Le 29 juin 1992, le président du Haut Conseil d'Etat, en visite de travail à Annaba, avait été froidement abattu. Le 31 octobre 1954, à la veille du déclenchement de la révolution, il avait rédigé, de cette main qu'il avait tendue aux Algériens un certain 10 janvier 1992, la proclamation historique du 1er novembre donnant effet à un rêve de liberté qui emplissait les coeurs de toute une jeunesse, de tout un peuple. Le 29 juin 1992, après un long exil, ce même homme fut lâchement assassiné, chez lui en Algérie. Une fois encore, Mohamed Boudiaf avait rendez-vous avec l'Histoire. Appelé à la rescousse, pour sauver un peuple rongé par l'obscurantisme islamiste, la déliquescence politique, mais surtout par la misère sociale qui avait fini, à cette époque et jusqu'à aujourd'hui d'ailleurs, par entamer les couches les plus larges de la société, il était venu tendre la main à ces millions de jeunes, femmes et hommes, assoiffés de liberté et de dignité. Très vite, l'homme, peu connu des nouvelles générations - la censure pédagogique a tristement fait florès - avait pénétré le coeur des gens. Chose qui n'était guère possible, à cette époque. Rompu aux vieilles méthodes et à la politique de salons, dont se sont fait notoriété, au mépris de la société, nombre de responsables bien avant lui, ce dernier voulait aller au fond des problèmes pour tenter, ainsi, d'éteindre le feu qui, hélas, avait déjà atteint la poudre. Boudiaf, lorsqu'il s'exprimait au cours de ses multiples (et peu) sorties, savait convaincre. Sa «naïveté ?» que certains de ses proches n'avaient cessé de lui reprocher, avait retenti dans la conscience collective comme un véritable déclic. Le coup de starter qui allait éviter à l'Algérie de sombrer dans les ténèbres du discours d'un Fis qui promettait feu et sang si quelqu'un venait à se dresser sur son chemin...dévastateur. En tant qu'homme des missions difficiles, il avait choisi, comme il fallait s'y attendre au demeurant, de défendre son pays contre une caste politique «obsolète» qui régnait sans partage sur les richesses du pays. Les discours musclés qu'il prononçait avec le franc-parler qu'on lui connaît, à chaque fois que l'occasion lui est propice, en disaient long sur sa détermination à aller au bout de sa logique : chasser la maffia politico-financière solidement installée dans les rouages du système. Pour ce faire, Boudiaf a prouvé qu'il n'était pas de ceux qui faisaient dans la dentelle. Premier acte: Hadj Bettou, porte-drapeau des trafiquants, sur ordre présidentiel, avait été mis hors d'état de nuire. La menace ainsi brandie, les cercles occultes se sentaient franchement menacés. Le temps ne jouait pas en leur faveur. La rente dictait ses règles. Ils décidèrent, au mépris du peuple et de l'Histoire, de mettre fin à un homme qui allait leur couper l'herbe sous le pied. Boudiaf assassiné. La jeunesse n'a pu, depuis, s'identifier à ses gouvernants qui se sont, des années durant, succédé sans pour autant suivre la voie tracée par Si Tayeb El Watani. Ce dernier, en dépit de son âge et de son exil, avait promis à l'Algérie un régime démocratique basé sur le respect des libertés, collectives et individuelles. Pour mener à bien cette vaste entreprise, il avait fait appel à la jeunesse sur laquelle reposait l'essentiel de son projet politique. A cette force, Boudiaf étendait long son bras...long son rêve...mais le 29 juin 1992, Mohamed Boudiaf, président du Haut Conseil d'Etat, en visite de travail à Annaba, a été froidement et lâchement abattu...