Il faut rappeler que ces conditions de fonctionnement, communes � la majorit� des services administratifs �tudi�s, ont �t� rep�r�es empiriquement et n�ont pas �t� d�duites � partir d�un quelconque d�terminisme culturel ou social. Du reste, ce sont les usagers et les fonctionnaires eux-m�mes qui d�noncent constamment les d�rives d�un syst�me gangren� par la corruption. On peut se demander toutefois pourquoi, si la corruption est unanimement d�cri�e, elle est en m�me temps tol�r�e et pratiqu�e au quotidien. Il suffit d�explorer des logiques plus g�n�rales, qui contribuent � la banalisation de la corruption, sans pour autant que l�on puisse �tablir un lien de causalit� directe entre ces logiques et les comportements illicites. Pensons en premier lieu au rapport particulier � l�argent et � l�enrichissement qui caract�rise les soci�t�s post-coloniales, dont la soci�t� alg�rienne : toutes les relations sociales sont m�diatis�es par l�argent (qui a remplac� les multiples prestations en nature, comme les cadeaux et les diff�rentes formes d�entraide), qu�il faut se procurer � tout prix, en p�riode de crise �conomique. Cette recherche effr�n�e de num�raire, tient � l�exigence, pour le fonctionnaire, de �tenir son rang� et d��tre � la hauteur du r�le qu�il est cens� jouer dans la soci�t� : poss�der une voiture, satisfaire les besoins de la famille �largie, se distinguer par ses largesses � l�occasion des c�r�monies familiales. Corollaire de cette strat�gie, la gestion des deniers publics se fait selon la logique de la �caisse noire� : nombreux sont les gestionnaires qui �empruntent� des caisses publiques des sommes d�argent pour les investir dans l��conomie parall�le, pour rembourser une dette, ou encore pour les confier � des �multiplicateurs de billets�, dans l�espoir de pouvoir restituer les montants d�tourn�s une fois le b�n�fice obtenu. �Il est impoli de refuser un cadeau�! Il est aussi de valeurs socialement reconnues qui d�couragent ou discr�ditent les comportements int�gres. Ainsi, le d�tenteur d�un poste juteux qui n�en profite pas est consid�r� comme un �fou� (au sens social du terme) et critiqu� par son entourage. De m�me, la d�lation et la d�nonciation sont stigmatis�es et ne concernent pas, de toute mani�re, celui qui excelle dans la pratique de la �corruption redistributrice �. Encore, l�interventionnisme politique et religieux (particuli�rement pr�gnant dans le syst�me judiciaire, mais pr�sent � tous les niveaux de l�administration) contribue � d�responsabiliser le fonctionnaire ou le magistrat qui veulent bien faire, car ils seront d�savou�s par leurs sup�rieurs quand ils ne vont pas encourir des sanctions. Si l�on se situe � un autre niveau d�analyse, celui des expressions populaires pour nommer la corruption et des argumentaires d�ploy�s pour l�expliquer, on d�couvre de v�ritables configurations id�ologiques qui tendent � l�gitimer les comportements corruptifs. La corruption est constamment �euph�mis�e�, car elle est cach�e au sein de registres comportementaux accept�s par tout un chacun. Elle rel�ve tant�t des bonnes mani�res (il est impoli de refuser un cadeau, il faut s�entraider entre coll�gues, il faut respecter les a�n�s ou avoir la compassion des faibles), tant�t d�une logique de r�cup�ration (pourquoi respecter les r�gles d�un �tat qui est r�ticent � augmenter les salaires et a d�missionn� de ses fonctions les plus �l�mentaires ?), tant�t du devoir de redistribution, tant�t d�une volont� de mim�tisme (pourquoi �tre int�gre si tous, du sommet � la base, sont corrompus ?). Les pratiques corruptives, ench�ss�es dans un contexte �dysfonctionnel� de production de services publics et dans des logiques socioculturelles qui les r�habilitent et les l�gitiment, deviennent ainsi une composante normale et accept�e de la gouvernance locale en Alg�rie.