Dans ce petit patelin de Kabylie, à Taboukert dans la commune de Tizi Rached, agonise l'une des plus grandes entreprises en Afrique. Loin des contrôles de l'Etat, ce joyau de la menuiserie industrielle nationale est tombé dans l'escarcelle de la mafia du bois. En grève depuis 20 jours, les travailleurs de «Leader Meuble» (ex-Snlb) de Taboukert radicalisent leur mouvement. Les 400 grévistes ont d'abord décidé de mettre de côté leurs revendications initiales qui portent essentiellement sur l'amélioration de leurs salaires et leurs conditions socioprofessionnelles. Pour rejoindre leurs postes et débloquer la situation de l'usine, la condition est toute simple: «Le départ immédiat et sans discussion de la personne responsable du chaos dans lequel se retrouve la société. Il s'agit de la personne qui est à la fois directeur technico-production, président de la section syndicale, président du comité de participation et membre du conseil national de l'Ugta», exigent ces travailleurs en grève. «Ce responsable est à la tête du syndicat de l'entreprise depuis 20 ans et il est le responsable de la situation désastreuse de l'entreprise», fulminent-ils. Cette usine qui fut une unité de production rattachée à l'entreprise Enatb (Entreprise nationale d'ameublement et de transformation du bois) a connu des années de gloire et ce jusqu'au début des années 1990. L'Etat faisant face au problèmes sécuritaires a dû laisser tomber ses usines et nombreuses étaient celles qui avaient fait faillite. Au Leader Meuble, c'est un peu différent nous explique-t-on. «Toute cette période profitait à ces soi-disant responsables. Les détournements de meubles étaient monnaie courante», racontent les travailleurs. Approché pour plus d'éclaircissements le président-directeur général de «Leader-Meuble», Amazouz Lounes, n'a pas mâché ses mots et attire l'attention sur les graves conséquences qui peuvent survenir. «La société se trouve dans une situation de blocage et ce sont les travailleurs qui vont perdre.» M.Amazouz commence par rappeler d'abord que la personne mise en cause par les travailleurs, à savoir le directeur technico-production et président de la section syndicale, «a été élue par les travailleurs eux-mêmes et à plusieurs reprises». Il revient ensuite sur les origines du conflit. «Les travailleurs m'ont envoyé un courrier comportant leurs revendications socioprofessionnelles depuis l'extérieur de la société» dit-il. «Ils ont envoyé ensuite un autre courrier, le 9 juillet dernier ils ont tenu une assemblée générale et ils ont entamé leur grève sans attendre la procédure réglementaire», soutient-il avant de trancher: «Cette grève est illégale et c'est l'inspection du travail qui l'a signifié car ils n'ont pas respecté la loi 90/11». M.Amazouz estime que les travailleurs «n'ont d'autre choix que d'organiser une assemblée générale pour destituer cette personne qui dérange. Mais, il faut savoir que depuis le temps, ces travailleurs l'ont élu à plusieurs reprises à la tête du CP et du syndicat». Cependant, si les travailleurs persistent dans leur position radicale «on ira vers le dépôt de plainte et c'est à la justice de trancher sur la légalité ou non de leur grève», fait savoir M.Amazouz qui regrette le fait que les travailleurs ne veulent pas interrompre leur mouvement «ne serait-ce que pour que je puisse leur attribuer des titres de congé afin qu'ils puissent percevoir leurs salaires». Les conséquences de ce mouvement de grève risquent d'être encore plus graves sur l'avenir de l'entreprise. Aujourd'hui, tout est à l'arrêt, ce qui engendrera de sérieux problèmes, même dans d'autres secteurs. L'entreprise est en passe de signer un gros contrat, mais le risque dans de telles conditions est énorme. «J'ai un marché de 200 milliards de centimes à signer avec la direction des oeuvres universitaires, mais à cette allure, j'hésite», regrette M.Amazouz. Wood-Manufacture qui est la maison mère de Leader-Meuble, et qui dépend elle aussi du Holding SGP, s'est contentée de suivre l'évolution des événements. Cependant, la radicalisation du mouvement de protestation commence à inquiéter à ce niveau. Désormais, «le groupe prend le problème en charge», explique un responsable du groupe parlant sous couvert de l'anonymat. On a appris que deux représentants de Wood-Manufacture ont été dépêchés pour concilier les différentes parties et prendre connaissance à la source des problèmes évoqués dans la plate-forme de revendications des grévistes. «Au départ, les revendications étaient portées sur les salaires et autres améliorations des conditions socioprofessionnelles, mais le mouvement prend d'autres allures en se radicalisant», s'inquiètent les responsables de ce groupe. En effet, les travailleurs ont décidé de ne «pas reprendre le travail tant que le président du comité de participation et de la section syndicale n'est pas relevé de...ses fonctions». L'attachement des travailleurs de «Leader Meuble» au principe de relancer leur société sur une nouvelle dynamique et avec un autre essor ne souffre aucun doute. C'est ce qui rassure d'ailleurs les responsables du groupe et renforce en eux un sens de disponibilité et de soutien à l'adresse des contestataires. «Nous sommes prêts à régler tous les problèmes posés et apporter des solutions sérieuses pour toutes les revendications des travailleurs», assure notre source du groupe Wood-Manufacture. Mais, le problème admet-elle, s'est compliqué dès lors qu'il nécessite un règlement syndical. Etre directeur de la technico-production, parfois P-DG par intérim en même temps que président de la section syndicale et du comité de participation, c'est toute l'inspection du travail et l'Ugta ainsi que la société mère qui se sont fourvoyées pendant près de 20 ans. Nos tentatives de joindre le président de l'union de wilaya de l'Ugta, Ramdani Bachir, ainsi que le patron de la Centrale syndicale, Madjid Sidi Saïd, afin d'avoir des explications par rapport à cet imbroglio sont restées vaines. Pour sa part, le collectif des travailleurs, membre de l'Ugta, a saisi à deux reprises par écrit ses responsables mais point de réponse. Après tout, l'aspect syndical qui corse davantage le problème de cette société doit être levé dans l'immédiat. Même si le directeur général de Wood-Manufacture, aura à traiter le rapport détaillé de cette affaire, les grévistes attendent plutôt l'intervention du P-DG de la SGP, en l'occurrence, M.Saïdani, en qui ils placent toute leur confiance. Par ailleurs, les travailleurs comptent s'en remettre au président de la République dans les plus brefs délais. Affaire à suivre...