La paup�risation, non pas rampante, mais �debout�, bien visible par tout un chacun, a pris de l�ampleur ces derniers temps � Annaba. Au-del� du spectacle, devenu par la force du besoin habituel et qui n��meut plus grand monde, des dizaines de femmes assises � m�me le sol tenant dans les bras des b�b�s en guenilles et implorant la charit� des passants, signe �vident de la prolif�ration de la mendicit�, la pauvret� ne cesse de cro�tre depuis la fermeture dans la deuxi�me moiti� des ann�es 1990 d�une grande partie des entreprises �tatiques de la r�gion, ajustement structurel oblige, et le remerciement de dizaines de milliers de travailleurs �pour raison �conomique� avec une indemnisation ridicule. De ce fait, la classe moyenne, qui repr�sentait jadis une bonne majorit� de la population, a �t� tout simplement lamin�e. B. H., la soixantaine bient�t entam�e, est une des victimes de cette politique de d�graissage des effectifs (au propre comme au figur�). Cadre dans une unit� publique pendant plus de vingt ans, il n�avait d�autre choix que celui d�accepter la somme d�risoire de 300 000 DA comme indemnit� de d�part volontaire, ou bien partir une main devant, une main derri�re, symbolisant la pudeur de quelqu�un qui a �t� d�pouill� m�me de ses habits et qui veut cacher sa nudit�. Il avait mis les deux tiers de cette somme dans l�acquisition d�un vieux tacot, avec l�intention d�en faire un taxi. Apr�s trois ans dans sa nouvelle �profession �, sa guimbarde avait englouti l�essentiel de ses recettes en pi�ces de rechange avant de rendre l��me une fois pour toutes. Il s�est retrouv� au point de d�part sans le sou. Heureusement pour lui, un seul de ses trois enfants, le benjamin, est encore � sa charge. Les deux autres sont partis faire leur vie chacun de son c�t�. Actuellement, il s�occupe de la paperasse d�un revendeur de mat�riaux de construction, une vieille connaissance qui a bien voulu l�aider, pour un revenu tout juste bon pour l�emp�cher de faire la manche, estime-t-il, d�pit� par l�ingratitude et l��go�sme de ses anciens patrons, dont certains se sont reconvertis dans les affaires en acqu�rant sous des pr�te-nom l�actif des bo�tes qu�ils ont, dans une large mesure, coul�es. Il stigmatise �galement la gestion de tous ceux qui ont men� le pays l� o� il se trouve actuellement. Plus grave est le ph�nom�ne de ces �fouilleurs� de d�charges des march�s � la recherche de l�gumes et fruits jet�s l� par les marchands, mais aussi de ceux qui passent au peigne fin les poubelles des quartiers hupp�s dans l�espoir de d�nicher quelque objet pouvant encore servir dans le bric-brac n'ayant plus d�utilit� pour les gens ais�s, symbolisant on ne peut mieux le degr� de pauvret� atteint par ces laiss�s-pour compte. Ce ph�nom�ne est devenu un geste tout � fait banal � Annaba. Devant les amas de d�chets d�barrass�s par les marchands, il est loisible de constater la pr�sence de personnes �g�es des deux sexes et m�me d�enfants en train de faire le tri de ce qui peut �tre encore consomm�, car n�ayant pas d�autre moyen de survie. �Avec les quatre sous du filet social, comment voulez-vous qu�on arrive � manger � notre faim ?� lance une femme d�un certain �ge. Elle tenait en main un sachet en plastique dans lequel elle a mis les quelques l�gumes rabougris qu�elle a pu ramasser. �Voyez vous-m�me les prix affich�s des produits de premi�re n�cessit�, � l�exemple de l�huile de table, de la semoule, de la pomme de terre, pourtant class�e de tous temps plat du pauvre, et j�en passe�, tient-elle � faire remarquer, pr�cisant qu�elle a un semblant de boulot comme femme de m�nage dans une administration publique, dans le cadre du dispositif social suscit�. Ayant quatre enfants � charge, le mari, ancien commer�ant, mais qui a �t� pouss� � la faillite par les cr�anciers et les imp�ts, a mis les voiles, sans crier gare, pour traverser clandestinement la mer � destination du vieux continent, abandonnant, �videmment, femme et enfants � leur sort. Il va sans dire que cette situation a contraint cette m�re au destin marqu� par l�infortune � se rabattre sur n�importe quel travail, pourvu qu�il soit honn�te. Elle se d�m�ne comme elle peut pour nourrir sa prog�niture avec le peu qu�elle gagne. �Des fois on n�a m�me pas de quoi acheter du pain et du lait, alors la viande, ne m�en parlez pas. Quelle soit rouge ou blanche, ses prix ont atteint les cimes ces derniers temps, et m�me les gens plus ou moins ais�s n�arrivent pas � en consommer r�guli�rement. Idem pour les fruits qui sont un luxe pour nous. Le seul �dessert� qu�on peut s�offrir de temps en temps reste la limonade, ordinaire quoi !� affirme-t-elle r�sign�e. Une vir�e aux march�s de la ville confirme les propos de la dame. �a br�le ! La pomme de terre grimpe jusqu�� 55 DA le kilo, l�haricot vert est affich� � 140 DA, la courgette et les oignions secs � 70 DA. Pour les fruits, leurs prix sont hors de port�e. Les oranges Thomson, produites pourtant localement (Annaba �tant r�put�e, � l�instar de la plaine de la Mitidja et de Mohammadia, pour ses vergers agrumicoles), ne sont pas descendues � moins de 100 DA durant toute la saison. On ne croit plus, au sein de cette majorit� �crasante et �cras�e, que le politique puisse changer quoi que ce soit � la situation lamentable qui perdure, encore moins une transformation dans le bon sens de la soci�t� par l�Etat. M�me le pr�tendu lib�ralisme qui, � un moment, �tait brandi comme rem�de aux probl�mes socio�conomiques du pays montre ses limites et commence � s�essouffler. Et tr�s vite, il n�y eut plus que deux cat�gories sociales, diam�tralement oppos�es : les nouveaux riches et les nouveaux pauvres ; le luxe tapageur et l�indigence criante. Ce ne sont pas les maigres augmentations de salaire des travailleurs de la Fonction publique qui changeront grand-chose au m�contentement exprim� par de larges couches de la population. Le mot de la fin est laiss� � un vieux sage citadin de l�antique Hippone. Tout en estimant que la situation actuelle de tous ces laiss�s-pour-compte n�a pas encore atteint celle des ann�es 1940 sous l�occupation fran�aise, durant laquelle le peuple alg�rien �tait d�cim� par les maladies et la famine, il n�arrive pas � admettre que des Alg�riens souffrent encore, en 2008, de malnutrition et de maladies r��mergentes, qualifi�es de maladies de la mis�re, telles la tuberculose, la rage, la peste, la gale... �Si, hier, le peuple a pris les armes pour se lib�rer et vivre heureux, aujourd�hui il est inconcevable, et �a fait mal au c�ur, de voir des gens mendier ou ramasser des aliments pourris pour survivre dans un pays disposant d�un matelas financier en devises fortes jamais �gal� depuis son ind�pendance�, explique le vieil homme, triste et choqu� en m�me temps par ce grand paradoxe. �La hargades jeunes n�est-elle pas un cri de d�tresse et de d�sespoir adress� � qui de droit ? Mais il n�est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre !� s�indigne le vieux annabi. Tout en avertissant que si rien n�est entrepris pour am�liorer la situation sociale des gens, �il ne faut pas s��tonner alors de voir ces d�munis de tout sortir dans la rue pour exprimer haut et fort leur mis�re. Les �meutes constat�es presque quotidiennement, m�me si elles sont limit�es dans l�espace et dans le temps, ne sont-elles pas les pr�mices de ce m�contentement g�n�ral ?� Avant d�affirmer que le recours � cette mani�re violente pour exprimer des revendications souvent l�gitimes, �m�me si on ne l�approuve pas, on peut le comprendre �. Il trouve son explication dans le verrouillage des canaux d�expression et dans une certaine hogra des responsables, en commen�ant par ceux au niveau local�. Le vieux citadin garde encore, malgr� le poids des ans, toute sa lucidit�. �L�ignorance ou le retard dans la prise en charge des probl�mes de ces laiss�s-pour-compte aura des cons�quences graves qui se traduiront par une lame de fond terrible, un tsunami social, pour reprendre ce mot en vogue, qui submergera le pays�, confie-t-il.