'oxygène dans les hôpitaux. «Mourir dans un hôpital par manque d'oxygène est inadmissible. Il y a eu, malheureusement, beaucoup de morts, et c'est très grave», s'est emporté le Dr Msela, s'indignant contre le fait qu'un hôpital de dimension régionale comme le CHU de Tizi-Ouzou, qui dispose pourtant d'un budget énorme, ne soit pas pourvu de sa propre source de fabrication d'oxygène. Prenant le relais, Ferhat Sadoudi, élu du même parti, a affirmé que la crise de l'oxygène est un problème de gouvernance qui incombe au gouvernement. Pour sa part, Hami Rachidi, élu indépendant, reprochera à l'autorité locale de la santé de pécher par manque «d'anticipation et de vision stratégique dans la gestion de la crise» ajoutant : «Aucune mesure préventive n'a été prise pour faire face au tsunami des contaminations.» S'adressant toujours au responsable local de l'autorité sanitaire, Hachemi Radjef, président de la commission hygiène et santé, pointe les ratés d'une gestion qui, selon lui, n'a pas tenu compte des expériences précédentes. «D'évidence, la gestion chaotique de cette crise sanitaire a mis à nu l'incapacité à apporter des solutions promptes et efficaces aux urgences de l'heure. Nous continuons à naviguer à vue, sans perspectives, sans tableau de bord, abandonnant le gouvernail à l'improvisation. Pendant ce temps, les gens meurent par manque d'oxygène», s'alarme l'élu qui met l'accent sur un autre aspect lié à la gestion de cet épisode pandémique, faisant référence à l'absence d'une enquête épidémiologique. «Il est regrettable de constater qu'il y a absence de statistiques fiables et scientifiquement prouvées qui permettraient de connaître les périmètres des clusters, des catégories des personnes les plus touchées... c'est la confusion totale», déplore-t-il, tout en mêlant sa voix au concert des critiques de la gestion par les autorités de la crise de l'oxygène. Une crise qui s'explique, selon le DSP, le Dr Mohamed Mokhtari, par la hausse du nombre de patients qui a entraîné une surconsommation puis encore par des perturbations dans l'approvisionnement en hôpitaux en ce fluide médical. L'affirmation est partagée mais dans son aspect scientifique et médical par le Dr Y. Sid Ali, élu et médecin à l'EPH de Aïn-el-Hammam. «Le nouveau variant s'attaque directement et massivement aux poumons des patients qui se retrouvent rapidement atteints à une moyenne de 60%, et c'est pour cela que les malades ont besoin de beaucoup d'oxygène et d'une hospitalisation moyenne de 10 à 15 jours», expliquera-t-il. L'élu nuancera son propos, et dénonce « la gestion bureaucratique et centralisée de la distribution de l'oxygène», jugeant inefficace et contreproductive l'action de la cellule nationale de gestion de l'oxygène médical placée sous l'autorité directe du Premier ministre. Un avis longuement expliqué par le Dr Y. Sid Ali sur Berbère Télévision. «L'ouverture de nouveaux lits d'hospitalisation pour l'augmentation des capacités d'accueil ne permettra pas de juguler la crise tant que la question de l'oxygène n'est pas réglée», dira-t-il en mettant l'accent sur le respect des mesures barrières «pour couper la chaîne de transmission du virus» . Solidarité citoyenne et dynamique caritative en action L'aggravation de la crise d'oxygène a servi de déclencheur à une dynamique caritative d'envergure ; un énorme élan de solidarité s'est emparé des citoyens pour se prendre en charge et doter les hôpitaux en matériels d'oxygénothérapie. Des cagnottes sur les réseaux sociaux ont été ouvertes, des quêtes ont été organisées dans les villages et les villes pour lever des fonds, des opérateurs économiques locaux ont agi en sortant le chéquier soit pour équiper les structures hospitalières en matériel médical ou station de production de l'O2. Ainsi, un entrepreneur de Bouzeguene et un autre de Aïn-el-Hammam ont passé des commandes pour l'acquisition de centrales de production d'oxygène au profit des EPH, respectivement de Bouzeguene et de Ain-el-Hammam. Grâce à la mobilisation des citoyens, l'hôpital d'Azeffoun est doté dune centrale de production d'oxygène médical. qui est désormais fonctionnelle après son installation en un temps record. Achetée à crédit, cette station a été payée par un opérateur économique de la wilaya de Béjaïa. Et les mêmes opérations de solidarité et d'entraide se poursuivent pour l'achat des équipement adéquats au profit des hôpitaux d'Azazga, de Larbaâ-Nath-Irathene, de Boghni et de Draâ-el-Mizan, afin de les rendre autonomes en matière d'oxygène. S A. M.