Du 04 novembre 1957 au 04 novembre 2017, soixante années se sont écoulées depuis que l'armée coloniale française avait incendié les maisons et déporté les habitants de Taddart N Lejdid, un village implanté sur le flanc sud du Djurdjura, à quelques encablures de Saharidj, commune située à une soixantaine de kilomètres à l'est de Bouira. Les témoins s'émeuvent à la moindre évocation de ce qui s'était passé ce jour-là. Certains d'entre eux sont rencontrés lors de la commémoration qui a eu lieu, le 04 novembre dernier, à Taddart N Lejdid. Ils étaient enfants, moussebels et combattants de la glorieuse ALN quand les autorités coloniales avaient décidé de condamner les villageois à l'errance. Ce jour-là les hante jusque dans leurs âmes et leurs corps. C'est pourquoi les notables du village de Taddart N Lejdid veulent faire de la commémoration de la déportation une tradition ancrée et à laquelle la nouvelle génération doit se consacrer entièrement. Pour le soixantième anniversaire, les organisateurs de l'événement ont inauguré quatre nouveaux sites historiques, à savoir la première maison incendiée, l'endroit où l'armée coloniale avait exécuté un moussebel sur la place du village, l'endroit où une femme, Tigrine Fatima, avait été assassinée après un bombardement de l'armée et la sentinelle. Avant de recueillir sur la mémoire des martyrs de novembre au monument du village, une foule nombreuse d'invités et de villageois a fait une marche de plusieurs centaines de mètres, rythmée par le son de la fanfare. Si pour les uns, il s'agissait d'une simple ballade en montagne qui se couronne par un copieux plat de couscous, pour les autres, notamment les descendants de Taddart N Lejdid de l'aârch Iwaqquren, c'est un moment de ressourcement au village des ancêtres et de recueillement sur la mémoire des valeureux martyrs. Aïssa Taleb, âgé de neuf ans quand l'armée coloniale avait déporté son village et détruit la maison familiale : «Un villageois au nom d'Achour N'Ahcène était venu alerter les habitants de Taddart N Lejdid, que les maisons allaient être incendiées par l'armée. Un délai de trois jours avait été accordé aux villageois pour quitter les lieux», raconte-t-il. Les témoins de la déportation Ce jour-là, poursuit Aïssa Taleb, l'armée coloniale n'avait tué personne au village. Ils avaient juste incendié les maisons. «Les hommes, les femmes et enfants erraient partout. Ils ne savaient pas où aller. Le bétail qui constituait l'unique fortune des villageois a été soit tué soit relâché dans la nature», ajoute ce villageois, dont plusieurs membres de la famille sont tombés au champ d'honneur. Pour Gasmi Idir, numéro deux de l'association de Taddart N Lejdid, qui avait 15 ans lors de la déportation du village, les habitants étaient déjà au courant que les soldats de l'armée française était en route depuis Saharidj. «Les Moudjahidines et les mousseblines qui se trouvaient au village ont pris la fuite tôt le matin. Après, l'armée coloniale nous a rassemblés au lieu dit Lalla Fettouma situé en haut de Taddart. Vers 10 h, un hélicoptère atterrit. Un haut gradé militaire est descendu et nous a dit de partir et de quitter le village. Nous n'avons pas eu le temps de prendre nos affaires», témoigne-t-il. Avant de s'installer dans un camp de toiles au lieudit Arafou, connu aujourd'hui sous le nom de Raffour, les villageois ont dû errer pendant plusieurs mois. La genèse de l'histoire remonte au 06 mai 1957, d'après les témoins de cette époque qui sont encore en vie. Ighzer Iwaqquren, un autre village appartenant à l'aârch Iwaqquren, a été incendié par l'armée coloniale française. Les villageois ont tout abandonné derrière eux et ils ont été accueillis par leurs frères à Taddart N Lejdid et dans les localités voisines. Il faut souligner que ces deux villages, Ighzer Iwaqquren et Taddart N Lejdid, sont issus de Tizimit, leur village d'origine. Cette région a joué un rôle clé dans la Guerre de libération. En plus des Moudjahidines qui ont survécu à la guerre, 113 martyrs issus d'Ighzer Iwaqquren et de Taddart N Lejdid sont tombés au champ d'honneur. Durant la guerre, un réseau de mousseblines et de fidaï a été mis en place au niveau des deux villages et plusieurs hauts gradés de la Wilaya III y ont séjourné. «La France coloniale n'avait pas le choix. Au village il y avait tout. Tout le monde était organisé. La seule solution était de vider ce village de ses habitants pour les isoler de l'ALN. L'armée nous a même proposé de prendre les armes. Chose que nous avions refusée. Le 06 mai 1957, le village Ighzer Iwaqquren a été incendié. Les villageois qui ont été chassés de leurs maisons ont été accueillis par leurs frères du village Taddart N Lejdid, jusqu'au 04 novembre de la même année», a déclaré Lhadj Mohand Arab, président de l'association de Taddart N Lejdid et membre du comité des sages du village. Cet ancien combattant de l'ALN a affirmé qu'après la déportation et l'installation des populations des deux villages à Arafou, les mousseblines avaient poursuivi leur mission. «Dans le camp d'Arafou, malgré la surveillance, les Moudjahidines y entrent régulièrement et rassemblent la population. Au camp, il n'y avait que des femmes et des enfants. Tous les hommes ont pris le maquis», enchaîne l'ancien Moudjahid. Les tentatives de l'armée coloniale visant à affaiblir l'ALN étaient vouées à l'échec. Le refuge où tout a commencé Il est important de souligner que la fibre patriotique de ces villageois d'Iwaqquren n'a pas attendu le mouvement national et le déclenchement de la Guerre de libération pour se manifester. Gasmi Idir a déclaré qu'entre quatre à six habitants de Taddart N Lejdid étaient tombés au champ d'honneur lors de la bataille d'Icharridhen en Kabylie qui a eu lieu à l'été 1857. «Le village a été organisé depuis de longues années avant le déclenchement de la guerre. Le combat a commencé depuis 1871. Nous avons même des martyrs qui sont tombés lors de la bataille d'Icharridhen. Il y avait 04 à 06 personnes de notre village», dit-il. Aux premières années du mouvement national, plusieurs personnes s'étaient déjà embarquées dans cette dynamique qui avait débouché quelques décennies plus tard au déclenchement de la lutte armée pour mettre fin à plus d'un siècle de domination coloniale française. Plusieurs villageois avaient quitté Taddart N Lejdid, en allant en France ou dans d'autres régions d'Algérie, pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles. Des jeunes villageois adhéraient aux partis politiques de l'époque tels que l'Etoile nord-africaine, le PPA, le MTLD, etc. Le village s'est rallié également du côté de l'Armée de libération nationale (ALN) à partir de l'année 1955, racontent les deux membres de l'association. Tout a commencé de manière discrète mais efficace durant l'été 1954 lorsque Mohand Saïd et Oulaïd Amarouche accueillaient dans leur maison, et ce, dans le secret le plus total, ceux qui deviendraient quelques années plus tard, les chefs historiques de la Révolution algérienne, à l'image de Mohammedi Saïd, dit Si Nacer, Amirouche Aït Hammouda, Amar Ouamrane, Abderrahmane Mira, etc. Cette maison servait de refuge et de lieu de rencontre de tous les responsables militaires et politiques de l'ALN. Le refuge est situé à la lisière du village de sorte qu'il permette l'arrivée et le départ des Moudjahidines sans que personne ne se rende compte de leur présence. La maison d'Ath M'hand Ouali a continué de fonctionner jusqu'au 04 novembre 1957, jour de la déportation de tout le village. «Le premier groupe de mousseblines fut constitué en 1955. À cette période, une quinzaine avait déjà rejoint les rangs de l'ALN. La première réunion a eu lieu sur la place du village avec Abderrahmane Mira qui venait à la tête d'un groupe. Il mobilisait les gens pour adhérer à la guerre, prise de contact et la collecte de fonds. Lors de la deuxième réunion, il y avait Krim Belkacem et Si Nacer», raconte Lhadj Mohand Arab. Durant la Guerre de libération, l'organisation du village est restée intacte, souligne le moujahid Lhadj Mohand Arab. «Nos immigrés payaient leurs cotisations, même ceux qui vivaient dans d'autres régions d'Algérie. En 1956, nous avons rappelé nos immigrés établis en France pour qu'ils reviennent s'occuper de leurs familles. Ils ont tous quitté la France. Certains d'entre eux ont rejoint le maquis», témoigne-t-il. Si Lmouloud, un héros d'Iwaqquren Décidément, nous ne pouvons pas évoquer la déportation du village de Taddart N Lejdid et le rôle important joué par l'aârch Iwaqquren lors de la Guerre d'indépendance sans parler du parcours du militant puis de l'officier de l'ALN, Si Lmouloud Awaqqur, de son vrai nom Amarouche Mouloud. Le 12 décembre 1919, Si Lmouloud Awaqqur voit le jour à Taddart N Lejdid dans une famille de paysans. En 1934, il fait son premier pas dans le mouvement national en compagnie de son frère aîné Ahmed, à Constantine. Son frère aînée, militant de la première heure au sein du parti l'Etoile nord-africaine puis au PPA, a été arrêté à Constantine et meurt le 9 janvier 1942 sous la torture dans la prison de Berrouaghia. Sa tombe demeure introuvable à ce jour. Après des études, Amrouche Mouloud travaillait comme prothésiste-dentiste à Constantine, mais il a dû fuir pour Jijel pour échapper aux autorités coloniales. C'est dans cette ville, entre 1947 et 1950, qu'il avait assumé de grandes responsabilités dans l'Organisation secrète (OS), selon Hamza Amarouche, un traducteur algérien établi en Finlande qui a consacré plusieurs contributions historiques publiées sur le site électronique le Matin d'Algérie, sur le parcours militant et révolutionnaire d'Amrouche Mouloud, dit Si Lmouloud Awaqqur. Ainsi, il a coordonné plusieurs cellules de l'OS à l'Est du pays jusqu'à ce qu'il soit arrêté et comparaît devant un tribunal à Béjaïa le mois de février 1951, aux côtés d'Abane Ramdane et d'une vingtaine de militants. Après avoir séjourné dans des prisons en Algérie et en France avec son compagnon de cellule Abane Ramdane, Si Lmouloud Awaqqur a été libéré en juillet 1954. Après avoir pris le maquis, et deux ans après le déclenchement de la Guerre d'indépendance, il a été promu au grade de lieutenant politico-militaire de la zone 2 dans la Wilaya III. L'année 1957 est doublement l'année fatidique de l'aârch Iwaqquren. D'abord, les deux villages, Ighzer le 06 mai et Taddart N Lejdid le 04 novembre, furent incendiés et vidés de leurs habitants, et ensuite, la mort de Si Lmouloud Awaqqur le 28 juin de la même année, lors de l'opération Bigeard, du nom du colonel Marcel Bigeard pour laquelle près de 35000 soldats avaient été mobilisés. C'était vers 2h du matin lorsqu'un moussebel vint alerter Si Lmouloud que l'endroit où il se trouvait en compagnie de Malika Gaïd de Guenzet (Ith Yaâla) et de deux autres infirmières, est repéré par l'ennemi. Le 28 juin, une grande bataille, appelée également la bataille d'Iwaqquren qui est considérée l'une des plus importante de la Wilaya III, a eu lieu et durant laquelle le lieutenant Si Lmouloud, Malika Gaid et une soixantaine d'autres combattants de l'ALN étaient tombés au champ d'honneur. Le lendemain, les autorités coloniales avaient exposé le corps du lieutenant de l'ALN au lieudit Tibhirin, au village de Selloum, où il y a été enterré. Son corps a été transféré au cimetière de son village natal le 23 août 1965, lors d'une cérémonie à laquelle ont pris part Krim Belkacem, Amar Ouamrane, Akli Mohand Oulhadj.