Evacuant définitivement les buts théologico-politiques, les GIA ont opté pour la stratégie de la menace permanente. S'il fallait encore une preuve supplémentaire pour confirmer la véracité des thèses sur la (re) constitution des réseaux terroristes urbains, l'attentat d'avant-hier, perpétré aux Eucalyptus, l'aurait largement donné. Lors de la présentation du cadavre du chef du GIA, Antar Zouabri, le 8 février 2002, au siège de la 1re Région militaire de Blida, nous avons posé une seule et unique question au général-major Fodil Chérif Brahim: «Y a-t-il un travail effectué en profondeur concernant les réseaux dormants?». Réponse: «Beaucoup de travail a été effectué, et beaucoup de travail reste à faire». Voilà, le mot est lancé : les réseaux urbains constituent le nouveau défi aux services de sécurité. Depuis le début de l'année, la capitale a vécu au rythme de l'attentat à la bombe, qui fait le tour des quartiers (Belcourt, la Concorde, la Grande-Poste, El-Harrach, El-Biar, Birkhadem, etc.) et occasionné au moins 6 morts et 80 blessés. S'ensuivit alors une série d'attentats commis aux portes d'Alger, (Khraïcia, Zéralda, Bou Ismaïl et Eucalyptus) dont les buts évidents sont, d'abord, de démontrer la capacité de passer des maquis aux réseaux urbains avec un «égal talent», ensuite de faire preuve des «capacités opérationnelles», dont est capable le GIA, enfin, de maintenir la capitale sous pression et de rendre efficace une stratégie de menace permanente. Les premiers effets de la stratégie du GIA, version Ouakal Rachid, dit «Abou Tourab» est de concentrer un flux des services de sécurité dans la capitale et ses portes d'accès, afin de laisser les petits groupes disséminés dans les maquis, se mouvoir avec moins de restriction et un maillage moins efficace. Résultat de toute cette stratégie, qui semble quelque part être plus cohérente et plus intelligente que les Zouabri, Ouakal et Khaled El-Fermache: le GIA revient en force dans la capitale et les wilayas du Centre, après avoir donné l'impression de battre de l'aile et de s'effacer au profit du Gspc. En fait, le GIA a tenu ses promesses. Lors de l'intronisation de Ouakal Rachid, «Abou Tourab», le 12 février 2002, celui-ci promettait, dans un communiqué cosigné avec son d'habit charî (sorte de conseiller juriste), «du sang, du sang! De la destruction, de la destruction! Ni trêve, ni dialogue, ni réconciliation!». Le bilan est plutôt inquiétant: près de 700 morts depuis le début de l'année, dont au moins 170 islamistes, plus de 100 civils tués depuis le début du mois de juin et 35 assassinats commis dans la proche périphérie d'Alger, en l'espace de quinze jours. Voilà établie la nouvelle reconfiguration du GIA, avec en tant que caisse de résonance médiatique et terroriste, Alger en ligne de mire. Cette stratégie de la menace permanente n'est pas le fait de trois terroristes, cellule crépusculaire du GIA en zone algéroise, comme continue à le penser Fodil Chérif. Elle n'est pas non plus le fait d'une seriat El Bahr, sorte d'escadron chargé de terroriser le littoral, bien que les attentats spectaculaires de Zéralda (2001 et 2002) et Bou Ismaïl tendent vers cette thèse. En fait, nous sommes bel et bien en face de la constitution de nouveaux réseaux, avec de nouveaux «profils de métiers» des armes légères et conformes à la guérilla (Toukarev et Makarov) et surtout le fait de n'être ni fichés aux RG (Renseignements généraux), ni connus des services de police. Les mutations des nouveaux GIA ont bel bien eu lieu, et l'on devrait dépasser les histoires anecdotiques des «Fermache» et le «Manchot», car il y a pire: Monsieur-tout-le-monde. C'est un terroriste «à la page», bien habillé, coiffé, qui passe tout à fait inaperçu et qui, aujourd'hui, traverse Alger et sa périphérie comme un gruyère. L'attentat est commis, comme depuis celui de Khraïcia, dès la tombée de la nuit (entre 21 et 22 h) par des éléments qui agissent en deux, voire en trois groupes, de trois à quatre éléments armés chacun. La rapidité des attentats et du repli renseigne sur l'existence de réseaux urbains distincts, qui maîtrisent l'aire d'activité et qui ne vont pas loin pour se cacher. Ce qui implique réellement l'existence de plusieurs groupes disséminés dans l'Algérois. L'âge des assaillants renseigne aussi sur la nouvelle politique de recrutement opérée au sein des GIA (22 à 25 ans selon les témoins des attentats). Pire: les mêmes zones-crise continuent à former et à formater les tueurs à la solde du GIA. Les mêmes sources de tension continuent à engendrer, les mêmes effets. Et on continue à l'infini. C'est encore, et encore, ces mêmes zones-crise qui vont être les générateurs des tensions de demain.