C'est un véritable bazar ces maisons de bric et de broc reliées entre elles par des venelles si étroites qu'on étouffe à l'idée de les traverser. Nous savions que des Oranais habitaient des caves et que certains occupaient des carreaux de marché couvert, comme à Hassi Ameur, une petite commune près d'Arzew, un minuscule rideau en plastique assurant une relative intimité entre les couples. Nous savions que des familles — 12 pour être exact — squattaient à Chtaïbou, à l'est d'Oran, une ancienne fourrière municipale bâtie en tôle ondulée où elles crevaient de froid en hiver et souffraient le martyre en été à cause de l'effet de serre. Nous savions que d'autres tout aussi démunies vivaient dans des garages, dans d'anciennes prisons même, aujourd'hui désaffectées. Nous savions qu'à défaut d'avoir un toit sur leur tête, quelques-unes sont allées jusqu'à s'installer avec armes et bagages dans des grottes au quartier des Planteurs. Mais nous étions loin de nous douter que des Algériens pouvaient pousser le défi jusqu'à habiter des flancs de montagne, sur une ligne de crête, dans des bicoques construites en parpaing, mettant carrément en danger leur vie et celle de leurs enfants. Pas de gaieté de cœur bien sûr, mais faute de grives, on mange des merles. Si cette plaie des Planteurs connue pour son insécurité et la violence de ses jeunes peut être considérée comme un petit “tiers monde”, à l'intérieur de la ville, les haouchs de terrain Si Ali seraient, eux, le quart monde par comparaison. Cette casbah approximative édifiée en toub n'est visible ni pour le passant qui se hasarde sous ces climats ni pour l'automobiliste pressé de décamper pour rejoindre la civilisation. Pour voir ce hameau, il faut, soit balayer le site par hélicoptère en basse altitude, soit descendre vers le ravin par un sentier sinueux à partir de l'école El-Ghezali. Après deux cents mètres de dénivelé sur un terrain nu et rocailleux, nous arrivons en bordure d'un gigantesque cratère. Les premières constructions piquent brusquement du nez comme des cactus dans le désert du Nevada. C'est un véritable bazar ces maisons de bric et de broc reliées entre elles par des venelles si étroites qu'on étouffe à l'idée de les traverser. Une cinquantaine de familles survivent là, entassées les unes sur les autres. Parfois dans un même haouch. Et lorsqu'elles se supportent se partagent la cuisine et les toilettes, quand il y en a. Alors que des adultes montent littéralement la garde devant notre véhicule, la “houma” n'étant pas sûr, les habitants tiennent tous à nous montrer dans quelles conditions grandissent leurs enfants. “Nous vivons avec les sangliers, nous dit une femme, ils rodent en plein jour ici, j'en ai vu un il y a quelques jours.” “Et de plus, renchérit une seconde, à force de démolir les habitations du fond de l'oued plus bas, on a fini par faire bouger les soubassements. Le terrain bouge, le flanc s'affaisse et nos maisons ont toutes été lézardées comme si un violent séisme les avait secouées.”Le spectacle de ces destructions est horrible et le mot n'est pas assez fort. Là c'est le plafond qui s'est écroulé à une heure où les sept enfants du haouch étaient absents. Ici c'est un mur de cuisine qui s'est scindé en deux et qui tient pour on ne sait quelle loi de la nature. Plus loin, dans un autre haouch, les wc construits au ras du ravin face à la forêt du Murdjadjo ont tout simplement été soufflés par les coups de boutoir assénés au pied de la montagne censés éradiquer des habitations précaires. Il faut avoir les nerfs bien solides, beaucoup de muscles et autant de patience pour vivre dans ce torchis, dans cette favela, où même les tracteurs à citerne n'osent pas descendre pour vendre leur eau.C'est la valse des jerrycans du matin au soir. Des adolescents, en rupture d'école, se chargent de cette corvée quotidienne. Même les clandestins ne s'aventurent pas jusqu'ici malgré les différentes inspections de la Protection civile, aucune autoroute ne les a pris en charge, personne ne leur a tendu la main. Ce sont des citoyens X… MUSTAPHA MOHAMMEDI