Il a déployé tout une batterie de statistiques prouvant que la femme tunisienne a pleinement conquis son droit à l'égalité BCE a en effet promis, dans la foulée de la Fête de la femme, l'application de l'égalité en matière successorale ainsi que l'abolition de la circulaire du 5 novembre 1973 qui «interdit à une femme tunisienne d'épouser un non-musulman». C'est un gros pavé dans la mare politique tunisienne que le président de la République Béji Caïd Essebsi a jeté dernièrement, en marge du discours du 13 août sur les avancées en matière de libertés individuelles. Et pour cause, profitant de la Fête de la femme qui correspond également à l'anniversaire de la promulgation du Code du statut personnel, tout en s'appuyant sur les dispositions constitutionnelles, il a clamé que plusieurs lois jugées défavorables aux femmes vont devoir être «amendées». Et de citer, à l'appui de sa déclaration, la loi sur l'héritage qu'il faudra modifier: «Une commission a été créée ce matin qui aura comme prérogative de voir comment on peut mettre en place l'égalité dans l'héritage», a-t-il annoncé, rappelant aux conservateurs que «la Turquie, un modèle pour certains et certaines, a adopté l'égalité dans l'héritage depuis Ataturk et personne ne peut plus l'enlever». Au titre de l'argumentaire, toujours, il a déployé toute une batterie de statistiques prouvant que la femme tunisienne a pleinement conquis son droit à l'égalité: 75 femmes députées, 60% des médecins sont des femmes, 75% des dentistes et des pharmaciens sont des femmes, 35% de femmes ingénieurs, 41% de femmes juges, 43% de femmes avocats... «En conséquence, lorsqu'on pense à l'égalité, cela ne doit pas être étrange. On ne peut pas comparer la femme d'aujourd'hui à la femme de 1965. Aujourd'hui, la femme est l'égale de l'homme» a-t-il conclu dans un élan qui n'est pas sans rappeler celui d'Aragon. L'homme a une longue expérience et une non moins longue pratique de la politique politicienne pour ne pas savoir à quels risques il se confrontait. «Aller vers la parité ne veut pas dire aller à l'encontre de la religion. Nous avons un Etat civil mais son peuple est musulman, et celui qui veut diriger un Etat doit prendre en compte les sentiments de ses citoyens. C'est pour ça que nous allons dans la direction de la parité dans tous les domaines» a-t-il ainsi prudemment plaidé avant d'asséner un autre coup de massue sur la tête des conservateurs, dont ses propres alliés d'Ennahda. BCE a en effet promis dans la foulée l'abolition de la circulaire du 5 novembre 1973 qui interdit à une femme tunisienne d'épouser un non-musulman. «Je demande aussi au ministre de la Justice de revoir la circulaire numéro 73 car nous avons plusieurs Tunisiennes mariées à des étrangers», a justifié le chef de l'Etat tunisien. Nombreuses et mitigées, les réactions ont été, on s'en doute, à la mesure de la secousse sismique. D'aucuns ont aussitôt crié au blasphème et à l'acte d'apostasie tandis que les courants progressistes ont donné libre cours à leur satisfaction, parlant de décisions «avant-gardistes» et même «historiques». Quelques-uns ont préféré la satire, rétorquant aux responsables de Nidaa Tounès défenseurs du projet présidentiel que, «bientôt, il n'y aura rien d'autre à hériter que le fardeau de la dette nationale» et que l'égalité successorale ou le mariage d'une Tunisienne avec les non-musulmans vont juste semer la confusion et engendrer davantage de divisions idéologiques. Parmi les réactions les plus vives, en contraste avec celle du mufti actuel de la République qui a aussitôt apporté son soutien à ces propositions, les refus indignés lors d'une conférence de presse organisée jeudi dernier par l'Association des oulémas pour la modération et la lutte contre l'extrémisme et l'Instance des oulémas en Tunisie, à laquelle a pris part une délégation de l'Association des oulémas algériens. Ceux-ci ont jugé l'initiative de BCE «contraire à l'islam» et «dangereuse pour la société» tunisienne. On s'en serait douté. Mais que diable est allée faire la délégation algérienne dans cette galère, est-on tenté de dire. N'est-ce pas avant tout un débat tuniso-tunisien et l'immixtion de toute partie étrangère ne constitue-t-elle pas une ingérence avérée? Le malaise est d'autant plus grand quand on apprend que la sacro-sainte Al Azhar a tiré à boulets rouges sur le mufti de la République et sur les dirigeants tunisiens solidaires du président Béji Caïd Essebsi jusqu'à jeter sur eux l'anathème. On devine que la lutte implacable du régime égyptien contre les Frères musulmans aura pesé de tout son poids sur les réactions des oulémas qui, en ces temps d'incertitudes, ne savent pas tout à fait à quels saints se vouer. Au fait, on attend toujours les commentaires d'Ennahda...