Contestés par les sunnites et les laïcs notamment, les résultats (partiels) du scrutin législatif du 15 décembre ouvrent une crise à Baghdad. Alors même que les résultats officiels définitifs ne sont pas encore connus, les contestations qui ont suivi la publication, mercredi, par la Commission électorale centrale (CEC), de résultats partiels a pris de l'ampleur vendredi et samedi, sortant des sièges des partis pour investir la rue. Emmenés par les sunnites du Front de la concorde nationale (qui regroupe trois des principaux partis sunnites irakiens) les sunnites libéraux et les communistes alliés aux laïcs du Mouvement de l'entente nationale de l'ancien Premier ministre Iyad Allaoui, pas moins de 35 formations se sont réunies jeudi dernier pour faire le point d'une part sur les premiers résultats des législatives, appelant à l'annulation du scrutin entaché, selon les contestataires, de fraudes, d'autre part. Ainsi, ces formations ont-elles purement et simplement rejeté les résultats donnés par la commission électorale, demandent une enquête internationale, sur «les violations et les irrégularités qui ont entaché le processus électoral» menaçant, par ailleurs, de boycotter le nouveau Parlement dans l'optique où leurs doléances ne seraient pas prises en considération. Dénonçant les «violations» qui ont marqué, selon les contestataires, le scrutin, ceux-ci, dans un communiqué publié après leur réunion de jeudi, déclarent «Nous rejetons totalement les résultats des élections falsifiées et demandons d'annuler ces résultats partiels annoncés par la commission». De fait, la grogne des sunnites, notamment, peu satisfaits de la tournure prise par les évènements, induit un malaise que les responsables politiques irakiens, à leur tête le président Jalal Talabani, prennent très au sérieux d'autant plus que cette crise politique latente peut influer négativement sur la suite de la mise en place des nouvelles institutions irakiennes. Aussi, le président Talabani s'est-il appliqué, hier et durant le week-end, à trouver une issue à une crise qui risque, outre de compliquer la donne politique du pays, de ramener le pays à la case zéro. Pour ce faire, jouant au médiateur, il a rencontré tous les acteurs du champ politique irakien avec l'objectif de rapprocher les vues des uns et des autres et de trouver une solution à une crise qui menace d'éclater à tout moment. D'autant plus, qu'il est évident qu'il ne saurait y avoir de retour à la normale en Irak en l'absence de la communauté sunnite qui représente près de 25% de la population irakienne, autant que la communauté kurde, bénéficiaire de ce scrutin avec les chiites conservateurs, accrédités, indiqua-t-on, de quelque 80% des voix, qui semblent avoir trusté la presque-totalité des sièges à pourvoir dans les neuf provinces chiites et la capitale Baghdad. La commission électorale, au centre de la polémique, tente de calmer le jeu, écartant toutefois l'idée d'une annulation du scrutin, estimant que si violations il y a, elles sont mineures et «qu'aucune fraude à grande échelle» n'avait été constatée selon un porte-parole de la commission électorale. De fait, déjà absents ou sous-représentés dans le Parlement sortant, les sunnites et le courant démocrate et libéral, représenté par le mouvement de Iyad Allaoui, ne veulent pas faire les frais, une nouvelle fois, du partage du pouvoir entre les chiites conservateurs et les Kurdes. Grands triomphateurs, semble-t-il, du scrutin du 15 décembre, les conservateurs chiites ne veulent pas entendre parler d'annulation ou de remise en cause des résultats acquis arguant, comme le fait Abdel Aziz Hakim, leader du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (Csrii), qui concède toutefois le fait qu' «on a certes le droit de contester les résultats», s'élève en revanche contre les «prises de position regrettables et les menaces qui ne sont pas acceptables» et affirme: «Il faut respecter la volonté du peuple». Hier, c'est un autre homme politique chiite qui revient à la charge «Il n'est pas question d'annuler les résultats des élections et d'organiser un nouveau scrutin» indique Jawad Al-Maliki, numéro deux de la formation Da'wa du Premier ministre sortant, Ibrahim Al-Jaafari, qui assène à son tour: «Il faut accepter les résultats». C'est dans cette ambiance de suspicion et de crise latente que le grand ayatollah Ali Sistani qui a appelé, à la veille du scrutin, le peuple irakien à voter massivement, intervient de nouveau appelant à la formation d'un gouvernement «d'union nationale» pour dépasser les clivages communautaires. Ainsi, selon le conseiller à la sécurité, Mouaffak Al-Roubaï, qui l'a rencontré hier, le grand ayatollah a «appelé à l'unité du peuple irakien et souhaité voir les listes gagnantes prendre les choses avec sagesse et ne pas recourir à la violence». Selon encore M.Roubaï, le grande ayatollah Ali Sistani a demandé à la liste chiite, donnée vainqueur aux élections, à «travailler avec les autres composantes du peuple irakien pour former un gouvernement d'union nationale représentant toutes les familles (politiques) principales du pays». Toutefois, tant que les résultats officiels ne sont pas connus, tout cela reste, à la limite, du domaine de la spéculation. Aussi, un monopole politique des conservateurs chiites, après celui du Baas, ramènerait l'Irak à la situation d'avant l'invasion américaine et la chute du régime de Saddam Hussein.