Le réseau Wassila-Avife d'aide aux victimes femmes et enfants a choisi de commémorer son 10e anniversaire en donnant “la parole” à des femmes victimes de violences conjugales, pour “rendre visible et palpable (leur) douloureuse réalité”. En effet, la rencontre, organisée hier au Centre national d'études et d'analyses pour la planification (Ceneap, Alger), a été consacrée à la présentation de son expérience en matière de violence conjugale, rapportée dans un livre, dont le titre en dit long : Livre noir de la violence conjugale. Halte à l'impunité ! Ce livre se voudrait un écho au cris de souffrance des victimes ayant bravé un tabou, mais aussi “un cri d'alarme” en direction des institutions et de la société. Pour les militantes du réseau qui, pour rappel, s'est enrichi d'une association du nom d'Avife (Aide aux victimes femmes et enfants), pendant la décennie noire, ce travail est en fait “un plaidoyer pour que la violence conjugale soit condamnée, sanctionnée pénalement afin de mettre un terme à l'impunité qui conforte l'agresseur dans son droit de violence”. Cela, d'autant que les témoignages des femmes rendent bien compte à la fois de “la gravité des situations” et d'un phénomène qui est “au fondement du système de domination patriarcale”, qui “casse”, qui “rend malade”, qui “détruit”, qui “tue parfois” et qui, par conséquent, ne saurait être noyé “dans le chapitre des violences en général, des coups et blessures volontaires (CBV) ou accidentels”. Selon la coordinatrice de la rédaction et de la publication, Dalila Iamarène-Djerbal, le livre de 118 pages comprend, outre l'expérience du réseau Wassila de permanences d'accueil de femmes et de lignes d'écoute téléphonique, qui a d'ailleurs permis de réunir des tranches de vie de femmes victimes de violences, le livre noir vise notamment à questionner l'expérience des professionnels de santé, y compris la pratique du médecin légiste. Il est également question d'analyse sociologique du phénomène des violences, qui souligne le poids des mutations socioéconomiques, celui de la conjoncture sociopolitique “favorable à l'impunité” et la nécessité d'inscrire la violence conjugale dans le code pénal. D'après Mme Djerbal, les massacres de femmes pendant la dernière décennie et l'amnistie qui s'en est suivie, ont eu “des conséquences sur la violence dans la société et envers les femmes”. Plus loin, elle a abordé “la discrimination” contenue dans le code de la famille qui, selon elle, “vient légitimer cette violence dans les rapports familiaux”. Mme Djerbal a, en outre, estimé que l'Algérie doit lever les réserves émises sur la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (Cedaw), non sans rappeler que la promulgation ou la ratification de lois, sans dispositifs d'accompagnement, reste “un vœu pieux”. Notons, enfin, que le réseau Wassila appuie, dans ses recommandations, la reconnaissance de la violence faite aux femmes et la violence conjugale spécifiquement comme “un problème de santé publique, avec inscription dans un registre national de déclaration obligatoire”. Un problème exigeant donc “une évaluation annuelle”, à travers des “dispositifs de prise en charge bien définis”. Une autre recommandation porte sur “l'obligation pénale” faite aux professionnels pour “le signalement” des violences conjugales aux autorités, ainsi que sur la mise en place de dispositifs de protection des victimes et de leurs enfants. “C'est par la condamnation claire et totale des violences contre les femmes et les violences conjugales en particulier, tant sur le plan juridique que social, que pourront s'atténuer ces drames quotidiens, qui détruisent les individus, les familles et les liens sociaux”, concluent les rédactrices du Livre noir.