Le carnage de Cana a montré combien, à l'évidence, il y avait abus dans la qualification de la confrontation actuelle. En effet, il faudra sans doute requalifier ce qui se passe depuis 20 jours au Liban, et les crimes qu'y commet l'armée israélienne sous le regard incrédule, soit indifférent, de la «communauté internationale», du moins sa partie dite «agissante» ou influente. Aussi, parler aujourd'hui de guerre est en effet un euphémisme, si l'on tient que pour faire une guerre il faut au moins deux armées de forces égales, disposant des mêmes moyens et équipements. Est-ce le cas au Liban? Est-ce le cas dans les territoires palestiniens occupés? La question est posée aux puissances «agissantes» qui gouvernent la planète. Mais d'ores et déjà la réponse ne souffre aucune réfutation dès lors que c'est la plus puissante armée du Moyen-Orient qui est confrontée non pas à son homologue libanaise, mais à des milices de la résistance libanaise du mouvement islamiste Hezbollah. Outre cela, alors que l'armée israélienne est suréquipée et dispose des moyens les plus avancés de la technologie militaire, l'armée libanaise qui -soulignons-le- ne prend toujours pas part à la confrontation n'a ni aviation capable de répondre aux frappes israéliennes et encore moins de missiles anti missiles pour protéger le territoire libanais. De fait, l'armée libanaise ne dispose même pas de ce moyen archaïque qu'est la DCA (défense contre-avions.), Ce qui explique aussi les monstrueux dégâts causés au pays des Cèdres, et le nombre de victimes qui ne cesse de s'aggraver. Qui est David ? Qui est Goliath ? Dès lors, militairement parlant, le Liban est un poids plume confronté au poids super-lourd israélien. En boxe, un arbitre n'acceptera jamais un tel match -un poids plume contre un super-lourd- car ce serait tout simplement donner son assentiment à un véritable assassinat. Au plan militaire c'est exactement ce qui se passe aujourd'hui au Liban quand le médiateur américain, arbitre de fait du contentieux proche-oriental, non seulement ne veut pas arrêter ce combat inégal, en souscrivant à un cessez-le-feu immédiat -quitte à l'imposer à son protégé israélien- mais a eu l'outrecuidance de renforcer par des armes d'une technologie encore plus pointue -les bombes à guidage laser- les forces d'agression israélienne qui disposent déjà d'un équipement de mort sans équivalent dans la région du Moyen-Orient. Dès lors, les Etats-Unis sont non seulement complices des atrocités accomplies contre le peuple libanais, mais coupables aussi, au même titre qu'Israël, de la tragédie qui frappe le Liban. Car, loin de condamner le crime abominable commis par l'armée israélienne à Cana, la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice (présente en Israël lors de ce dimanche sanglant au Liban) a fait montre d'un cynisme révoltant qui exprime tout le mépris qu'elle avait pour le peuple libanais martyr en ayant ces mots lourds de sens, déclarant aux journalistes qu'elle «allait certainement continuer à faire pression pour que le plus grand soin soit pris durant les opérations militaires afin d'éviter les pertes civiles» couvrant ainsi de son autorité, et de celle des Etats-Unis, le génocide et les crimes de guerre qui se déroulent à ciel ouvert au Liban. Mme Rice ne condamne donc pas ces «opérations militaires» dont les victimes sont en majorité des civils, mais donne bien l'impression d'encourager la destruction d'un pays sans défense puisqu'elle recommande à Israël que «grand soin soit pris durant les opérations militaires» «afin d'éviter les pertes civiles» ; cette précision étant dès lors une simple clause de style qui n'engage à rien. Aussi, le fait qu'Israël continue de tuer les Palestiniens et les Libanais dans l'impunité totale est dû tant à la lecture que font les Etats-Unis de leur lutte contre le ‘'terrorisme'', assimilant facilement toute résistance populaire à du terrorisme, d'une part, à la paralysie de l'Europe, tétanisée par l'accusation d'antisémitisme, arme dont a usé et abusé le sionisme pour décourager toute critique de ses exactions envers les populations arabes, sous couvert de la sécurité d'Israël, d'autre part. En réalité, Israël a joué, et joue, à fond sur la culpabilité de l'Europe dans la tragédie de l'holocauste, la disqualifiant de facto de toute participation à une solution du drame du Proche-Orient. L'Union européenne qui a été très ferme envers la résistance palestinienne, allant jusqu'à punir collectivement des millions de Palestiniens -qui ont, en toute démocratie, élu des représentants du Hamas- en boycottant le gouvernement formé par le Hamas, s'est suffi de critiques sans consistance de la guerre que mène Israël contre le Liban- a réagi hier comme un seul homme en se félicitant du fait qu'Israël ait décidé une «suspension» de 48 heures des bombardements du Liban, alors que l'on s'attendait, à tout le moins, à ce que l'Union européenne exige un arrêt définitif de la tuerie de la population libanaise. Israël tue dans l'impunité Cette manière sélective avec laquelle l'Europe prend position dès lors qu'il s'agit des Palestiniens, et à un degré moindre des Libanais, ou d'Israël montre tout le fossé sémantique qui reste encore à franchir par l'Europe pour assumer ses responsabilités dans le conflit israélo-arabe. Aussi, le fait est là : l'Europe, qui -de toutes les façons- n'arrive pas à parler d'une seule voix, pèse de peu de poids alors que ses chances d'influer sérieusement sur un conflit ordonné et organisé par le duo israélo-américain, restent très limitées. D'ailleurs, dans l'aparté israélo-américain, l'Europe qui tire à hue et dia aura surtout étalé ses divergences dont la plus voyante reste l'alignement ostensible du Britannique Tony Blair sur les Etats-Unis, allant à l'encontre, y compris de la position défendue par son gouvernement et la majorité des pays de l'UE, singulièrement par leur chef de file français. Les Américains, et dans leur sillage les Européens, y compris la Russie, responsables les plus influents au plan international -ils disposent de quatre sièges permanents au Conseil de sécurité de l'ONU -n'ont rien fait ces dernières décennies pour régler définitivement le contentieux israélo-arabe, attendant chaque fois le bon vouloir d'Israël lequel semble devoir décider seul du devenir d'une région de plus de 200 millions de personnes, sans que personne ne remette en cause cette prétention de l'Etat hébreu à faire du Moyen-Orient une sous région sous l'autorité d'Israël. De 1947 -date du partage de la Palestine historique- à 2006, -soit 59 ans- six guerres ont opposé les Arabes (principalement les voisins immédiats de l'Etat hébreu) à Israël, sans que la «communauté internationale» ne trouve la solution idoine laquelle commence certes par la résorption de la cause originelle du conflit, l'occupation des territoires arabes, et l'application des résolutions de l'ONU par le retrait d'Israël des territoires qu'elle occupe au Liban, en Syrie et en Palestine. Est-ce si compliqué d'instaurer la paix quand moult résolutions -non appliquées jusqu'à ce jour par Israël- existent et attendent leur mise en oeuvre? Il faudra combien de Cana, de Sabra, de Chatila, de Deir Yacine, de Kafr Kacem -autant de lieux qui témoignent de la barbarie des carnages d'Israël contre les peuples de Palestine et du Liban- pour que la «communauté internationale» consente enfin à agir? Cette communauté «agissante» n'est-elle pas, tout compte fait, complice des forfaits d'Israël au Liban et dans les territoires palestiniens occupés? Tout donne lieu de le croire tant la communauté influente, qui a les moyens d'agir, se focalise sur les faibles -le Liban et la Palestine qui résistent à l'occupation étrangère- mais refuse de mettre Israël face à ses responsabilités. C'est cela le drame des peuples libanais et palestinien qui n'ont pas trouvé, en revanche, dans les dirigeants arabes, la force capable de les protéger et de se faire entendre sur la scène mondiale. Mais on se le disait aussi : où sont donc les dirigeants arabes qui brillent par leur silence et par leur démission collective en ces heures tragiques pour le Liban et la Palestine?