Dans son roman, Confessions d'Asskrem, Azzedine Mihoubi projette son lecteur en l'an 2040. Par le biais de confessions, il passe en revue tous les grands bouleversements de notre ère : la guerre d'Algérie, le conflit israélo-palestinien, la chute du mur de Berlin, Al-Qaïda, les attentats du 11 septembre 2001, ou encore le phénomène des harragas et le désespoir qui a envahi le monde d'aujourd'hui. Dans cet entretien, Azzedine Mihoubi revient sur son roman et même sur les motivations qui l'ont amené à élaborer Confessions d'Asskrem. Liberté : Confessions d'Asskrem est votre dernier roman. Paru aux éditions El-Beyt, on dit de cet ouvrage, votre œuvre la plus accomplie parce qu'entre autres son élaboration vous a pris quatre années. Vous y mêlez réalité, fiction, science et histoire pour décrire les grands bouleversements de notre monde… Azzedine Mihoubi : L'élaboration de ce travail a requis quatre années d'études et de recherches mais elle n'a nécessité que quatre semaines de rédaction. J'ai eu l'idée de concevoir cette œuvre durant l'été 2004. La première idée a pour origine l'imagination de la ville de Tamanrasset après 30 ou 40 ans en tant que cité cosmopolite ; et l'idée véhiculée s'appuie sur le fait que la prise en charge du phénomène de l'émigration clandestine – particulièrement de l'Afrique vers l'Europe – ne consiste pas en la prise de mesures d'ordre sécuritaire dans les deux rives de la Méditerranée mais plutôt par l'offre de conditions de développement dans le Sud et la création d'un environnement à même de mettre fin aux idées suicidaires de l'aventure. Mon choix illustratif et significatif a porté sur la ville de Tamanrasset qui constituera l'espace devant abriter les opérations et intérêts économiques, transactions et achalandages donnant lieu à l'émergence d'une ville reliant l'Afrique au reste du monde dénommée “Tam city” qui préserve et sauvegarde son identité targuie, tout en évoluant dans l'interaction du monde et les mutations externes. C'est à ce titre que le roman revient sur des événements qui ont eu lieu à l'hôtel Asskrem Palace, propriété d'un homme d'affaires allemand, Adolf Haussmann de son nom, construit à la mémoire du père Charles de Foucauld – tué en 1916 – qu'il a juré de venger. L'histoire est relatée dans un roman à tiroirs (œuvre dont les scènes ou les épisodes sont séparés et détachés) et à travers un certain nombre de témoignages et de confessions exprimant et dévoilant les mutations du monde dans tous les sens et domaines : on y trouve une histoire d'amour targuie (Tin amud), le repentir et le regret chez une frange de la nouvelle génération des Français exprimés en filigrane par le fils d'un soldat français tué pendant la guerre d'Algérie à Aïn Zana (Souk-Ahras) ; celui-ci s'est rendu dans la région en 1973 à la recherche de la tombe de son père. Le roman aborde les essais nucléaires d'Iniker, dans le sud du pays ; un autre témoignage s'intéressant aux foggaras dans les régions arides du Sud algérien, d'autres abordent les bombardements d'Hiroshima et le suicide mythique du romancier et cinéaste japonais Yukio Mishima, avec des indications à la guerre d'El-Maghili avec les juifs dans la région de Touat… ainsi que d'autres événements prévisionnels tels que l'éventuelle survenance d'une guerre nucléaire entre le Pakistan et l'Inde et l'histoire de la chute prévisible de la météorite en 2028. Les autres témoignages sont d'un poète cubain emprisonné après la chute du mur de Berlin qui a conclu à l'imposture américaine durant son exil ; un artiste espagnol qui avait perdu sa fiancée dans les attentats du 11 mars 2004 à Madrid et qui s'était juré de la venger en soufflant le magnifique palais Alhambra (Grenade) pour annihiler complètement les traces de l'Andalousie, il a ensuite opté pour la destruction de la Kaâba (La Mecque) dont il considère l'effet de vengeance plus important ; un autre “Afghan” palestinien raconte la création d'Al- Qaïda, revient sur les événements du 11 septembre et raconte Tora Bora, les prisons secrètes et Guantanamo, et même le testament de Ben Laden. Le récit se termine par un incendie qui ravagea l'hôtel où a été découvert le manuscrit testimonial légué par le propriétaire de l'hôtel. Le roman allie histoire, légende, poésie dans un univers transcendantal. Le tout constitué de plusieurs lectures prospectives d'ordre politique, historique et scientifique, associées à l'étude de la géographie. Vous proposez une projection dans l'avenir puisque vous plongez votre lecteur en l'an 2040, pour évoquer le monde d'aujourd'hui. Pourquoi avoir eu recours à cette distance-là pour écrire “librement” sur l'actuel contexte ? La distance est-elle un besoin ou une protection ? Cette œuvre n'est ni futuriste ni de science-fiction, mais elle est élaborée dans un univers “mondialisé”, tantôt imaginaire tantôt réel. En ce sens, le roman repose sur des interactions temporelles en évoquant la légende “TIT” d'avant l'an 9000 à Amkeni recoupée avec les événements du 11 septembre et l'apparition d'une ville nouvelle dans l'Ahaggar dénommée “Tam City”. Le choix de l'année 2040 révèle la possibilité d'édifier une ville nouvelle dans trois décennies à l'image de Dubaï et Doha et ceci ne nécessitera pas d'attendre un siècle. Pour ce qui est du retour au monde d'aujourd'hui ou du contexte actuel, il va sans dire que l'évocation des événements du 11 septembre, de la chute du mur de Berlin 1989, du terrorisme en Algérie et des interactions culturelles et économiques mondiales… nécessite le retour en arrière, des rappels historiques après 30 ans au même titre qu'il est procédé, aujourd'hui à la reconstitution des archives de la Révolution algérienne, de la guerre froide et du conflit arabo-israélien en s'appuyant sur les témoignages des faiseurs de l'histoire et des événements. Le choix de la distance projetée en 2040 n'est nullement sous-tendu par des raisons de protection mais plutôt par des exigences artistiques. En plus de votre activité littéraire, vous êtes également ministre, comment trouvez-vous le temps d'écrire avec toutes les responsabilités qui sont les vôtres ? Je consacre tout le jour à mes responsabilités et missions qui me sont dévolues dans la gestion d'un secteur aussi important, sensible et dynamique nécessitant une présence continue et des relations de collaboration permanentes avec l'environnement et les partenaires… La nuit, je la réserve à la création des œuvres de l'esprit et à l'écriture souvent d'ailleurs au détriment de la vie familiale et du repos. Votre fonction vous place dans la contrainte, alors qu'écrire est un acte de liberté. Comment composez-vous avec vos deux fonctions qui semblent à première vue contradictoires ? La liberté d'écrire et d'innover n'entrave aucunement l'accomplissement des missions en relation avec l'évolution et le fonctionnement des institutions étatiques et l'épanouissement de la société parce que si l'on examine avec précision la question nous aboutirons au constat que les deux aspects se rencontrent à un moment donné de l'évolution dans le temps et dans l'espace. De toutes les façons, je n'ai jamais senti et cru que l'exercice de mes fonctions d'agent de l'Etat entravent ma passion pour l'écriture et n'oubliez pas que j'ai édité, il y a deux ans, un livre intitulé La ikraha fi l'hourria (pas de contraintes en liberté). Un projet de traduction de votre roman est-il en cours ? Oui, la traduction suit son cours avec un rythme accéléré du journaliste et traducteur Mhenna Hamadouche avec qui je coordonne quotidiennement pour la finalisation de la traduction vers le français qui sera prête dans environ trois mois ; tout comme s'occupe Omar Ziani de la traduction vers l'anglais de la partie consacrée à Tora Bora ; vers l'anglais pour des raisons de transcription cinématographique de cette partie de l'œuvre. A. O./S. K. (*) Confessions d'Asskrem a été présenté par El-Beyt pour le Prix Pocker du roman arabe, pour représenter le roman algérien à cette manifestation dont le lauréat sera connu en 2010, à l'occasion du Salon du livre d'Abu Dhabi.