«Lorsque la politique entre dans un tribunal, c'est la justice qui en est chassée.» Le procès opposant le directeur du journal L'Expression, Ahmed Fattani, au général à la retraite Khaled Nezzar a fini par avoir lieu, hier, au tribunal d'Hussein Dey, près la cour d'Alger. Comme pour les trois reports précédents, le plaignant n'a pas jugé utile de se présenter, préférant se faire représenter par son avocat. La présidente du tribunal a commencé par lire les chefs d'accusation à Ahmed Fattani devant une foule nombreuse de journalistes et de citoyens venus exprimer leur sympathie et leur soutien au directeur de L'Expression. Ce dernier, auquel la parole a été donnée pour d'éventuelles explications, a insufflé d'entrée de jeu une tournure politique à ce procès le dépassant de loin, a-t-il martelé et visant à travers lui certains intérêts et responsables du pays. «Je suis journaliste depuis 35 ans. J'ai occupé le poste de rédacteur en chef à El-Moudjahid avant d'être directeur de Liberté puis directeur de L'Expression», a commencé par dire M.Fattani, avant d'ajouter: «Lorsque M.Nezzar a animé une conférence dans laquelle il a affiché ses positions et ses intentions, il s'est automatiquement exposé aux débats, forcément contradictoires.» Or, «la presse est libre en Algérie, comme le lui garantit la Constitution». Fattani a souligné être convaincu que «cette plainte vise d'autres buts et d'autres personnes» à travers lui. Sinon, comment expliquer que l'article incriminé soit paru le 11 août 2001 alors que la plainte n'a été déposée que le 6 juin 2002, c'est-à-dire près d'une année après? Ce n'est pas sans preuves que le directeur de L'Expression a longuement explicité ses visions, au reste partagées par l'écrasante majorité de la population. «Nezzar a perdu son procès à Paris. Je le savais d'avance. Médias, ONG et opinion publique étaient ligués contre lui. Mon écrit visait surtout à toucher du doigt cette question avant que n'advienne l'irréparable. Les hommes ne peuvent juger l'Histoire. Mais l'hHistoire, elle, juge les hommes.» Très à l'aise dans ses explications, M.Fattani a démenti catégoriquement avoir usé de la locution «bourreau», reprise dans les chefs d'accusation, ajoutant avoir écrit en tant que journaliste dont la ligne éditoriale est celle de la conscience et de l'amour de la patrie, qui répond à l'homme politique qu'est Nezzar, ancien membre du gouvernement et ministre de la Défense et non pas le militaire. Cela avant de rappeler, brandissant force preuves à l'appui de ses dires, avoir «de tout temps défendu l'institution militaire, garante de l'intégrité territoriale algérienne». Ahmed Fattani ajoute que «cet homme, qui s'érige en héros aujourd'hui, occupait de très hautes fonctions en 1989 et aurait pu, par conséquent, bloquer l'agrément du FIS. Il n'en a rien été. Il aurait pu, par la suite, agir au moment de la déferlante de ce parti lors des élections locales. Il n'a rien fait. Il est même allé, en 1991, en pleine guerre du Golfe, jusqu'à recevoir Ali Benhadj en treillis au ministère de la Défense ce qui constitue une double erreur tactique. Hormis la tenue militaire du leader islamiste alors que Nezzar était en tenue civile, il n'échappe à personne que c'est le ministre de l'Intérieur qui est l'interlocuteur des leaders de partis.» Quelqu'un qui a agi de la sorte, qui s'est montré aussi «conciliant» avec ce parti intégriste, peut-il être sincèrement en campagne contre le FIS et la concorde civile, ou bien ne vise-t-il pas d'autres buts à travers ses livre et ses brûlots médiatiques à répétition? Et de reprendre, par le menu détail, le communiqué de Nezzar annonçant le dépôt de plainte contre le directeur de L'Expression dans lequel il établit lui-même des liens entre cette saisine de la justice et les attaques vertement formulées contre la concorde et le Président de la République. «A travers Ahmed Fattani, c'est la concorde et le Président de la République qui sont visés, s'est écrié le directeur de L'Expression. Cette affaire est politique. Elle a trait à l'Histoire.» Or, «lorsque la politique entre dans un tribunal, la justice en est chassée automatiquement». Les propos repris par Nezzar dans son communiqué ont été ceux du Président, mais aussi ceux de nombreux leaders politiques, députés et sénateurs. Il en est ainsi pour la qualification de violence politique de l'interruption du processus électoral. «L'homme que le général vise, à travers ma personne, n'est autre que le Président de la République ainsi que la concorde civile acceptée par le peuple entier. Me condamner, donc, reviendrait à condamner le premier magistrat du pays et à condamner le peuple dans son entier dans un verdict rendu au nom de ce même peuple.» L'avocat de la partie civile, visiblement désarçonné, sans arguments valables, a carrément eu des propos malheureux à l'encontre de Ahmed Fattani. Il a, en gros, tenté de démontrer que cette affaire constitue un cas d'école en matière de diffamation sans, toutefois, en préciser les éléments juridiques fondateurs. Il finira par demander la bagatelle de 5 millions de dinars au titre de dommages et intérêts. L'avocate de la défense, Me Fatiha Chelouche-Belgacem, dans un brillant plaidoyer, reprendra à son compte les grandes lignes développées par Ahmed Fattani, précisant au passage le «respect que voue Ahmed Fattani au militaire et moudjahid Khaled Nezzar, ce qui ne devrait pas l'empêcher de s'impliquer dans des débats que ce dernier a lui-même voulu initier». La défense, ce disant, plaide la relaxe pure et simple parce qu'il s'agit d'un cas d'école et qu'une condamnation, même au dinar symbolique, comme l'a souligné Fattani devant les journalistes venus nombreux solliciter ses impressions, ne signifierait rien moins que la condamnation de la liberté d'expression et du peuple algérien au nom de ce même peuple algérien. Et de conclure qu'il n'est que temps que «les gens se réconcilient entre eux». Le verdict sera rendu le 15 avril prochain.