Yasmina Khadra, la plume qui dérange! L'écrivain francophone le plus traduit dans le monde n'a pas sa langue dans sa poche. Il ne se fait jamais prier pour asséner ses vérités. L'auteur algérien a été invité à participer au prestigieux festival littéraire italien Libri Come. À cette occasion, la presse italienne s'est intéressée à ses oeuvres. Le grand quotidien La Repubblica l'a interviewé pour présenter ses romans au public transalpin. Interrogé sur son dernier livre, Les Vertueux, Yasmina Khadra en dévoile la trame: un jeune Algérien, arraché à son douar, est envoyé en France pour combattre les «Boches». À son retour au pays, il est traqué, malmené par le destin et doit faire face à l'adversité. Un roman qui, selon l'écrivain, met en lumière une période oubliée de l'Algérie coloniale. «J'ai choisi de parler de cette époque car elle est généralement ignorée par les historiens», explique-t-il. «L'Algérie était alors un pays du reniement. L'Algérien n'était même pas considéré comme un citoyen par la France. Il n'avait aucun droit et ne pouvait tirer aucun avantage de sa propre terre», rappelle-t-il, soulignant ainsi la misère dans laquelle ont vécu les autochtones pendant plus de 130 ans. Une dénonciation qui s'inscrit dans la lignée des récents travaux d'autres intellectuels sur les crimes coloniaux de la France en Algérie, à l'image de la réalisatrice Claire Billet et de l'historien Christophe Lafaye. Tous deux ont produit un documentaire, Algérie, sections armes spéciales, qui lève le voile sur un autre crime longtemps caché: l'utilisation d'armes chimiques en Algérie. Une horreur qui s'ajoute aux souffrances d'un peuple affamé et malade, dont l'espérance de vie ne dépassait pas 45 ans. Sans détour, Yasmina Khadra raconte aux lecteurs italiens cette détresse des Algériens sur leur propre terre. Il rappelle qu'il est lui-même descendant de la dynastie des Moulessehoul, qui a régné sur le Sud-Ouest algérien, dans la région de la Saoura, une partie du Grand Sahara. «En 1903, cette tribu a été décimée par les colonialistes français», précise-t-il. L'épopée du jeune Yacine Chéraga, personnage central de Les Vertueux, incarne d'ailleurs la condition misérable des Algériens sous la colonisation. Au cours de l'entretien, l'auteur partage une anecdote marquante, symbole de cette «hogra», ce mépris colonial «gravé» à jamais sur son front. «Mon père était moudjahid, officier du Front de Libération nationale. Quand ma mère est tombée enceinte, certains se sont interrogés, car mon père était en guerre. Cela pouvait signifier soit qu'elle l'avait trompé, soit qu'il revenait clandestinement à la maison», raconte-t-il. «Un jour, les gendarmes français ont fait irruption chez nous. J'étais petit et terrifié. Je me suis caché dans les jupes de ma mère, qui a tenté de me protéger comme une lionne. Un soldat l'a frappée avec la crosse de son fusil, qui a accidentellement tiré une balle. Elle m'a touché à la tête. J'en garde encore une cicatrice», confie-t-il, avant d'ajouter que l'un des plus beaux jours de sa vie reste le 5 juillet 1962. «J'ai vécu mes sept premières années dans une Algérie encore française. L'indépendance de 1962 est une date inoubliable», se remémore-t-il avec émotion. L'auteur de Ce que le jour doit à la nuit manie la plume comme une arme contre l'oubli et l'omerta entourant cette période sombre de l'Histoire. «La véritable arme, c'est la parole», affirme-t-il. Pourtant, il constate avec amertume le silence honteux de nombreux intellectuels face à certaines injustices, notamment la question palestinienne. «Je ressens beaucoup de peur, y compris chez les journalistes. Personne ne me parle de Gaza, sauf la presse japonaise. En France, il semble qu'on n'ait plus le droit de s'indigner lorsqu'il s'agit de la Palestine. On ne peut plus ressentir d'empathie. Ce qui se passe en Ukraine est dramatique, mais ce qui se passe en Palestine est une véritable barbarie», dénonce-t-il, fustigeant une indignation à géométrie variable....