Les femmes bédéistes, notamment l'Américaine Jan Eliot, la Libanaise Lina Merhej, la Tunisienne Jihen Ben Mahmoud, l'Egyptienne Marwa Kamel, la Néo-Zélandaise Titane Laurent, la Québécoise Pascale Bourguignon, et Nsana Banimba Jussie du CongoBrazzaville, ont chacune présenté leur parcours personnel assez intéressant dans l'univers de la bande dessinée, dit masculin et plein de préjugés Dans le cadre de la 2e édition du Festival international de la bande dessinée d'Alger, une conférence, intitulée “La femme à l'assaut de la bande dessinée” a été organisée, hier matin, à l'esplanade de Riadh El-Feth. Toutes les intervenantes se sont accordées à dire que la femme n'a pas une place importante dans la bande dessinée parce que cet univers ne les a intéressé que depuis peu. Aux Etats-Unis, par exemple, sur 250 BD produites, 12 sont le sont par les femmes. Après avoir raconté son parcours, la Libanaise Lina Merhej a évoqué son magazine El Samandel, une revue trilingue qui existe depuis deux ans. Elle en est à son sixième numéro et a déjà publié 18 femmes. De son côté, la bédéiste tunisienne Jihen Ben Mahmoud a affirmé : “On ne peut pas parler de la bande dessinée féminine, et même si cela a commencé dans les années 1960, c'est un art qui n'a pas été développé à fond. Je ne peux pas parler de BD féminine, parce qu'on en n'est qu'au commencement. Chez nous, dans les années 1980, beaucoup de dessinateurs ont émergé, ils font des BD pour enfant, mais pas pour adulte et surtout pas avec des formats franco-belges.” Marwa Kamel, la bédéiste égyptienne, a expliqué qu'elle n'a jamais souffert de discrimination. “En Egypte, il n'y a pas de problèmes dans la caricature et la BD”, précise-t-elle. Nsana Banimba Jussie a estimé, pour sa part, que la participation féminine est encore faible au CongoBrazzaville. “Je suis la première à pratiquer la BD au Congo-Brazzaville, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de filles qui font de la BD. On a surtout un problème de vulgarisation et certaines ont été confrontées à leurs parents. Beaucoup de parents ne veulent pas voir leurs filles évoluer dans le domaine artistique. J'essaie pour ma part de vulgariser la BD”, a-t-elle expliqué. Titane Laurent est un personnage atypique. Si on était dans une BD, elle en serait sans doute l'héroïne. “J'habite l'Île Maurice, avec une mentalité belge, un passeport néo-zélandais, des origines marocaines, un mari australien et une fille à moitié chinoise”, déclare-t-elle d'emblée. Après des études pas très brillantes, elle travaille dans le marketing durant huit ans. Du jour au lendemain, elle a décidé de s'installer dans “un pays chaud et devenir artiste”. Malgré les difficultés et les embûches, Titane Laurent s'est accrochée et a publié son premier album à compte d'auteur. Une maison d'édition française la repère et devient son éditeur. Avec le recul, elle a déclaré : “J'ai pris des risques à chaque moment du parcours.” Et manifestement, ça lui a réussi ! Justifier sa présence et sa place L'intervention de Pascale Bourguignon a été sans doute la plus intéressante. Ne dit-on pas que “le meilleur est pour la fin” ? En fait, elle a été la seule à aborder les thématiques des femmes bédéistes. Elle a soutenu qu'“au Québec, nous avons cinq maisons d'édition qui font de la bande dessinée, et plus de 100 fanzines (magazine amateur spécialisé, ndlr). La majorité des gens s'expriment donc à travers les fanzines. Les éditeurs ont une cinquantaine de BD dans leurs catalogues et évidemment les femmes n'ont pas beaucoup de place. Leur part varie entre 10% et 50%”. Pascale Bourguignon a également préparé un questionnaire qu'elle a envoyé à des bédéistes femmes, leur demandant s'il y avait une différence entre les bédéistes femmes et hommes. “La façon de traiter les BD a généré des réponses différentes. En fait, il y a une attente d'un style de la part de l'éditeur ; et si elles ne correspondent pas à ces attentes, elles ne sont pas publiées”, appuie-t-elle. Des hypothèses de départ de Pascale Bourguignon, on note la tendance autobiographique et l'envie de se raconter. Mais le terrain lui a démontré que ce qu'elle avançait comme hypothèses n'était pas évident. Elle a expliqué : “C'est une histoire de générations. Il y a un certain côté intimiste et une envie de se raconter chez les femmes dont la moyenne d'âge varie de 20 à 35 ans. Mais je pense que la seule façon de lutter contre cela, c'est de trouver une spécificité.” Malgré tout ce qui a été dit et tout ce qui se dira sur la présence de la femme dans l'univers macho et masculin de la bande dessinée, proposer un débat sur cette présence est une manière de conforter ce cloisonnement. C'est également une manière de justifier une présence qui devrait être normale et évidente, mais qui dans le fond ne l'est malheureusement pas… encore ! Ce type de thématique n'encourage malheureusement pas les femmes, mais c'est là un autre débat, qui n'était pas à l'ordre du jour.