Dominique Lefebvre est vice-président de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire. Il est également vice-président du groupe socialiste, écologiste et républicain, à l'Assemblée nationale française. L'Expression: Maintenant que les Français ont fait leur choix. Ils se sont exprimés au premier tour de la présidentielle, quelle lecture faites-vous des résultats de cette élection? Dominique lefebvre: Le résultat du 1er tour de l'élection présidentielle est à l'évidence un bouleversement de la vie politique française avec l'élimination des deux grands partis du gouvernement. Il y a là bien sûr la conséquence de la progression continue de l'extrême droite depuis 30 ans, déjà présente au second tour en 2002 et à nouveau cette fois-ci avec plus de 21% des voix. Le Front national se nourrit de la crise, d'un niveau élevé de chômage, de la peur de l'immigration et des inquiétudes de celles et ceux qui s'estiment victimes de la mondialisation et de la globalisation des échanges. Cela n'est pas nouveau et n'est pas propre à la France, puisque le populisme et le nationalisme se manifestent dans les autres pays européens et même aux Etats-Unis, comme les a illustrés l'élection de Donald Trump, à la tête des Etats-Unis d'Amérique. Mais ce résultat traduit aussi et surtout la crise profonde qui traverse la droite et la gauche du gouvernement. Il sanctionne les divergences internes de plus en plus accentuées de la droite républicaine partagée entre une aile dure, finalement plus proche des thèses du Front national et une droite sociale et humaniste, une droite dont les divisions internes et les ambitions personnelles de ses dirigeants les ont empêchés d'écarter François Fillon lorsqu'il est apparu qu'il n'était plus en situation de faire gagner son camp. La droite républicaine a donc une responsabilité historique très lourde dans cet échec. Mais le premier tour du scrutin présidentiel sanctionne à l'évidence aussi le Parti socialiste.... En effet, il sanctionne aussi les ambiguïtés persistantes du Parti socialiste qui se sont exprimées dès 2005 sur l'Europe et ont été depuis masquées et jamais tranchées. Le quinquennat de François Hollande en a été l'illustration, entre d'une part des «frondeurs» qui dès 2012 ont sapé l'action du gouvernement et de la majorité parlementaire et d'autre part, un président et des dirigeants socialiste, qui n'ont pas su, pu ou voulu clarifier leurs choix politiques et assumer ces divergences. Benoît Hamon, en refusant d'assumer le bilan du quinquennat et en développant un projet en rupture avec la culture sociale-démocrate de gouvernement du Parti socialiste a réussi l'exploit de faire fuir l'électorat de gauche réformiste vers Emmanuel Macron et de faire la campagne de Jean-Luc Mélenchon qui en a récolté les fruits. Bref, il a perdu sur les deux tableaux et marqué la fin pour le PS du cycle d'Epinay. Quel regard portez-vous sur le deuxième tour de l'élection présidentielle opposant l'extrême droite conduite par Marine Le Pen et le mouvement «En Marche» de Emmanuel Macron? Au second tour, ce sont deux visions opposées de la France qui vont s'affronter. L'une, républicaine, européenne, ouverte au Monde et fidèle aux idéaux et valeurs traditionnels de la France depuis le siècle des Lumières représentée par Emmanuel Macron, une France qui veut regarder l'avenir avec optimisme et relever les défis du XXIe siècle. L'autre, avec Marine Le Pen et le Front national, anti-républicaine, refermée sur elle-même, qui cultive les peurs et les inquiétudes, qui veut détruire l'Europe et dont le programme serait un désastre sur le plan économique et social, mais aussi dans le domaine de la politique internationale. C'est un enjeu pour l'avenir de la France, pour l'avenir de l'Europe et pour le monde aussi car, ne l'oublions pas, la France est la 5ème puissance économique mondiale et est membre permanente du Conseil de sécurité des Nations unies. Quelle solution, faut-il aux Français, pour éviter la vague extrémiste qui menace et remet en cause les fondements même de la République? Un large rassemblement républicain va se faire autour de Emmanuel Macron qui devrait finalement l'emporter assez largement. Mais, après le 7 mai, il y aura, les 11 et 18 juin, les élections législatives qui devront lui donner une majorité présidentielle pour gouverner. Sur ce plan, rien n'est aujourd'hui joué. Pour ma part, moi qui ai appelé à voter et qui ai voté pour Emmanuel Macron parce que je suis député socialiste et que c'était mon devoir et ma responsabilité, je considère que les socialistes français doivent résolument s'inscrire dans la perspective de cette nouvelle majorité présidentielle et y jouer tout leur rôle. C'est là manifestement un sujet de divergence entre socialistes et je suis en complet désaccord avec Benoît Hamon qui a qualifié Emmanuel Macron «d'adversaire politique». Non, les socialistes français doivent être des partenaires de cette nouvelle majorité parlementaire et j'entends bien pour ma part en être. Lors de sa visite en Algérie, Emmanuel Macron avait déclaré que la France a commis «un crime contre l'humanité» lors de la guerre d'Algérie. Ce sont des mots très forts qui ont même fait réagir les candidats à l'élection contre lui. Emmanuel Macron «président» assumera-t-il ses propos et agira-t-il? Emmanuel Macron a prononcé des mots très forts sur la guerre d'Algérie et, finalement, mis des mots justes sur des faits connus. Il a depuis assumé ses propos tout en regrettant d'avoir pu blesser. Je suis finalement assez proche de Emmanuel Macron sur ce sujet pour une raison simple: 55 ans après la fin de la guerre d'Algérie, nous devons pouvoir porter un regard apaisé sur ces 150 ans d'histoire commune entre la France et l'Algérie, faite de drames et de souffrances, mais aussi de liens forts qui nous lient. Ce qui est important aujourd'hui, c'est que la France et l'Algérie puissent regarder l'avenir ensemble.