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BOU-SA�DA
La cit� du bonheur, entre nostalgie et ranc�urs
Publié dans Le Soir d'Algérie le 12 - 03 - 2013


Par Farouk Zahi
Celui qui n�a pas revisit� cette vieille cit� oasienne depuis 10 ou 15 ans sera certainement frapp� par cette exub�rance urbaine qui ne sied pas au calme l�gendaire de la cit�. Happ� par un fol carrousel automobile, il ne pensera plus � admirer, comme jadis, les dunes ondulantes de l�oued Maitar ou la palmeraie visible de loin.
L es voraces pelleteuses ont eu raison du lit de l�oued et m�me du sable dunaire. Les chantiers du centre du pays, en manque de ce pr�cieux mat�riau, s�approvisionnent icim�me. Le b�ton, l�aluminium et les couleurs criardes ont fait le reste. Deux mondes parall�les se c�toient et ne se voient pas, le jeune conducteur aux lunettes fum�es, kit � l�oreille et bras tendus sur le volant de son 4x4 rutilant, et l�homme d�guenill� poussant son baudet de colportage. Ancien centre culturel � rayonnement r�gional, la cit� geint sous le d�pit du lustre perdu. Le cours compl�mentaire de l��cole coloniale, qui eut pour �l�ve, entre autres, le futur Pr�sident Boudiaf, suppl�ait � celui du chef-lieu qui n�existait pas comme tel encore. Au lendemain de l�ind�pendance, l�Institut islamique issu de la M�dersa libre formait de pleines cohortes de jeunes venus d�horizons divers. Nous nous astreindrons, dans le propos, � �voquer quelques secteurs dont le d�ficit est si pr�gnant qu�il est du devoir de chacun et quel qu�en soit le niveau de responsabilit� de s�en inqui�ter. Il faut convenir que m�me d�figur�e, l�agglom�ration est irr�versiblement citadine et que, par cons�quent, elle doit b�n�ficier, non pas du traitement r�serv� � une quelconque da�ra rurale, mais bien plus que cela. Il s�agit en fait d�une ville dont la population d�passe de loin celle de certains chefs-lieux de wilaya, qu�ils soient du nord ou du sud. A ce titre, et en comparaison avec les villes voisines dont la physionomie socio�conomique a chang� par le fait de leur statut administratif, elle marque le pas en d�pit des sommes colossales que les diff�rents plans de d�veloppement lui consacrent assur�ment. La probl�matique est certainement ailleurs. Les quelques volets que nous tenteront d�aborder sont, � notre sens, les plus ressentis mais pas forc�ment exprim�s.
Urbanisation et mobilier urbain
D�lest�e de son caract�re oasien, qui alliait b�ti ancestral et b�ti colonial, la cit� est en phase de devenir hybride et sans caract�re typique. Pendant que le vieux b�ti est presque � l�abandon, dont l�inestimable patrimoine du ksar, le nouveau n�arrive pas � r�g�n�rer la ville pour une avantageuse substitution. La nouvelle ville aurait d� �tre � la jonction du nouveau et de l�ancien tissu urbain. Des unit�s d�habitats auraient pu �tre �rig�es dans des enclaves d�anciens quartiers avec le double avantage de densifier l�occupation et de bonifier l�urbanisation. On aurait pu, comme dans la vall�e du M�zab, pr�server le style architectural par l�adaptation du nouveau b�ti au contexte local. Nous ne for�ons pas le trait en �voquant la vall�e du M�zab, quand on sait que Gharda�a et Bou-Sa�da ont des similitudes frappantes dans leur topographie et leur sociologie. Fleurons du tourisme oasien, elles ont perdu de mani�re in�gale leurs attraits. Bou-Sa�da, d�personnalis�e par le parpaing, gagnerait � �tre sauv�e. Il y a lieu de citer � titre illustratif la diff�rence criante entre les ksars de Gharda�a et le quartier d�El-Qa�ssa, dont la construction en d�grad� peut �tre esth�tiquement am�lior�e par le mortier traditionnel et la chaux. L�on nous dira � juste titre, que le citoyen mozabite est traditionaliste par essence, le Bou- Sa�di l�est aussi, mais des contingences ont fait qu�il passe son temps � ruminer une d�ception qu�il n�arrive toujours pas � transcender. L�harmonie jadis obtenue au moyen d�une architecture qui faisait �pouser le b�ti ocre avec son support topographique est violemment agress�e par des �l�ments modernes de construction. Les exemples les plus marquants sont la nouvelle gare routi�re et le syndicat d�initiative qui jurent pas leur vitrage, leur aluminium et l�incongrue couleur orange. Ils viennent d��tre rejoints par la poste principale en �bleu et jaune� qui barbouille l�harmonie visuelle jusque-l� obtenue par le champ de Bordj Essa� (ex-Fort Cavaignac) et l�ancien h�pital colonial. Quant aux r�servoirs d�eau de couleur bleue perch�s sur des collines, cela fait d�j� longtemps qu�ils parasitent le panorama. L��clairage public affubl� au centre-ville par des points lumineux d�ambiance et excessivement chers n�arrive pas � lutter contre la p�nombre ou peu. Pendant que la voie rapide Bou-Sa�da- Eddis est profus�ment �clair�e sur 14 km, des quartiers entiers sont mal �clair�s. Il suffit pour cela de faire une incursion nocturne pour s�en rendre compte. Loin de nous l�id�e d�une quelconque d�n�gation des efforts consentis depuis des d�cennies par les uns et les autres, mais il est du devoir de chacun d��valuer � leur juste mesure les retomb�es aussi bien positives que n�gatives de tout acte de d�veloppement. L��valuation sereine ne fera qu�aider les promoteurs � plus de pertinence dans leur d�marche de planification.
�Le pantalon�
L�agglom�ration actuelle et dont la population a �t� multipli�e par 4 ou 5 depuis les ann�es 1960, d�passant d�j� les 150 000 �mes, �touffe sous le flot du parc roulant. Il n�existe en fin de compte qu�une seule rue � double voie o� se d�verse tout le trafic routier. Certains l�appellent avec ironie : �Le pantalon�. Malgr� son anciennet�, le quartier du 1er- Novembre sur la rive droite de l�oued n�a b�n�fici� que de peu d�am�nagements urbains ou du moins d�int�r�t soutenu des am�nagistes. Appel� toujours, �Dachra-El-Gueblia�, il conserve jusqu�� l�heure son caract�re semi-rural ou semi-urbain selon l�angle de vue. Il en est d�ailleurs de m�me pour les quartiers populaires de Sidi-Slimane ou m�me ceux appel�s pompeusement r�sidentiels tels que Slimane-Amirat, Chabani et bien d�autres. La nouvelle ville n��chappe pas � la r�gle. Sous-�quip�e et pauvre en mobilier urbain, elle souffre d�une voierie d�grad�e � telle enseigne, que le sol chahut� prend ses droits. Sa construction en conurbation fera perdre, � br�ve �ch�ance, le souffle aux VRD. Le creusement du r�seau d�assainissement laisse toujours de profondes scarifications sur l�asphalte qui tardent � �tre reprises. Le seul aspect urbanistique que pr�sente la ville se trouve, malheureusement, conserv� par le quartier anciennement europ�en et c�est vexatoire. L�unique pont qui relie les deux rives de l�oued ne r�ussit pas � faire la jonction harmonieuse et continue entre les espaces urbains. Emport� par les flots, sa destruction a oblig� les r�sidants � faire le d�tour par la route de Biskra et pendant longtemps. La politique de la ville doit �tre dans ce cas pr�cis volontariste et m�me t�m�raire. Elle devra tailler dans le vif quitte � recourir � l�expropriation. L�agglom�ration a plus que jamais besoin d�un nouveau maillage de voies d�acc�s et d��vacuation. Les sites historiques partent inexorablement en ruine. Il s�agit de la vieille M�dina dont plusieurs tentatives de r�habilitation n�ont pas �t� concluantes, le fort du sinistre Cavaignac et sa muraille, la maison o� a s�journ� � la fin de sa vie El Emir El Hachemi et tout l�environnement du Mus�e national Nacereddine-Dinet o� il faut inclure la maison dans laquelle Si Mohamed Boudiaf a pass� son adolescence. En ce qui concerne les espaces de convivialit�, � part le fam�lique square El-Wiam, il n�existe aucun parc ou espace vert o� les familles peuvent s�a�rer. L�unique place publique, poumon jadis de la ville et baptis�e �place des Martyrs� pour avoir re�u les corps ensanglant�s de 14 chahids pendant la R�volution, est livr�e � la cur�e de l�informel. La rue de la R�publique, anciennement rue principale pour ne pas citer le nom du capitaine colonial qui lui a donn� son nom, est dans un piteux �tat. Encombr�e par le stationnement bilat�ral et les taxis clandestins, elle fait peine � voir par l��tat de ses trottoirs et ses fa�ades d�cr�pies. L�entr�e nord de la ville qui en est la premi�re fa�ade expos�e au regard du visiteur est quelconque. On est happ� de prime abord par la client�le des deux stations-service datant des ann�es 1960 et qui se trouvaient � l��poque bien loin des habitations. L�arr�t de bus et le march� d�glingu� participent � la cohue g�n�rale � qui il faut ajouter le flux routier vers Biskra ou Alger. Le projet de contournement de la ville tarde � voir le jour. Les quelques plaques qui portent des d�nominations de rues n�ont pas �t� refaites depuis leur installation premi�re en 1962 ou 63 ; elles en deviennent difficilement lisibles. Plusieurs rues et ruelles n�ont jamais port� de noms malgr� la longue liste de personnalit�s �rudites et militantes que la cit� a enfant�es. Nous citerons, en prenant le risque d�en omettre beaucoup, Belkacem Hafnaoui, Brahim Markhouf, Ammar Ch�rif, Kaddour Bena�ssa, Mohamed Khalifa dit Hadj Zerrouk, Khalil Kacimi, A�ssa Bisker, Ahmed Kir�che (Bendjeddou), Terfaya Abderrahmane, Bena�ssa Belkacem, Ahmed Bisker de l�ex-Organisation sp�ciale (OS) de Belcourt, Abdelkader Amari, Abelkader Daloui, Abdelkader Amrane, Abdelkader Zelouf et enfin Salah Chouikh, membre fondateur de l�Etoile nordafricaine( ENA).
Equipements publics
Il est de notori�t� publique que les organismes et autres institutions, au lieu de participer � l�am�lioration du b�ti par l��dification de leur propre si�ge, parasitent le parc immobilier communal et se complaisent dans des situations de d�nuement av�r�. C�est ainsi que les Caisses de retraite g�n�rale (CGR) et celle des assurances des non-salari�s Casnos) occupent des cagibis indignes de ces institutions nationales. La Banque nationale d�Alg�rie (BNA) gite dans un si�ge qui ferait honte � une quelconque institution, m�me caritative. Il en est de m�me pour Sonelgaz, dont la client�le couvre 5 da�ras. Il faut assister au rush de l�encaissement des redevances pour se faire une id�e. Le p�t� d��tablissements publics qui pr�tend �tre le centre administratif et financier est un conglom�rat de b�tisses aussi inesth�tiques qu�inadapt�es. Relativement r�cent, le si�ge de la commune ne semble plus �tre adapt� � ses missions institutionnelles. Jouissant depuis l��poque coloniale d�une agence Air Alg�rie, la ville l�a d�finitivement perdue depuis 2005 et sans appel. En ce qui concerne le r�seau postal, il n�existe que bureaux de poste, RP comprise. Le ratio actuel ne peut �tre que de 1/30 000 hab. Le si�ge de la da�ra, m�me s�il b�n�ficie d�une convenable assiette, n�est pas mieux loti. La vieille construction jure par son anachronisme. D�ailleurs, son extension s�est faite au d�triment d�un court de tennis que les plus de 60 ans ont fr�quent� bien avant ceux de Biskra qui est devenu une grande �cole nationale depuis lors. Le projet du nouveau tribunal, annonc� � plusieurs reprises, semble faire du sur-place.
Transports publics
Si l�on veut mesurer la d�sh�rence d�une ville comme Bou Sa�da, il suffit de jeter un coup d��il sur les transports urbains. Les quartiers p�riph�riques les plus chanceux sont desservis par de vieilles guimbardes p�taradantes d�un autre �ge. Quant au reste du tissu urbain, il subit le diktat des taximen et autres fraudeurs. De vieilles voitures particuli�res conduites par des individus hirsutes assurent une mission de service public que l�Etat leur a, inexplicablement, abandonn�e. Heureux d�j� qu�elles existent, car sans cela, la marche � pied aura �t� de rigueur. Nous avons appris, avec bonheur, que l�agglom�ration d�In Salah (34 000 hab) vient de b�n�ficier d�une unit� de transport public. Le plan de circulation, qui existe probablement, n�a certainement pas �t� r�actualis� depuis fort longtemps ; la preuve en est administr�e par l�embouteillage chronique du centre-ville. L�a�rodrome d�Eddis, pour lequel a �t� consacr� un substantiel budget, git sous un silence oppressant. Il aurait pu �tre destin� � un trafic par �avions taxis� �vitant ainsi � de grands malades et vieilles personnes les affres de la route. Aux derni�res nouvelles, une future structure a�roportuaire est pr�vue pour le chef-lieu de wilaya, ce qui supposera la disqualification d�finitive de l��quipement actuel. Il conna�tra ainsi le m�me sort que l�a�roclub qui a form� avec bonheur des dizaines de jeunes dont certains sont devenus des pilotes de ligne.
Activit�s touristiques
Hormis les h�tels Kerdada et le Caid qui ont �t� avantageusement sauv�s par le groupe El Djaza�r, la ville a perdu les h�tels Oasis, le Sahara, le Beaus�jour qui tombent presque en ruine. On ne peut pas dire honn�tement que les structures h�teli�res ont �volu�. L�involution est patente, et personne ne pourra avancer le contraire. Si le site naturel est du seul ressort du divin, ses appr�ts peuvent �tre de la seule volont� humaine. Les anciens se rappellent encore de cette vivacit� touristique qui faisait le bonheur de tous, m�me si le mode en �tait artisanal. Il ne serait pas inopportun de susciter le tourisme familial chez des particuliers qui poss�dent de grandes demeures inoccup�es. Mais comme chacun le sait, le tourisme ne peut s�accommoder du d�nuement en prestations de services.
Culture et loisirs
Le marasme culturel qui impr�gne certaines r�gions du pays est plus mortif�re � Bou Sa�da qui ne dispose d�aucune infrastructure culturelle digne de ce nom. La ville, qui disposait de deux salles de cin�ma dans les ann�es 1960, n�a plus rien. Elle vit dans le souvenir des fresques filmiques, dont certaines ont �t� tourn�es sur les sites imm�diats. La salle des f�tes communale, pour laquelle on projetait de g�n�reux desseins, n�est qu�une salle inadapt�e o� on y organise les �v�nements du tout-venant. A part une ou deux maisons de jeunes, il n�existe pas d�espace d�expression culturelle o� l�on puisse pratiquer l�art dans ses multiples dimensions. Compte tenu de ses potentialit�s culturelles, la cit� m�rite largement une maison de la culture et plusieurs centres culturels de proximit�. Le seul r�alis� et excentr� d�ailleurs ne peut remplir � lui seul cette mission. L�Orchestre national symphonique, qui a eu � se produire dans la cit� � 3 reprises, n�a trouv� comme lieu de production que l�auditorium du centre d�h�tellerie et de tourisme. Un th��tre de verdure peut � lui seul briser, pendant la saison estivale, la platitude chronique. La technologie offre, actuellement, des moyens peu on�reux et capables de divertir : data show, �cran g�ant, etc. Le CD, miracle technologique, a supplant� depuis longtemps les volumineux fonds documentaires et autres filmoth�ques. Ancienne place forte du hippisme, la cit� v�cu avec amertume la disparition de son hippodrome qui ne lui a pas �t� restitu�. Celui qu�on tente d�installer au niveau des vestiges d�un projet de stade abandonn� ne semble apparemment n��tre qu�un ludique champ de fantasia. Le mus�e du Djihad, inaugur� en grande pompe il y a deux ou trois ans, garde encore ses portes closes. Esp�rons enfin que le projet du centre universitaire, d�cid� par la plus haute autorit� du pays � la demande pressante de jeunes f�d�r�s autour de l'objet, ne tarde pas � se concr�tiser sur le terrain � l'effet d'att�nuer un tant soit peu les effets n�gatifs sur une population �chaud�e, plusieurs fois d�contenanc�e par son exclusion des grands projets structurants. Les rail et l'autoroute continuent � �viter la cit�. Voici, chers lecteurs et lectrices, quelques ruminements d�un sexag�naire qui aspire � vivre quelque temps encore dans une cit� qui a fait jadis le bonheur de voyageurs et de personnages illustres qui ont choisi d�y s�journer et d�y mourir. L�histoire condamnera, en juge impartial, tous ceux et celles qui n�ont pas su pr�server et retransmettre un patrimoine mat�riel et immat�riel dont peu de cit�s peuvent s�enorgueillir.


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