À peine revenu de mission de bons offices entre Israël et le Hamas, le président Morsi exécute son coup d'Etat. Les Etats-Unis et l'Europe devraient fermer les yeux sur le coup de force pour service rendu dans le retour de la trêve à Gaza. Aux termes des décrets que Morsi a signés jeudi, le dernier contre-pouvoir, la justice, est neutralisé, et le comité de rédaction d'une Constitution islamiste est prémuni contre la procédure de dissolution jusque-là en cours. En prolongeant le délai de finalisation du texte constitutionnel de deux mois, il reporte d'autant l'élection d'une Assemblée nationale. Et rallonge son mandat présidentiel. Si les choses se passent comme il les projette, ce sera donc un président au pouvoir total qui dirigera l'Egypte pour les mois à venir. Au Caire, on a donc fait mieux qu'à Tunis, où le président Marzouki joue les Bani Sadr pendant que la pression salafiste traque les signes de liberté citoyenne. Morsi vient de se donner un pouvoir sans limite au nom de “la protection de la révolution" : ses décisions sont désormais “définitives" et elles “ne sont susceptibles de faire l'objet d'aucun appel". Invariablement, ce que l'on appelle les “révolutions arabes" convergent, dans leur issue, vers des dictatures islamistes. Cette fatalité procède d'un malentendu qui semble avoir la vie dure : celui d'admettre que l'ordre islamiste constituerait une alternative politique qui peut trouver sa place dans un système démocratique. Rien ne ressemble plus à une dictature qu'une autre dictature. De même que Moubarak usait de la force, de la terreur et du bâillon pour protéger “la révolution" arabiste nassériste, Morsi démantèle les institutions pour asseoir son omnipotence et pouvoir ainsi veiller personnellement à la bonne marche de la révolution. La révolution était le moyen, et la démocratie, sa finalité ; désormais la révolution est la finalité et la dictature son moyen. Dans le monde arabo-musulman, au moment où le changement finit par se concevoir, c'est toujours le fascisme islamiste qui finit par s'imposer, squattant le mouvement démocratique avant même de le neutraliser, puis de l'étouffer à son profit exclusif. Ce qui constitue une menace mortelle pour les libertés est appréhendé comme une simple variante du choix démocratique. Tout en réprimant les ambitions de pouvoir des islamistes, les régimes “post-révolutionnaires" encouragent l'essor de l'idéologie islamiste pour contrer la propagation de la pensée rationaliste. Le discours rationaliste est perçu comme dangereux par les dictateurs en ce qu'il sape l'efficacité du discours populiste par lequel ils se légitiment. Ainsi, à chaque fois que s'exprime une volonté d'émancipation citoyenne dans cette partie du monde, s'impose immédiatement à elle, comme une fatalité islamiste. D'abord en se banalisant en tant qu'option qui se propose au choix populaire. Mais comme ce choix populaire est déjà orienté à travers des décennies de monopole et de matraquage idéologiques, le succès électoral est prévisible. Une fois le pouvoir pris et les moyens de l'Etat à disposition, il ne restera qu'à faire place nette, par le verrouillage de la Constitution et la terreur. Dans son état culturel actuel, la question même de la possibilité démocratique en terre d'Islam se pose. M. H. [email protected]