Le secteur de la presse algérienne est, aujourd'hui, à un niveau de développement plus qu'appréciable même s'il ne satisfait pas tout le monde. Appréciable, tout particulièrement sur le plan quantitatif. Surtout, après la “révolution" d'Octobre 1988 qui a libéré l'expression et “a réformé" une bonne partie du champ médiatique. Il ne faut pas oublier qu'auparavant, avant la loi relative à l'information d'avril 90, nous avions, à notre disposition, en tant que citoyens — lecteurs, seulement des journaux importés d'Europe, de France, et quelques rares titres arabes... et, comme production nationale, une petite cinquantaine de titres dont 6 quotidiens (2 nationaux, 2du soir à Alger, 2 régionaux, 4 en arabe et 2 en français....) et quelques hebdomadaires comme Algérie Actualité, Révolution africaine et El Moudjahid Hebdo, ces deux derniers organes du Fln. Mais, tous étaient contrôlés assez sévèrement par les appareils d'Etat (entre autres le ministère de l'Information, devenu, sur le tard, pour sacrifier à la mode, ministère de la Communication), par le parti du Fln, alors unique, et par ses organisations dites de masse (UGTA, UNFA, UNJA, ONM....) dont celle des journalistes (et écrivains, une “fusion" décrétée par la suite à la fin des années 1980, avec l'intention évidente de phagocyter la première, une profession qui commençait à trop “bouger", par les seconds, plus à l'aise avec les “pouvoirs" et dont certains écrivains et journalistes d'occasion, “fonctionnaires de la vérité" et bien d'autres, étaient le pont avancé, ayant alors la confiance totale de feu M-C Messaâdia, alors responsable de l'appareil central du parti... unique). Tous les journaux avaient un contenu quasi identique ne souffrant aucune fausse note idéologique. Bien sûr, il y eut des hommes, des journalistes, des directeurs ou même des ministres, des moments et des espaces de liberté, mais ils étaient assez vite “redressés", dès que le pouvoir, ou (surtout) les pouvoirs du moment voyaient que “les lignes rouges" étaient franchies, que certains intérêts étaient dérangés ou que certains journalistes ou même des directeurs de publication commençaient à trop savourer les délices du “pouvoir d'informer". Généralement, cela se passait en douceur et sans grande “casse", d'autant que l'autocensure avait gagné du terrain et faisait des ravages. La presse audiovisuelle (télé et radio) était... à l'image de celle d'aujourd'hui... à la seule différence qu'il n'y avait pas encore des radios locales, nées bien plus tard après 1990. La télévision satellitaire n'était pas disponible largement et Internet n'existait pas ! Aujourd'hui, l'Algérie a connu, en un peu plus de deux décennies, un bond quantitatif extraordinaire : à fin 2012, selon le ministère de la Communication, plus de 320 titres de presse, 129 quotidiens, 30 hebdos, 62 mensuels, près ou plus de 6 000 journalistes (contre un peu plus de 1 500 en 1988 et plus de 4 000 en 2008), 55 stations de radio dont une cinquantaine de radios locales, la communication électronique par Internet totalement libre (pour l'instant)... mais, hélas, toujours avec une seule entreprise de télévision se déclinant, seul changement, en cinq programmes dont les contenus se recoupent largement. On nous promet et on attend une ouverture du champ audiovisuel... mais, cela est en train de se faire très lentement, trop lentement, avec trop d'hésitations, tant il est vrai que le champ a toujours été le dernier carré dont les pouvoirs, d'ici et d'ailleurs, n'arrivent pas à s'en dessaisir facilement. Il n'y a qu'à voir le retour en force des Etats (tous sans exception) qui créent (parallèlement à l'expansion des télés privées, commerciales qui foisonnent) des télés satellitaires paraétatiques ou franchement étatiques en plusieurs langues... plus propagandistes qu'informatives. Internet ou pas Internet, ce n'est pas demain la veille que les pouvoirs vont se guérir de la “télévisionite aiguë". Le grand drame du moment, c'est l'absence quasi totale, pour ne pas dire totale, de toute organisation représentant et représentative des journalistes, d'une part, et des propriétaires (ou éditeurs), qu'ils soient publics ou privés, d'autre part. Voilà qui, objectivement, rend très difficile toute tentative d'entreprendre une régulation à quelque niveau que ce soit. Voilà qui freine fortement toute application (rapide, en tout cas dans des délais assez brefs, ou déterminés) des textes déjà adoptés. Voilà qui va faciliter la continuation de l'état actuel des choses avec des vides favorisant l'inorganisation, sinon l'anarchie, le favoritisme (en publicité par exemple) et l'informel, la lutte (pour les publics, pour la pub...) entre éditeurs dans le cadre d'une concurrence qui devient sauvage et irrespectueuse du minimum des règles universelles et nationales d'éthique et de déontologie, de transparence dans “la valse des sous", l'exploitation professionnelle des journalistes, tout particulièrement les tout nouveaux arrivés sur le marché, l'absence de formation continue... Un tableau bien sombre qui ne manquera pas de nuire à toute la crédibilité chèrement acquise... puis chèrement payée durant les années 1990. À qui la faute ? Aux éditeurs ? En partie, car ils n'ont pas donné le bon exemple, surtout les aînés qui ont permis le démarrage de la nouvelle presse au début des années 1990. Pris dans le maëlstrom des “jeux", pour la plupart malsains, de la politique et de l'argent, ils ont assez vite oublié les ressorts et les principes de l'“aventure intellectuelle". Leurs noms, déjà inscrits en lettres d'or dans des ouvrages et, désormais, dans bien des thèses de recherche universitaire, commencent à s'“effacer" des pages et des mémoires. Aujourd'hui, il n'y a plus de dichotomie arabophones-francophones mais bien plutôt une séparation plus commerçante et plus politicienne qu'idéologique ou linguistique. Aux journalistes ? En bonne partie, car ils sont peu à peu tombés dans le piège des promesses, des tentations, et des amitiés “douteuses" qui ont éparpillé leur bonne volonté du départ, facilité les manipulations de tous genres et rendu “illisible" le paysage syndical des journalistes. Même l'Ugta a échoué dans ses tentatives d'apporter sa pierre à l'édifice. Qu'il est loin le temps du MJA et même de l'AJA alors menée par Aziouez Mokhtari ! Il y a bien quelques associations régionales de journalistes, mais la plupart d'entre elles subissent le contrecoup de l'inorganisation au niveau des rédactions centrales ainsi que les “jeux" des lobbies administratifs ou affairistes locaux. À l'Etat ? En assez bonne partie... pour avoir... par excès de recherche de “participation", rarement appliqué les textes de loi existants, attendant l'accord de tous pour ne pas être accusé, par Rsf and Co, d'interventionnisme, et de frein à la liberté de la presse. En oubliant que le plus gros (du mal) avait été fait avec la suppression du Csi né de la loi d'avril 90, et que la loi de janvier 2012 — un test ni liberticide ni libéral, mais seulement “fait sur mesure", donc compréhensible et applicable (!) par seulement ceux qui l'ont conçu — n'a fait que compliquer le processus de “réformes politiques" dans le secteur... en attendant les autres procédures “complexes" de la future loi sur l'audiovisuel. Ainsi, on a créé des autorités (éthique, presse écrite) et des conseils (carte) nécessitant une participation de journalistes et d'éditeurs élus. Bien, bien ! Mais comment, par qui, avec qui ? Un sac de nœuds. Qui s'ajoute à bien d'autres sacs que le pays a déjà accumulés. B. H.-D. (*) Professeur associé à l'ENSJ/SI de Ben Aknoun, Alger [email protected] Nom Adresse email