Tout comme le plus grand des compositeurs algériens Mohamed Iguerbouchène, le pionnier du théâtre comique Rachid Ksentini attend à ce jour qu'une salle de théâtre porte son nom. Décédé il y a exactement 74 ans, le 4 juillet 1944, Rachid Ksentini qui est considéré comme le Molière ou le Charlot algérien attend tout comme le grand musicien et compositeur Mohamed Iguerbouchène qu'une institution culturelle porte son nom. Cela n'a pas été fait pour ces artistes tout comme pour Abdelkader Ferrah qui fut parmi les plus grands scénographes du monde. Le motif de la marginalisation de ces grands artistes est sûrement motivée par le fait que la décision de baptiser les institutions culturelles est souvent prise par des politiques et non par des hommes de culture ou bien par intuition ou à la hâte suite au décès d'un artiste. On se demande comment aucun théâtre national ou opéra soit- il ou régional ne porte pas le nom d'un de ces illustres artistes ou d'autres. Un artiste complet Rachid Ksentini qui reste irremplaçable était un artiste complet. Il était comédien, parolier, musicien et chanteur. Il montait lui-même ses sketchs qui se terminaient souvent par une chanson écrite et composée par lui-même. Il était surnommé tantôt le Molière algérien, tantôt le Charlot Algérien. En réalité, il était les deux à la fois. Si Rachid Ksentini a fait ses débuts aux côtés de Dahmoune et Allalou et Mahieddine Bachtarzi, il s'est vite envolé de ses propres ailes. L'artiste a fait partie de la troupe Mahieddine mais son grand succès, il le doit à ses duos avec Marie Soussan avec laquelle il enregistrera au moins une dizaine de disques 78 tours. Né le 11 novembre 1887 à Bouzaréah, ce village perché sur les hauteurs d'Alger qui a été le berceau ou le site choisi par de très grands poètes, musiciens et comédiens tels que Cheïkh Nador, Mohamed, Iguerbouchène et Hassan El Hassani. Rachid Ksentini, de son vrai nom «Bir Lakhdar», qui était des son jeune âge doué pour le rire, a quitté tôt l'école pour apprendre le métier d'ébéniste. Il quitta ce métier pour devenir marin pour une longue période. Durant ses longs voyages à travers le monde, il fera partie d'un cirque américain pendant 4 ans. En 1925, il retourna à Alger et sa rencontre avec Allalou qui venait de créer la Zahia troupe changera sa vie. Il montera sur les planches, aux côtés de Allalou, Dahmoune et Mahieddine Bachtarzi. Au sein de la Zahia troupe fondée par Ali Sellal dit Allalou, il joua le rôle principal dans «Djeha», la première pièce en arabe dialectal de l'histoire du théâtre (sur scène) en Algérie. La première présentation de cette pièce a eu lieu le 26 avril 1926 à la salle «Le Kursaal» (près de la place des martyrs). Il faut rappeler qu'auparavant, on jouait les pièces en arabe classique. Ksentini joue également dans « Zouadj Bouâaqline» et dans d'autres pièces. En 1928, Allalou enregistre chez Columbia un duo avec Dahmoune. Sur le microsillon 78 tours, on peut écouter l'histoire de «Seyyad Esbaâ». Rachid Ksentini deviendra très vite une star. Il se fera, donc, des amis et des ennemis. Certains concurrents jaloux iront jusqu'à payer des spectateurs pour le chahuter. A l'un de ces destructeurs qui lui avait lancé «Faqou», Rachid avait répondu : «Elli faqou Rahou ! (Ceux qui se sont éveillés sont partis)». Un autre jour, alors qu'on lui jetait sur la scène, des tomates et des légumes, il sort dans les coulisses et revient avec un couffin, ramasse le tout et dira à ses détracteurs : «moi, j'ai gagné ma journée. Et si vous étiez intelligents, vous n'auriez pas payé 20 centimes pour venir me voir !» Pour se venger, il chante Rachid Ksentini a fait partie de la troupe de Mahieddine Bachtarzi qu'il quittera définitivement après une tournée à Paris. En effet, après avoir été écrasé par une voiture, il fut délaissé par les membres de la troupe qui le croyaient mort. Hospitalisé, il ressortira après six mois. Après une période difficile à Paris, un propriétaire de café algérien lui payera son billet de bateau pour retourner à Alger. Alors que les artistes de la troupe de Mahieddine étaient sur scène durant le ramadhan, Rachid qu'on croyait mort, fit son apparition. On lui demandera de monter sur scène. Il acceptera en exigeant un banjo. Ce soir, il ne jouera aucun de ses sketchs, mais chantera en s'accompagnant au banjo. A travers cette chanson, il racontera sa mésaventure de Paris tout en dénonçant ceux qui l'ont abandonné et décidera de quitter définitivement la troupe de Mahieddine. Par la suite, il continuera de se produire et enregistrer des disques avec Marie Soussan. Comme un cowboy Rachid Ksentini, qui aimait vivre à l'américaine, a gi un jour à la manière des cowboys. En effet, le jour où le père de sa première femme (sa cousine) était venu en son absence prendre sa fille, Rachid prit deux revolvers et alla à dos de cheval reprendre sa femme. Rachid Ksentini a été sûrement le comédien le plus doué pour l'improvisation. Il était capable de monter sur scène sans avoir préparé aucun texte auparavant. Si cela est contraire aux règles du théâtre, il faut noter que beaucoup de ses pièces, chansons sont écrites dans les règles de l'art car pouvant être rejouées. Ce sont surtout les sujets sociaux qui font la force de Ksentini. La plupart de ses chansons sont toujours d'actualité, notamment «Dengou Dengou» qui décrit les jeunes filles qui allaient nager sur les plages d'Alger, notamment à Padovani et «C'est le chômage» écrite au temps de la grande misère. Rachid Ksentini est parmi ceux qui ont joué un grand rôle contre la montée de certains fléaux tel que l'alcoolisme et le charlatanisme. Avec la pièce «Faqou», il aurait eu plus d'effet contre les charlatans que les discours des Imams de l'époque qui avaient pourtant lancé une campagne sérieuse, notamment par le biais de l'association des Ulémas. Rachid Ksentini restera le précurseur du rire sur scène et son école verra la naissance de grands comédiens, notamment Touri, Sid Ali Fernandel, Bouroubi, Hassan El Hassani et Rouiched. Tout comme ces grands artistes, Rachid Ksentini attend toujours qu'une salle porte son nom.