Il n'était plus question de souffrir plus longtemps l'arrogance de l'officier. Des routes barrées à l'aide de blocs de pierres et de poteaux, des centaines de jeunes exaltés, exténués par tous les slogans scandés et un dispositif de sécurité très important de la part de la gendarmerie et de la Bmpj de Boumerdès. Voilà le spectacle affligeant qui s'offrait à nous, hier, à Zemmouri. A l'origine de cette colère de toute une ville, un responsable militaire, le colonel Bouchakour, dont le nom était colporté d'un point à l'autre de la ville de Zemmouri. «Bouchakour doit partir!», «Bouchakour c'est fini!», «Hogra, barakat», voilà quelques-uns des mots d'ordre les plus utilisés par les jeunes de la ville qui, à partir de 11h, ont commencé à marcher de Zemmouri El-Bahri vers Zemmouri-Centre. Au fur et à mesure que le temps passait, les rangs des marcheurs grossissaient. A midi, ce sont toutes les localités de la ville qui souscrivaient à la grogne des citoyens. A 12h 30, la route menant vers Boumerdès, le seul axe routier facile d'accès vers les régions les plus sinistrées, est coupée. Les jeunes s'installent à même le sol sous une chaleur accablante et toutes les propositions du monde n'arrivent pas à les faire changer d'avis. Rapidement, les gendarmes et les policiers essayent de négocier une solution en jouant sur l'humanitaire: «Vous devez laisser les voies ouvertes afin de laisser passer l'aide alimentaire à vos frères sinistrés» ou encore: «Libérez les accès à la ville et déléguez cinq ou six de vos représentants qui feront librement, et sous notre escorte, leurs doléances au commandant de secteur.» Rien n'y fit et l'argumentaire est mis sur le tapis : «C'est un homme arrogant qui insulte nos et méprise notre douleur. Son comportement est pire que le tremblement de terre que nous avons vécu», dit l'un. «Ecoutez, hier, il a fait chasser deux familles d'une tente pour la donner à des gens étrangers à la ville», ajoute l'autre. «Ce matin encore, il a fait venir quatre camions bourrés de soldats pour obliger un citoyen, qui campait près de sa maison, à restituer la tente que l'armée lui a donnée», précise un troisième. «Non, non, rectifient d'autres, le plus beau c'est qu'il nous dit à tout bout de champ que n'eût été le tremblement de terre, jamais une piétaille de notre acabit n'aurait pu lui adresser la parole.» Un élu local apporte cette autre charge: «A moi, il m'a dit qu'il chargerait des soldats de me ‘'rassasier'' de gifles, à propos d'un différend que nous avions eu sur la distribution des tentes.» Les élus, solidaires de leurs concitoyens, affirment avoir désespéré de voir cet officier revenir à de plus nobles sentiments. L'un d'eux est catégorique : «Nous n'avons eu aucun problème avec l'armée, durant les longues nuits d'après le tremblement de terre, nous avons, au contraire, partagé le bout de pain, le morceau de fromage et la bouteille d'eau minérale avec les soldats. Ceux-la nous ont aidés sans compter, ont risqué leur vie et partagé nos soucis. Mais il devient de plus en plus intolérable de gérer les humeurs morbides de cet officier.» Depuis le jour du tremblement de terre, l'officier en question semble avoir complètement perdu son contrôle. Stress? Maladresses dues à un cumul de fatigue? N'empêche qu'il est, aujourd'hui, à l'origine d'un grave précédent qui risque, s'il a un effet «boule de neige», d'entraîner d'autres mouvements de protestation dans son sillage et de transformer l'été en un large espace d'émeutes et d'émeutiers. A 16h, la fièvre n'était pas encore tombée ni les émeutiers revenus à de meilleurs sentiments. «Nous demandons la venue du Président de la République, les routes resteront barrées et Bouchakour doit partir et disparaître à jamais de notre vue.» Doublement sinistrés (la ville est démolie à 95% et la saison estivale, unique source de financement de cette belle ville côtière, est gravement compromise), les citoyens de Zemmouri doivent bénéficier d'un maximum de réconfort et de compréhension. «C'est la ville la plus touchée par le tremblement de terre, notre avenir est sérieusement menacé et il faut qu'à ces aléas s'ajoute la tyrannie d'un responsable exécrable», lancent-ils avant notre départ. En fin d'après-midi, c'est tout l'état-major de l'armée qui est sur le qui-vive. Le général-major Fodhil Cherif, commandant de la 1re Région militaire, se pointe à Zemmouri. En responsable militaire, il promet aux citoyens de prendre «les mesures nécessaires pour que pareille situation ne se reproduise plus». Le Colonel mis en cause est certainement fatiguée et doit aller ce reopser, suggere Fodil-Cherif. Cela suffit aux jeunes, exaltés par une journée d'une exceptionnelle débauche d'énergie, qui consentent à rentrer chez eux. «Les paroles de Fodhil Cherif sont à vérifier dès demain. Pour l'instant nous préférons croire en ses promesses.» Sur la route du retour, on se fraye difficilement un passage au milieu des branches et des pierres. Même la voie médiane, qui accède à la ville par le camp de toile et le champ de courses, est obstruée par des tonnes de gravats, d'arbres et de mottes de terre. Plus bas, la mer de Zemmouri. C'est là que tout a commencé.