«Les Etats-Unis ont l'autorité souveraine d'utiliser la force pour assurer leur propre sécurité.» Par ces paroles, prononcées lundi, lors de son discours à la nation, le président Bush vient en fait de déclarer ouvertes les hostilités. Cela d'autant que, dans ce même discours, il donne 48 heures au président irakien pour quitter le pouvoir. «Saddam Hussein et ses fils doivent quitter l'Irak dans les 48 heures. Leur refus de le faire conduira à un conflit militaire qui commencera à la date que nous choisirons», a indiqué le président Bush. Personne ne s'y est trompé: la guerre aura lieu. Aujourd'hui, demain, - peut-être même au moment où vous lirez ce texte -, ou dans quelques jours, la décision est maintenant prise, c'est en Etat souverain que les Etats-Unis mettent les Nations unies, et la communauté nationale, devant le fait de la guerre. A partir du moment où pour M.Bush la guerre sera, toute mise en garde, ou autres recommandations, tout débat sur le sujet ne sera plus qu'académique. De fait, le départ précipité des diplomates occidentaux d'une part, celui des inspecteurs de l'ONU d'autre part, et la suspension, hier, par les Nations unies, comme l'a annoncé le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, du programme «Nourriture contre pétrole», destiné à l'Irak, sont, en soi, un signe probant que les dés sont jetés. M.Bush, président de la super-puissance américaine, s'est exprimé comme un empereur dont les paroles font loi, ne laissant aucune alternative à un autre choix. C'est le nouveau César donnant la leçon à la communauté internationale, tout en la méprisant, se montrant aussi arrogant avec un peuple aux abois, lorsqu'il déclare: «Lorsque notre coalition les privera de leur pouvoir (cf: Saddam Hussein et fils) nous vous fournirons la nourriture et les médicaments dont vous avez besoin.» Ajoutant magnanime: «Nous démantèlerons les instruments du terrorisme et nous vous aiderons à construire un nouvel Irak prospère et libre.» Ce qui n'est point le sentiment des analystes et spécialistes internationaux de la situation en Irak, qui estiment, a contrario, qu'une guerre en Irak plongera ce pays et toute la région du Moyen-Orient dans le chaos pour, à tout le moins, une nouvelle décennie. Tout un chacun s'interrogeait, en outre, de savoir si réellement les Etats-Unis engagent une coûteuse guerre contre l'Irak (aux plans humain, financier et matériel), juste pour donner au peuple irakien de vivre «libre et prospère»? A la vérité, la guerre programmée contre l'Irak obéit à des enjeux géostratégiques qui dépassent, de fort loin, le seul confort d'un peuple ballotté entre la dictature de Saddam Hussein et l'oukase américain, vivant de l'aide internationale depuis dix ans. Allant à l'encontre de l'opposition du Conseil de sécurité, où le trio formé par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Espagne s'est retrouvé en minorité, le président Bush a, en vérité, enterré lundi la version de l'ONU issue de la Seconde Guerre mondiale. En décidant seul de la guerre, sans consultation avec l'ONU, comme le faisait remarquer le président français, Jacques Chirac, George W.Bush a de fait signifié la fin de l'ONU dans sa structure actuelle, et esquissé la tâche future qui sera la sienne, si jamais les Nations survivent à la débâcle annoncée du droit, de la légitimité et de la légalité internationaux. Se plaçant au-dessus de la mêlée, le président Bush porte ainsi un jugement de valeur sur les Nations unies, lesquelles, selon lui, manquent de volonté, alors même que l'action américaine a paralysé ces dernières années les décisions de l'ONU, singulièrement dans le dossier proche-oriental. M.Bush focalise sur Saddam Hussein lorsque un dangereux criminel, jusqu'ici impuni, Ariel Sharon, poursuit à ciel ouvert le génocide du peuple palestinien, avec quasiment la bénédiction de George W.Bush. Le président américain faisant fi des appels de la communauté internationale à peser les conséquences, qui seraient celles qu'induira une guerre contre l'Irak, a agi «souverainement» comme il s'est plu à le répéter dans son discours qui a clos une journée qui a vu la défaite de la diplomatie battue en brèche par la détermination des Etats-Unis à engager la guerre. Car Washington a besoin de cette guerre qui s'avère être vitale dans sa nouvelle stratégie hégémonique, de domination du monde, comme de faire main basse sur les richesses énergétiques irakiennes notamment. M.Powell a bien précisé dans l'une de ses déclarations que l'après-Saddam Hussein sera marqué par le «remodelage» du Moyen-Orient. Autrement dit, outre le redécoupage de la région, avec le prévisible morcellement de l'Irak, les monarchies et autres émirats du Golfe verront la réduction drastique de leur souveraineté et cela dans la perspective de la sécurité et des intérêts supérieurs des Etats-Unis. L'Empire s'est mis en marche, avec en toile de fond la souveraineté limitée qu'il compte imposer aux Nations, n'entendant plus qu'il y ait d'interférences mettant en question les décisions prises par Washington. Et l'une de ces décisions est bien la signification de la fin de mission de l'ONU.