Le procureur général s'est montré outré par le fait que la rencontre avec les commissaires aux comptes se déroulait dans une villa à Hydra. L'interrogatoire du directeur chargé de la comptabilité au niveau de la banque El Khalifa, Toujel Mouloud, lui aussi accusé, suivi du témoignage de Agaoua Madjid, inspecteur financier, ont focalisé les débats du procès pour la journée de lundi. C'est un débat animé qui a été suivi par une assistance nombreuse, vu les déclarations et révélations attendues. D'emblée, la présidente, Mme Brahimi, devenue une star qui capte l'attention par sa manière de diriger les travaux, demanda à l'accusé: «Comment évaluez-vous le montant relatif aux écritures entre agences?». «Enorme» lui dira-t-il. La présidente s'intéresse à tout pour tenter de coincer l'accusé. «Avez-vous contracté un prêt d'El Khalifa?» «Oui. A deux reprises», reconnaît-il. «De 50 millions et 90 millions de centimes». Avec garantie? «Non? Mais j'ai remboursé une grande partie. Le reste, quelques millions je les ai remboursés du temps du liquidateur.» «Y avait-il des procédures spéciales pour les opérations de prêt?» «Il y avait pour le personnel.» Le procureur général intervint à son tour: «Savez-vous que les dirigeants et les responsables des banques n'ont pas le droit de bénéficier de crédit de la même boîte?» «Non», répondit-il. La présidente: «est-ce que vous étiez au courant de ce qui se passait à l'intérieur de la banque pour ce qui est de la gestion?». «Je ne pouvais pas tout connaître car mon travail se basait sur des données émanant d'un logiciel. J'ai détecté quelques anomalies et j'en ai informé notre direction.» La juge presse: Ce genre de faute arrivait-t-il à la banque où tu travaillais avant d'arriver à El Khalifa: «Oui, mais à un degré moindre.» Parlez-nous de votre relation avec Hamou: Strictement professionnelle, Madame la présidente. Le bombardement de questions continue: Avez-vous rencontré Abdelmoumen Khalifa? «Oui», lors de signature de courriers, de réunions avec les commissaires aux comptes dans une villa à Hydra et pour l'informer sur le danger qui planait à El Khalifa. Il ajouta: «Lors de nos réunions avec les directeurs d'agences pour le contrôle de bilans et de Pv. Ces derniers n'étaient pas toujours établis à temps». Vous procédez alors à une «gousra pour passer le temps?», répliqua la juge. Silence. Le procureur général s'est montré outré par le fait que la rencontre avec les commissaires aux compte se déroulait dans une villa à Hydra et non au siège de la banque, ce qui expliquait le non-sérieux, selon lui, des responsables de la banque. L'inculpé Mouloud ajoute: Le bilan mensuel tardait souvent et la Banque d'Algérie envoie le courrier vers le directeur général. La masse salariale, les intérêts et le sponsoring constituaient des charges pour nous et on signalait les anomalies à qui de droit. Notre direction nous disait: «Faites votre travail en attendant de vous procurer les preuves en nous transmettant les documents nécessaires». La juge pousse plus loin l'interrogatoire en croyant y déceler un argument d'accusation fort: «Vous étiez un directeur de département et votre rôle se limitait à signaler les anomalies seulement? Votre direction transmettait donc ce qu'elle avait envie de transmettre et gardait ce qu'elle avait envie de garder. Franchement, pourquoi l'existence donc d'une direction de comptabilité si elle ferme les yeux sur des anomalies surtout avec le logiciel D10 relatif aux bilans dans lequel il y avait un trou de 200 milliards de DA», martèlera-t-elle. C'est à ce moment-là que Maître Bourayou jugea nécessaire d'intervenir pour seconder son client: «Avez-vous des exemples concrets sur les dépenses?» L'accusé dira: «Par exemple, les clubs de football à travers le sponsoring. Toutefois, ces dépenses partaient directement des différentes agences de Khalifa Bank tout en transitant par la direction du personnel et des moyens pour arriver enfin à mes services avec des justificatifs, comme c'est le cas du sponsoring du Mouloudia d'Alger, du CRB et de l'USMA». Pour des raisons d'éclaircissement, la juge appela par la suite Guelimi pour confirmer si l'argent sortait de l'Algérie pour le sponsor de l'OM Marseille. L'accusé dit ne pas avoir vu ce mouvement d'argent. Bourayou ajouta: Comme chaque institution bancaire, les comptes doivent êtres publiés au niveau du Bulletin officiel des annonces légales (Boal) qui fait partie du registre du commerce (Cnrc). L'accusé dira: «Je ne sais rien à ce sujet et je n'ai aucune idée sur le salaire des travailleurs, c'est le service du personnel qui s'en occupe.» Puis c'est le tour de Agaoua Madjid, appelé comme témoin. Ce retraité du Crédit populaire d'Algérie (CPA), recruté en avril 2000 à Khalifa Bank avec trois autres éléments, précise: «L'administrateur de la banque nous a chargé de faire un travail minutieux sur la caisse principale de Khalifa Bank au mois de mars 2003.» «On a vu tout d'abord les moyens humains, la salle des coffres, la télésurveillance. D'ailleurs, il y avait tellement d'argent au niveau de la caisse principale qu'une bonne partie de cet argent a été transférée à l'agence de Hussein dey». «La caisse principale ne répondait pas donc aux normes», lui dira la juge. «Tout à fait puisque l'agence de Hussein Dey constituait une annexe à la Caisse principale. Bref, Akli m'a demandé de faire sortir le montant transmis aux agences et c'est à partir de là qu'on a commencé notre véritable travail. On a trouvé que tout était conforme, sauf qu'il y avait un excédent en francs suisses. A l'époque, les écritures entre sièges existaient jusqu'au 31 décembre 2002. On était au mois de mars 2003 et l'administrateur m'a chargé de donner l'état d'avancement de mon travail à M.Aloui. J'ai continué donc mon travail et le montant des écritures entre sièges dépassait les 3 milliards de dinars. On a remarqué alors que ça n'allait pas aux agences d'El Harrach, des abattoirs d'Alger et celle d'Oran puisque les écritures entre sièges étaient en suspens et n'arrivaient pas à leur destination qui est la caisse principale et qui ne s'est pas manifestée de ce suspens.» La juge insiste, par ailleurs, sur le fait que M.Agaoua Madjid avait aussi mené un travail à Khalifa Bank en 2000. «Racontez-nous ce passage», lui lança la juge. «On m'a délivré deux ordres de mission pour mener une inspection au niveau de la caisse de l'agence et une autre au niveau de la caisse principale. Une fois à l'agence de Chéraga, où il y avait un manque d'espèces par rapport au solde comptable évalué à 2 millions de dinars, j'ai montré mon ordre de mission à Akli pour que je puisse accéder à l'intérieur de la banque et mener ma mission. Soudain, M.Mir me fit savoir que M.Alioui, alors directeur général de Khalifa Bank, me demandait au téléphone. Lors de notre conversation téléphonique, le directeur général m'a demandé de monter tout de suite chez Yousfi. Une fois sur les lieux, ce dernier était hésitant et m'a dit de faire attention et c'est à partir de là que j'ai compris qu'il y avait un véritable dysfonctionnement au niveau de la banque surtout lorsque le directeur général de l'époque m'a carrément interdit de terminer ma mission».