Pour la direction de l'organisation, l'imam d'El Harrach était devenu l'«homme à abattre». Le Groupe salafite pour la prédication et le combat (Gspc) a revendiqué, en fin de semaine, l'assassinat à Alger, de l'imam de la mosquée d'El Harrach, Abdennacer Abou Hafs, tué de trois balles tirées à bout portant le 10 mars dernier, après la prière du dohr. Le communiqué du Gspc, diffusé dans un premier temps, dans le seul cercle des hommes du groupe, est authentique et porte la signature de Nabil Sahraoui. Selon les propres termes du communiqué, Abou Hafs s'était rendu coupable de «trahison» envers la djamaâ et méritait de fait, sa condamnation à mort. Le communiqué justifie aussi cet assassinat par le fait qu'Abou Hafs est non pas un repenti (grief déjà passible de mort), mais «un collaborateur des services de sécurité, avec qui il entretenait d'étroites relations». Le Gspc semble avoir dressé une liste des hommes à abattre, spécialement constituée de repentis du Gspc et du GIA. Une petite cellule active aurait été introduite dans la capitale pour exécuter les «cibles» et appliquer les sentences de mort. Un jeune repenti avait été tué à Bachedjarah, un quartier populaire à l'est de la capitale, quelques jours avant l'assassinat d'Abou Hafs, et on commençait à observer, lors de son enterrement, des signes d'inquiétude et de vague appréhension de la part des repentis qui parlaient ce jour-là, «de prendre leurs précautions contre d'éventuels tueurs.» Abou Hafs figurait en bonne place sur la liste des hommes à abattre. L'information a été confirmée par plusieurs autres sources, et l'imam, dans un premier temps, s'était isolé et ne sortait seul que rarement. Peu à peu, il reprenait ses habitudes et s'était mis à s'intéresser à la vie quotidienne d'El Harrach et de sa périphérie, ce qui lui a valu d'être sévèrement critiqué par ses anciens compagnons de la nébuleuse radicale qui lui reprochaient de «s'afficher avec le président de l'APC d'El Harrach.» L'imam Abou Hafs a fini par baisser la garde et ne plus accorder de crédit à ses «anciens frères», qu'il renie aujourd'hui et qui le renient tout autant. Homme de culture islamique livresque, versé dans l'exégèse coranique et la littérature académique, Abou Hafs ne se départait pas de ses devoirs d'homme de foi, de fidèle des mosquées et d'orateur avisé. Pour rappel, Abou Hafs était un ancien militant de l'ex-FIS et un tribun redoutable. Prêcheur à la mosquée d'Ouled Fayet, il retournait les jeunes exaltés de la mouvance islamiste radicale comme des frites dans une poêle. Djihadiste convaincu, il a appelé à la guerre sainte, dès le début de 1992, et formé son propre groupe armé, avant même la naissance du GIA, en octobre de la même année. C'est ce qui lui a valu d'être recherché par les forces de sécurité, et quelques mois plus tard, d'être arrêté et emprisonné à Serkadji. Son importance aux yeux de la direction du GIA a fait que son nom avait été toujours mentionné dans les communiqués que signait Djamel Zitouni à partir de 1994. Le communiqué diffusé lors du détournement de l'Airbus français, en décembre 1994, réclamait sa libération, ainsi que celle «des frères Abdelhaq Layada et Abou Djamel, émir d'Alger». C'est dire l'importance d'Abou Hafs. Elargi, repenti, Abou Hafs avait contribué à faire descendre beaucoup de terroristes des maquis. Les responsables de la sécurité intérieure avaient fini par tenir en haute estime cet imam qui avait trouvé sa voie : prêcher la bonne parole et répandre la fraternité. Mais cette voix de paix intérieure ne sera pas de beaucoup d'intérêt pour ceux qui l'avaient déjà condamné à mort. Pour ses anciens frères des maquis, et qui sont restés fidèles à la ligne pure et dure du djihad, sa mort avait été décrétée et il ne restait alors qu'à trouver l'occasion. Elle se présentera à El Harrach le 10 mars 2004, à 14 heures.