Si de son propre aveu le prince reconna�t que ses vizirs lui maquillent la v�rit�, que peut-il attendre de diff�rent et de sinc�re de la part des proconsuls en poste dans les provinces ? Les m�urs politiques �tant ce qu�elles sont, pourquoi voudrions-nous croire qu�il en est autrement aux �chelons subalternes ? C�est-�-dire que la morale d�Etat et la probit� individuelle seraient mieux cultiv�es et bien partag�es � ce niveau, qu�elles ne le sont dans la sph�re politique. Depuis longtemps, d�j�, les grands commis de l�Etat, que sont les walis, savent qu�une carri�re se g�re autrement que par la stricte comp�tence et le scrupule � toute �preuve. Autant de raisons �humaines� qui les contraignent � pousser au z�le et � recourir au mensonge lorsque le pr�sident s�invite hors de son palais. Ainsi chaque fois que l�illustre h�te veut s�enqu�rir de la r�alit� ils se font un �devoir� de lui taire l�essentiel, de peur d��veiller ses humeurs. Autant dire que la crainte d��tre mal not� balaye sans �tat d��me la positive n�cessit� de l�alerter. De subjectivit�s friteuses en flatteries de subalternes, les voyages d�inspection du chef de l�Etat finissent paradoxalement par le d�sinformer alors qu�il en attendait le contraire. Otage d�un lourd c�r�monial � qu�il avait d�ailleurs exig� par le pass� �, il lui est dor�navant impossible de �regarder par-dessus les �paules� des courtisans qui l�accompagnent. L� o� il se rendra, il sera toujours astreint aux visites guid�es avec des haltes pr�alablement aseptis�es. Loin, bien loin, forc�ment, des niches de la col�re et surtout � l��cart des spectacles qui d�solent mais l��difient. Qu�il s�en aille prendre le pouls de la capitale ou qu�il fasse un �ni�me p�lerinage � Constantine il ne lui est offert � �voir� qu�un terroir imagin�. Une photo tronqu�e de �ce qui est� les jours ordinaires. Jamais le pays r�el, lequel est rel�gu� en-de-�� du d�corum que les artistes en flagornerie ont pris soin d�accrocher avant son passage. Dans ce registre, ils ne font qu�imiter chaque fois les fameux �villages de Potemkine� d�une surr�aliste Russie en trompe-l'�il que le courtisan-amant du m�me nom faisait peindre sur d�immenses panneaux lorsque la tsarine Catherine voyageait dans son empire. Un faux peuple qui cache le vrai gr�ce � des images de Moujiks heureux saluant Sa Majest�, des popes en extase devant leurs �glises et des boyards r�v�rencieux� Rien d�autre que le mensonge mis en sc�ne et dont Constantine, qui l�attend ce dimanche, n�est devenue experte que gr�ce � la fr�quence de ses visites. Destination privil�gi�e, cette ville fortin se pose pourtant les bonnes questions au sujet de l�int�r�t excessif qu�on lui accorde � chaque saison politique, jusqu�� constituer un tropisme pr�sidentiel. Elle qui vieillit mal par la faute �vidente des outrages du temps, mais �galement par une gabegie politique aussi ancienne que l�ind�pendance, s��tonne de la courtoisie r�currente d�un pr�sident lui rendant visite presque annuellement. Se sachant peu attractive et m�diocrement entreprenante elle ne fournit pas les bons pr�textes pour les inaugurations qui feront chanter des lendemains. Cependant, elle poss�derait, r�p�te-t-on, l�atout de �faire parler � le pass�. Le lieudit id�al pour inaugurer les chrysanth�mes au pied des mausol�es. Elle qui n�oublie pas que c�est dans sa casbah que naquit, v�cut et mourut un certain imam, peut presque admettre que, quelque part, les hommages mystico-politiques doivent servir les desseins des pouvoirs, sauf qu�elle ne se satisfait pas de cette p�trification qui ignore une humanit� vivant dans ses murs plut�t mal, quoi qu�on en dise. Tous les pr�d�cesseurs de Bouteflika n�avaient pas failli � cette r�cup�ration d�un symbole chaque fois que les n�cessit�s l�exigeaient. Et celles-ci furent nombreuses au cours des vingt derni�res ann�es. Benbadis, r�f�rence centrale de l�araboislamique au c�ur du mouvement national, dans le premier tiers du si�cle dernier, n�a jamais perdu de son actualit� dans l�inspiration de tous les dirigeants qui se sont succ�d� depuis 1962. M�me sa r�putation de pragmatique en avance pour son �poque a �t� gomm�e pour ne retenir de son enseignement qu�une somme de stances quasi po�tiques en les �levant au rang de dogme ind�passable. La falsification �tant de l�ordre de l�esbroufe politique, les dirigeants, avec la complicit� des clercs de la foi, s�abstinrent sciemment de mettre en exergue le fait que cet imam-totem, descendu de la tribu berb�re des Senhadja, n�avait a aucun moment insist� sur notre �arabit� �, la qualifiant avec exactitude de �parent� par la foi (intissab). Benbella fut le premier en 1962 � en d�naturer le sens en d�cr�tant avec l�ignorance crasse d�un ancien soudard, que nous portons en nous ces g�nes l�. Or, si Bouteflika a repris opportun�ment le chemin symbolique vers ce mausol�e, il le fait avec une parfaite connaissance de la pens�e de ce pr�dicateur. Mieux encore, il le fait � chaque occasion avec des arri�re- pens�es diff�rentes. Nagu�re, par exemple (1999), il �tait parvenu � r�cup�rer l�islamit� consubstantielle � l��uvre de l�imam pour l�opposer aux impr�cateurs de l�islamisme politique. P�dagogie payante qui lui avait alors permis de convaincre des pans entiers de l�opinion du bien-fond� de sa strat�gie qui, plus tard, aboutira � l�amnistie que l�on sait. L�in�puisable filon badisien lui permettra par la suite de d�tourner � son profit une sorte de filiation spirituelle jusque-l� d�volue � Taleb Ibrahimi qu�il consid�rait comme son plus redoutable adversaire. Au c�ur de son premier mandat, il refera un troisi�me voyage en 2001 avec cette pr�cision d�importance et qui ne manque pas de relief aujourd�hui : le choix de la date du 16 avril. Ce ressourcement badisien, au moment o� sa �concorde� battait de l�aile et que les premiers signes de l��chec commen�aient � alt�rer ses certitudes, n�a-t-il pas la m�me similitude que celui qu�il s�appr�te � effectuer ce dimanche ? Tant il est vrai que la r�v�rence ponctuelle � un symbole n�est jamais exempte de calculs �minemment politiques. Or, les dividendes que le pouvoir semble tirer de ce talisman spirituel n�ont pas contribu� � am�liorer le sort de cette ville en la tirant vers le haut. Toujours accabl�e par une image n�gative, elle demeure caricaturalement le contre-mod�le d�une cit� dynamique. Lieu g�om�trique o� s�observe depuis trois d�cennies la d�multiplication des h�r�sies et s��talonnent les manquements � l�orthodoxie de la chose publique, devenant souvent le foyer de tous les cynismes des autorit�s, elle a fini par succomber � un saccage sans r�pit. Mais Constantine la l�preuse � la voirie en pi�tre �tat, celle qui s�en va par petits morceaux, par quartiers entiers et livre � l�abandon ses lieux de m�moire ; cette glorieuse ruine, disons-nous, qui ne conna�t m�me pas la s�r�nit� des cimeti�res de pierres que l�on �pargne religieusement sans en faire commerce profitable ; celle-l�, cach�e par les flonflons � la �Potemkine� destin�s � aveugler le chef de l�Etat, aura-t-elle enfin l�insigne visite de celui qui y vint une dizaine de fois sans s�y arr�ter ? Constantine est comme toutes les m�tropoles de province, une satrapie o� les deniers publics se dissipent souvent dans le prestige pour entretenir des all�geances et plaire � qui de droit ! Car, ici, comme ailleurs et m�me plus haut, la seule r�gle en vigueur est de toujours tenir dans l�ignorance le prince ! C�est, se transmet-on entre comparses, le �b. a.-ba� de la long�vit� dans les carri�res.