Comme il fallait s'y attendre, le chef du gouvernement a démonté, point par point, l'ensemble des critiques dont il a fait l'objet de la part des députés. Ahmed Ouyahia, en réponse aux quelques 200 députés venus discuter son rapport de conjoncture, a carrément mis le paquet hier. Homme pragmatique et pondéré, il a subdivisé sa très longue réponse en plusieurs volets dont le plus important, sans doute, est celui d'ordre politique. Détenteur d'une large majorité, très sûr de lui donc, il remerciera tout le monde, y compris les sons les plus critiques, cela non sans s'étonner, en référence à certaines sorties de députés du FLN, que «des intervenants, n'ayant pas encore digéré les résultats de la présidentielle du 8 avril 2004, et qui au lieu de critiquer le gouvernement et son bilan, s'en sont pris au contraire au peuple algérien et à ses choix». Menace à peine déguisée pour l'avenir politique de ces gens, Ouyahia se contentera juste de conclure ce chapitre en disant que «le peuple a suivi ces intervenants en direct à la télévision». Soucieux d'aller vite face au grand nombre de dossiers soulevés, Ouyahia enchaînera immédiatement sur la question de la réconciliation nationale et de l'amnistie générale pour défendre une idée qui lui est bien chère. Ouyahia, qui commence par dire que «la démarche est celle du président Bouteflika», précise qu' «elle sera soumise au peuple par le chef de l'Etat sans le moindre intermédiaire». Ouyahia, qui ne cache pas son hostilité vis-à-vis des comités de soutien, à majorité FLN, leur dénie le droit de «faire» commerce » de cette démarche. Il ajoute même, comme il l'avait dit précédemment, que le vote sera massif et positif même sans la moindre campagne pour la simple raison que le peuple a déjà exprimé clairement son choix le 8 avril 2004. Ouyahia, qui refuse donc de dévoiler la moindre information relative à ce projet, n'en précise pas moins qu'il revêtira deux volets, l'un politique et l'autre constitutionnel. Il ajoute, démentant au passage les spéculations, que l'amnistie ne concernera en rien le fisc et les harkis. Conscient, sans doute, d'être allé trop loin alors que des comités ont beaucoup fait en faveur de la promotion de l'amnistie, amenant des groupes terroristes à décréter des trêves unilatérales, Ahmed Ouyahia saluera quand même les actions de ces comités, avant de les prévenir qu'ils ne doivent rien espérer en échange. Pour ce qui est des citoyens qui ont permis le sauvetage de la République, et que d'aucuns interpellent sur leur devenir, Ouyahia s'est voulu on en peut plus rassurant en indiquant que «l'Etat ne tournera pas le dos à ceux qui ont dignement accompli leur devoir en faveur du sauvetage de la République et de la démocratie». «L'Alliance présidentielle ne gêne personne» Maniant tour à tour la rhétorique, la persuasion et l'indignation, le chef du gouvernement a enchaîné sur le respect des libertés politiques. Il se montrera véritablement «étonné» que d'aucuns aient pu craindre pour le pluralisme et la démocratie à cause de la naissance de l'Alliance présidentielle. Une pareille démarche, qui ne gêne en rien les activités des autres formations politiques, selon le chef du gouvernement, existe même au sein de pays dotés de démocraties séculaires. Selon lui, les salles et les médias lourds sont mis à la disposition de l'ensemble des courants politiques. Pour ce qui est de la demande relative à la levée de l'état d'urgence, émanant du MSP, membre de l'Alliance et du gouvernement, Ahmed Ouyahia se montrera on ne peut plus dur. «Il faut cesser de faire de cette question une affaire de tactique ou de manoeuvre politicienne, car il s'agit d'une affaire de vie ou de mort concernant le peuple algérien». Reprenant à son compte les arguments déjà développés par le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, le chef du gouvernement dira que «l'état d'urgence n'a jamais empêché les activités politiques, ni gêné les libertés collectives et individuelles». Allant encore plus loin dans la critique, et faisant référence aux ONG, Ouyahia dira que «l'Algérie était seule, et absolument seule, pour enterrer ses morts». Cela, avant de s'écrier: «Cessons de nous exprimer au nom des autres et parlons des vrais problèmes des Algériens». Plus déchaîné que jamais, revenant au maniement des chiffres comme il en a le secret, Ouyahia éludera la question de l'emprisonnement des journalistes pour ne s'intéresser qu'aux autres aspects censés prouver que la presse «est libre en Algérie». Ouyahia souligne ainsi qu'il existe en Algérie 250 journaux dont 46 quotidiens, dont une quarantaine sont privés. L'Etat dépense chaque année 4 milliards en faveur de la publicité, dont 3 pour la presse écrite et 2 rien que pour les journaux privés. Quant aux radios et télévisions privées, le «niet» du gouvernement est aussi catégorique qu'avant. «Il faut laisser le temps au temps», dira-t-il avant de rappeler que «certains voulaient appliquer, en 2003 en Algérie, un scénario géorgien ou vénézuélien. Ils ont juste manqué d'armes et de médias lourds». «La traque aux corrompus n'est pas finie» Ouyahia, qui souligne implicitement que les journalistes ne seront pas emprisonnés pour leurs écrits, même s'ils sont condamnés, précise seulement, que «la politique des amendes sera maintenue». En guise d'exemple, il citera celui du Canard enchaîné, lequel fait de la «diffamation» un choix professionnel et qui lui réserve même un budget spécial. Pour ce qui est de la campagne contre la déprédation économique et la corruption, celle-ci est loin d'être «ponctuelle». Ouyahia évoque «des centaines de dossiers traités chaque mois sans que personne ne soit placé au-dessus des lois». Il ajoute même que «les choses iront crescendo à l'avenir grâce à l'entrée en vigueur de nouvelles lois». Pour ce qui est de la suppression de certaines prérogatives des élus locaux au profit des commis de l'Etat, Ouyahia dira qu'«il n'y a là aucune arrière-pensée politique puisque l'ancien parti majoritaire a, lui aussi, des élus qui sont en prison». Il explique cette démarche par la volonté de rendre plus efficaces les actions de l'Etat et reproche à ses détracteurs de «voir le diable partout». Ouyahia, enfin, a véritablement donné le compte aux députés islamistes à propos de la suppression du Bac charia. «Il ne s'agit pas d'une décision prise par M. Benbouzid ni par celle de son département ministériel. C'est le gouvernement qui en est l'auteur.» Se faisant carrément menaçant en direction des membres de l'Alliance qui en contestent la légitimité, il les invite «à en discuter en Conseil des ministres». Répétant le mot plusieurs fois, il a tenu à faire comprendre à tous que c'est le président Bouteflika en personne qui se trouve derrière une pareille orientation dont le bien-fondé a, lui aussi, été largement explicité. S'agissant de la crise de Kabylie, Ouyahia réitérera l'ensemble des engagements du gouvernement, à commencer par la dissolution des assemblées locales et la tenue d'élections partielles. L'Exécutif est également résolu à mettre «en application la plate-forme d'El Kseur dans le respect de la Constitution et des lois de la République». Visiblement convaincant, Ouyahia, après un discours de trois heures, a fortement été applaudi par l'écrasante majorité des quelque 300 députés présents dans l'hémicycle. Amar Saïdani, dans une courte allocution de clôture, a mis en exergue le caractère «libre» et «démocratique» des débats. Cela, avant de «cautionner» personnellement le bilan du gouvernement.