«Ennahda a présenté des élus et des repentis de l'ex-FIS à Oran, Djelfa et dans bien d'autres wilayas.» Egal à lui-même, maîtrisant parfaitement l'art de la rhétorique, Ahmed Ouyahia s'est volontiers prêté au jeu des questions-réponses lors de l'émission Forum, émise jeudi sur les ondes de la Chaîne III. Une occasion pour ce leader politique, qui sait forcément de quoi il parle, de tirer très fort la sonnette d'alarme par rapport au péril islamiste qui menace de s'abattre sur le pays à l'occasion des législatives du30 mai prochain. Prenant prétexte de ce qui se passe en France, et en réponse à une question relative à ce sujet, le secrétaire général du RND dira que le péril islamiste n'est pas qu'une simple vue de l'esprit. Ce péril est d'autant plus grand qu'il sera amplement favorisé par le boycott massif qui risque de caractériser ces élections. Ouyahia a estimé que les appels au rejet et au boycott des élections sont en fait des appels au désespoir à un moment où, au contraire, le peuple a grandement besoin d'espérance. Etablissant le distinguo entre le SG du RND et le poste de ministre d'Etat, ministre de la Justice qu'il occupe par ailleurs, Ouyahia avance des preuves formelles attestant que «le mouvement Ennahda de Lahbib Adami a présenté des élus et repentis de l'ex-FIS à Oran, Djelfa et dans bien d'autres wilayas». Le SG du RND sera donc le premier haut commis de l'Etat à tirer la sonnette d'alarme. En cas de boycott massif, les islamistes nous envahiront. Dans le meilleur des cas, dira encore Ouyahia, ils obtiendront 40% des sièges, ce qui représentera pour eux une véritable aubaine, une antichambre imprenable vers le pouvoir. Le patron du RND a pratiquement entamé ses propos en s'en prenant, sans ménagement aucun, aux quelques voix qui s'étaient élevées récemment, au nom de la démocratie, pour demander un putsch militaire contre le Président Bouteflika. Pour Ouyahia, ces gens, qu'il s'est refusé de nommer, mais qui sont connus de tous, «ont obéi à des calculs politiciens et politicards». Cet appel, insiste le SG du RND, prône la transition... pour la transition. «L'armée, hier seulement, était insultée par ces mêmes personnes, ajoutera-t-il indigné, avant d'être appelée aujourd'hui à la rescousse pour des causes par trop douteuses.» Défenseur acharné, donc, de la tenue des législatives à leur date constitutionnelle, Ouyahia dira que ce choix ne peut être intéressé puisque c'est le RND, grand gagnant des précédentes joutes électorales qui met en jeu le plus gros de ses acquis. Mieux encore, Ouyahia n'hésite même pas à remettre en cause son parti en admettant que «pas mal d'élus ont trahi la confiance qui avait été placée en eux». Cela non sans ajouter que des élus du FLN, du RCD et du MSP se trouvent dans le même cas. Usant d'un franc-parler peu commun chez ce leader politique, il avouera avoir reçu une gifle avec l'absence de candidats RND à Batna à cause de vulgaires considérations égoïstes. Dans cette wilaya, consigne est déjà donnée pour faire campagne en faveur du FLN afin de favoriser la famille nationaliste et de barrer la route à l'islamisme politique. Il paraît, ainsi, visiblement dépité, mais prêt à en découdre avec l'ensemble de ses contradicteurs, y compris via le Conseil national avec un vote à bulletin secret. Il se montrera à ce propos content du dépit, voire de la grogne, qui a gagné certains députés et cadres du parti exclus des listes en indiquant qu'il avait donc eu raison de les écarter. Ouyahia se montrera particulièrement intraitable par rapport aux meneurs du mouvement de «sauvegarde du RND». Jouant à fond la carte de l'attaque directe contre les meneurs, il se départira de son flegme quasi légendaire pour attaquer frontalement Aïssa Nouasri, cité nommément, qu'il accusera d'être coupé de sa région, de sa base et de n'avoir eu que ce qu'il méritait. En homme ordonné, calculateur jusqu'à un degré maladif, il ajoutera que Nouasri, en cinq années de députation, n'est intervenu que trois fois. Il omettra, cependant, de préciser qu'en tant que membre de la commission des finances, les interventions en plénière lui étaient le plus souvent interdites. Le second meneur, Mohamed Kébir présumons-nous, ferait carrément l'objet d'une instruction judiciaire. Plus sûr de lui que jamais, Ouyahia dira que le RND est loin d'être fini puisqu'il est toujours le premier parti du pays et qu'il compte bien se maintenir à cette position en décrochant entre 110 et 130 sièges dans la future APN. S'agissant de la Kabylie, enfin, Ouyahia dira que les choses vont en s'améliorant depuis la mise en application de toutes les mesures d'apaisement prises par le chef de l'Etat. «En dépit des appels au boycott et au rejet lancés par des ténors dans la région, il y a de fortes chances pour que le taux d'abstention ne soit pas aussi bas qu'on le suppose», dira-t-il en substance. Reste à attendre la réaction des députés et cadres frondeurs venus d'on ne sait où sauver le RND d'on ne sait quoi.