Le RND pourrait rompre la bipolarité Benflis-Bouteflika en privilégiant une tierce candidature à la présidentielle de 2004. Les responsables du RND multiplient les sorties médiatiques, sans vraiment aider l'opinion publique à se faire une idée claire et réellement exacte de la position du parti par rapport à l'élection présidentielle du printemps 2004. Le Rassemblement s'emploie, certes, depuis au moins le mois de mai dernier, à assombrir l'image de Ali Benflis. Cela voudrait-il dire qu'il s'est d'ores et déjà mis au service du Président-candidat ? La situation n'est pas si évidente, à en croire des sources internes au parti. Il semble que la direction du RND n'ait pas écarté l'option, au moment opportun, de discréditer autant que possible les deux adversaires déclarés afin de tracer la voie royale vers la présidentielle de 2004 à un troisième candidat, qui bénéficiera de la caution des différentes sphères du pouvoir et qui ne sera pas rejeté par l'opinion publique. Des déclarations publiques de responsables du parti laissent entrevoir cette éventualité. Lors de la conférence de presse qu'il a donnée il y a dix jours, Ahmed Ouyahia déclarait : “L'élection présidentielle est encore loin. (...) Il n'est pas sage d'en débattre dès à présent.” “En ce moment, je me trouve dans une tranchée avec mon bleu de travail. Je me prononcerai sur la question dans un mois ou deux”, affirmait le Premier ministre. Un membre du bureau politique du Rassemblement nous a affirmé que son parti défend “le bilan du président de la République”. Et d'ajouter : “La morale politique nous y contraint. Mais, nous n'avons pas encore déterminé notre position par rapport à la prochaine élection présidentielle. Nous le ferons à l'issue d'une réunion du conseil national qui se tiendra après le ramadan.” Dès lors, apparaît une nuance significative dans la démarche du RND : il soutient certainement, en Bouteflika, un président de la République en exercice, mais peut-être pas un candidat au prochain scrutin. Il est vrai que le RND ne peut désavouer brutalement Bouteflika, dont il a dûment cautionné la candidature à la magistrature suprême en 1999 et avec lequel il participe à la gestion des affaires de l'Etat, à travers le Chef du gouvernement et plusieurs ministres. Le parti ne peut non plus soutenir Bouteflika pour un second mandat au risque de se voir coller l'étiquette de “girouette” politique. Ahmed Ouyahia a bien exprimé publiquement, avant sa nomination à la tête du gouvernement en remplacement de Ali Benflis le 5 mai dernier, des divergences avérées avec le chef de l'Etat sur des dossiers sensibles tels que la lutte contre le terrorisme, les réformes envisagées dans le secteur des hydrocarbures, le code de la famille, la cession des terres agricoles… Il a aussi insisté, à maintes reprises, sur la panne des réformes économiques, l'échec du programme de privatisation… Au-delà des déclarations de ses proches collaborateurs, Ouyahia ne peut simplement arrimer son parti, encore une fois, sur la candidature de Bouteflika. Quoi qu'il en soit, une certitude demeure pour l'heure : les membres de la direction du RND multiplient les attaques verbales contre le FLN, dans le but de discréditer son secrétaire général, Ali Benflis. Objectif probable : disqualifier celui qui est perçu comme l'alternative à Bouteflika. Auparavant, ils avaient fortement critiqué la promptitude de Ali Benflis à ouvrir prématurément la course vers la présidentielle du printemps 2004 et ainsi mettre d'un côté en péril la stabilité du FLN et de l'autre biaiser, par des querelles de leadership, le débat politique autour du prochain rendez-vous électoral. Souhila H. Un suspense entretenu De tous les responsables politiques attendus pour se prononcer sur la prochaine présidentielle, Ahmed Ouyahia demeure une véritable énigme. Le mystère Ouyahia ne tient pas au fait que les instances dirigeantes de son parti, le RND, ne se soient pas exprimées jusqu'à ce jour par rapport au rendez-vous de 2004. Le RND, à l'instar de toutes les formations politiques, est censé se donner suffisamment de temps pour se positionner et pouvoir affronter une échéance aussi déterminante pour l'avenir du pays et celui du parti. “La présidentielle de 2004 est un rendez-vous tellement sérieux qu'on ne pourrait pas l'aborder dans l'empressement”, avait indiqué le patron du RND à l'occasion de l'installation de la commission de préparation du deuxième congrès de son parti, en février dernier. “Le mystère Ouyahia” est surtout né de ses récents positionnements en faveur du président Bouteflika. Ahmed Ouyahia, qui déclarait, à l'occasion de sa dernière conférence de presse, qu'il était en totale osmose avec le président Bouteflika et qu'il partageait avec lui toutes ses options, y compris celle de l'islamisme, se rendait-il compte qu'il venait de prendre la défense de celui qui a considéré l'arrêt du processus électoral de 1992 comme “la première violence”, imputable, par conséquent à l'armée ? Pour de nombreux observateurs de la scène politique nationale, il est difficile de comprendre les positions actuelles de Ouyahia. Ses proches collaborateurs, eux-mêmes, avouent volontiers le caractère déroutant de ses positions. Le virage que vient d'opérer Ouyahia en soutenant Bouteflika serait lié à son ambition d'avoir un destin national, soutiennent les observateurs. Cette ambition aurait poussé le leader du RND, dit-on, à contracter un deal avec Bouteflika pour accéder au palais d'El-Mouradia en 2009. On laisse croire ainsi que l'actuel chef du gouvernement s'est laissé séduire par un marché de dupes : ce n'est pas avec un autocrate, qui se croit dans un émirat, comme Abdelaziz Bouteflika, qu'on peut passer un deal, et Ouyahia ne peut l'ignorer. Ni faire mine de croire que Bouteflika peut décider seul de sa succession. Nadia Mellal Le possible troisième ticket Ouyahia fait des offres de services. À sa manière, il s'est insinué dans le duel Bouteflika Benflis, susurrant à qui de droit : “Je suis la troisième voie.” Son histoire se confond étroitement avec celle du système qui le couve depuis déjà presque une décennie. C'est un homme de dossiers, qui ne craint pas de revendiquer, dans son palmarès les sales besognes dont il s'acquitte froidement. En plus, il dispose d'un parti sans âme, mais capable de crapahuter si l'occasion lui en est donnée, comme en 1997. Sa dernière sortie médiatique tombe à pic. Fin connaisseur des trépidations du sérail et des bruissements qui sourdent dans la société, il s'est exprimé au moment où, dans le pays, on se demande de quoi sera fait demain. Pour la première fois depuis l'indépendance, la guerre du sommet n'arrive pas à trouver de solutions dans les coulisses. Le combat acharné entre Bouteflika et Benflis oppose des protagonistes d'un même système. D'un côté, un président, repêché par le système en 1999, qui veut succéder à lui-même, par tous les moyens. De l'autre, le patron du parti majoritaire qui n'est pas moins le principal vecteur dudit système. Le général en retraite, Khaled Nezzar, qui n'a pas la langue dans la poche et qui ne parle jamais pour rien, lui, a indiqué la voie, la meilleure, pour crever l'abcès. Rien n'empêche les députés de Benflis d'exiger des commissions d'enquête sur les accusations que porte le FLN à Bouteflika. En faisant le dos rond, Benflis ne risque-t-il pas de perdre la sympathie regagnée au sein des populations ? Le président, lui, ne fait pas dans le détail. la mécanique Bouteflika est en marche. Le navire Benflis tient apparemment bon, mais Bouteflika, qui a plus d'un tour dans son sac, a en sa possession le gouvernement et l'administration et il ne fait cas ni des formes ni des procédures. Les Algériens s'interrogent avec inquiétude sur cette guerre de tranchées entre deux éléments d'un même système. Absence d'arbitrage, comme le supposent plusieurs observateurs, ou expression de l'état de déliquescence de l'Etat, comme l'affirment d'autres ? Dans tous les cas de figure, la situation est chargée de dangers. C'est là qu'intervient l'opportunité pour Ouyahia, qui peut penser que, pour solder le combat fratricide, rien de mieux qu'un troisième ticket. D'où la possibilité pour lui de proposer subtilement sa propre candidature pour arrêter les déchirements dont fait l'objet le système. Insistant sur le développement, les réformes et les exigences démocratiques exprimées par le mouvement citoyen de Kabylie, Ouyahia a également fait état de sa disponibilité à continuer un processus que Bouteflika a contrarié. Avec sa candidature, on reste entre soi, aurait-il pu dire. Ouyahia s'est lâché en l'absence de Bouteflika en voyage en Asie du Sud-Est, le nouvel épicentre de l'islamisme. Sait-on jamais. D. Bouatta