Le déferlement de haine à l'encontre de l'Algérie n'est certainement pas représentatif de l'état d'esprit de toute la société française. Ce sont les «ténors» de l'extrême droite qui mettent le feu aux poudres et vont jusqu'à reprocher à la gauche française, des chefs de partis, des syndicats et représentants de la société civile et autres personnalités médiatiques de ne pas s'associer à cette campagne médiatique qui exhale de forts relents de haine et de racisme. Bruno Rettailleau, le ministre de l'Intérieur, cherche délibérément à fourvoyer l'opinion française, en lui cachant la vérité des faits, allant jusqu'à user d'un élément de langage outrancier pour soulever l'ire de l'opinion française. La phrase : «L'Algérie cherche à nous humilier» poursuit justement l'objectif de provoquer une cassure entre les peuples algérien et français. Face au tsunami de haine, des hommes et des femmes politiques parviennent à exprimer une parole sage et sensée. De droite comme de gauche, ces personnalités qui avaient exercé de hautes responsabilités dans l'appareil de l'Etat français recadrent régulièrement le débat franco-français sur l'avenir de la relation entre Alger et Paris qui «se construit en étant conscient du passé, de l'histoire». C'est le propos d'une femme politique française, plusieurs fois ministre sous Mitterrand et finaliste de l'élection présidentielle de 2007 face à Nicolas Sakozy qui a fait cette déclaration sur un plateau de télévision. Ségolène Royal, dont l'approche rejoint en tous points celle de Dominique de Villemin, Premier ministre sous Jacques Chirac, a plaidé en faveur de la reconnaissance de cette Histoire, «en ne l'oubliant pas», a-t-elle insisté. Courageuse dans ses positions, Mme Royal n'a pas pris de raccourci, ni cédé à la polémique du moment montée par l'extrême droite. «On a une histoire commune douloureuse avec l'Algérie. On a une dette morale à l'égard de l'Algérie», dit-elle à contre-courant du discours dominant qui diabolise l'Etat algérien, qualifié de «régime», histoire d'en réduire le statut. Face à trois contradicteurs, Ségolène Royal a clairement plaidé contre la colonisation qui «est un ensauvagement, comme disait Aimée Césaire». E de poursuivre : «La décolonisation a été atroce en Algérie», a-t-elle souligné, retenant que «récemment, les actes de torture de Jean-Marie Le Pen» ont été évoqués à l'occasion du décès du gourou de l'extrême droite française. «Il ne faut pas oublier les dégâts que nous avons commis sur ce territoire (Algérie, Ndlr), que nous avons colonisé, parce qu'il y avait des ressources», a expliqué l'ancienne finaliste de l'élection présidentielle. «Donc, la France s'est enrichie, les entreprises françaises se sont aussi enrichies sur l'Algérie», fait-elle remarquer, comme pour répondre aux haineux de l'extrême droite qui veulent faire accroire que la France ne doit rien à l'Algérie. En conclusion de son propos, Ségolène Royal a estimé nécessaire de «revenir aux relations diplomatiques respectueuses des uns et des autres, respectueuses de cette histoire, des ouvriers (algériens) qui ont fait tourner nos usines». Des rapports cordiaux Relancée par l'un des débatteurs sur la question du «respect» prétendument brisé par Alger, au travers de la dernière séquence avec les influenceurs poursuivis en justice, Ségolène répond : «Il ne faut pas partir d'un seul cas pour stigmatiser tout un pays.» Singlante, la réplique de la femme politique française a fait «bondir» le consultant de plateau qui s'en est pris à la prétendue «doxa algérienne anti-France». Ségolène réplique en affirmant que «c'est ce genre de discours qui empêche de construire des relations nouvelles, intelligentes» entre les deux pays. Le discours de Ségolène Royal renvoie à une époque où, malgré des frictions entre les gouvernements algérien et français, les rapports demeuraient cordiaux et des passerelles de dialogue étaient empruntées d'un côté comme de l'autre. On en aura eu pour preuve des visites d'Etat de part et d'autre et très rarement des tensions frôlant la rupture des relations entre les deux pays. C'est d'ailleurs ce que craint l'historien Benjamin Stora qui, dans une intervention sur les ondes de la radio française RTL, a affirmé que «les tensions entre Alger et Paris ont atteint un seuil critique très dangereux». Les affaires qui s'accumulent, dont celle de l'expulsion ratée de l'influenceur algérien Ammi Boualem, constituent, pour l'historien, «un précédent très inquiétant entre la France et l'Algérie». Ce fin connaisseur de l'Histoire de la colonisation française en Algérie ne cache pas ses craintes. «On est dans une situation critique», a-t-il indiqué. Comme il refuse de croire à la thèse développée par l'extrême droite, considérant que l'Algérie peut influencer ou encore manipuler des influenceurs en France. «Il y a un climat général qui favorise la circulation des affects d'une rive à l'autre de la Méditerranée, amplifié par les réseaux sociaux.» Mais de là à suggérer un dessein algérien pour humilier la France ou lui nuire, «je n'y crois pas», a-t-il insisté. Abondant dans le sens de Mme Royal, il a mis en évidence le besoin de la France «d'une coopération avec l'Algérie sur les questions migratoire, de la lutte antiterroriste, du Sahel». Et de conclure : «C'est vraiment dommage que cette relation se soit détériorée.» Benjamin Stora écarte un retour rapide à la normale entre les deux pays. «La réconciliation entre les deux peuples, qui a été mon combat durant des décennies, est aujourd'hui suspendue. Il ne faut pas se leurrer là-dessus.» Attitude revancharde Ce constat «amer» que fait l'historien est la conséquence d'une offensive d'une rare violence lancée par l'extrême droite et la droite dure française. Les médias dont ils ont le contrôle multiplient les émissions de télévision, orientées quasi exclusivement sur la haine de l'Algérie. Il se trouve cependant que, de temps à autre, une voix sage trouve une place dans le brouhaha raciste. Ce fut le cas pour Ségolène Royal et, avant elle, Dominique de Villepin. Et plus récemment, c'était, hier, au tour de Michel Onfray qui, sur la chaîne de télévision CNews, a descendu en flamme l'argumentaire de l'extrême droite, en soulignant la grandeur de la civilisation dont est issue l'Algérie, critiquant l'attitude revancharde d'une partie de la classe politique française.