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Conférence de presse Messahel-Lamamra
Décryptage d'une communication sans Bouteflika
Publié dans Liberté le 29 - 12 - 2013

Depuis leur instauration en septembre dernier, les points de presse mixtes, ministère de la Communication-ministère des Affaires étrangères, attirent indéniablement une foule de journalistes. Si la forme laisse à désirer, le fond n'est pas toujours présent. Décryptage.
Quand on passe d'un gouvernement qui sous-communique à un autre qui sur-communique, il y a forcément du déchet en route. L'Exécutif Sellal est en train de faire son apprentissage de la communication institutionnelle au pas de charge car l'impératif du message essentiel est à inscrire strictement dans la présidentielle de 2014. Le Président avait vampirisé le message de l'Etat depuis quinze ans, souvent avec réussite au regard de son sens de la répartie, mais son absence du terrain de la communication a créé un vide tel que les ministres sont appelés à la rescousse du message présidentiel. Chargés de le distiller jusqu'à en faire trop ou pas assez.
Hier à Djenane El-Mithaq, le duo Messahel-Lamamra a donné rendez-vous, comme à son habitude, à la presse nationale et internationale. Si, d'apparence, l'exercice semble rodé, le format de la conférence de presse et son organisation brouillent les messages du gouvernement.
Un décorum en naphtaline
À la question : "Comment faire du Bouteflika sans Bouteflika ?", chacun a sa méthode. Celle du duo inattendu Messahel-Lamamra est la plus récurrente. Le tout est de savoir si elle est efficace. Dans la salle du 7e étage de la résidence Djenane El-Mithaq, décor suranné qui semble figé aux années 1970, les deux ministres se tiennent debout devant leur pupitre. On devine qu'ils sont là, car on ne voit leur visage qu'à moitié, complétement "mangés" par les dizaines de micros qui les dissimulent. Le "syndrome Al-Jazeera" a encore frappé. Leurs micros avec logos géants étaient tellement omniprésents que l'orateur disparaît derrière la douzaine de micros des chaînes de télévision. À l'écran, le rendu est horrible. Les médias arabes abusent des conférences de presse, depuis la guerre en Irak, pour avoir leur visibilité à travers les logos. C'est un jeu qui est également pratiqué par les nouvelles TV privées algériennes. Ils mettent davantage en valeur la présence sur les lieux de la chaîne en question que la vedette elle-même. C'est-à-dire le ministre orateur. C'est de l'autopromotion gratuite que l'événement (conférence Messahel-Lamamra) leur permet. Ils devraient payer pour une publicité pareille. Ça tombe bien, le ministre de la Communication va parler de publicité ce matin au même endroit. À Victor Hugo, à qui on demandait pourquoi il soignait toujours les formes, le romancier français répondait : "La forme, c'est le fond qui remonte à la surface." Dans la salle, le message, qui n'est plus subliminal et qui est devenu un exercice de style entre ministres du gouvernement, est de parler en bien du président Bouteflika. Jusqu'au zèle, comme Saâdani.
Bouteflika, dé-portraitisé
Déjà sur la forme, le portrait de Bouteflika est absent du cadre (de la caméra et donc, de l'image). Il y en avait deux, à l'extrémité de chaque mur de la tapisserie bleue qui fait office d'arrière-plan. Mais on ne les verra pas à la TV.
Il est tout de même logique que deux des ministres les plus importants de l'Exécutif, rivalisant sur la phrase la plus flatteuse à l'égard du grand boss (la palme d'hier revient incontestablement à Lamamra qui a réussi à placer : "Nous sommes tous les deux issus de la grande académie diplomatique de Son Excellence Bouteflika." Victoire par KO). Mais, il est tout à fait paradoxal qu'ils le fassent avec, chacun de son côté, un portrait de Bouteflika, sans qu'on puisse le voir ! Est-ce que le Président fait un dédoublement de personnalité ? Pourquoi deux portraits ? Est-ce que chaque ministre a sa propre vision du président de la République ?
En tout cas, il n'aurait pas été scandaleux de mettre le portrait de Bouteflika au-dessus de leur tête, bien visible à l'image, du moment qu'il trône sur tous les murs des institutions de la République.
Si on peut s'éterniser sur les questions de forme — la symbolique de la République est dans les détails —, que dire du fond ?
Le ministre de la Communication, Abdelkader Messahel, qui se plaît à répéter, quand il était diplomate, qu'il avait commencé journaliste, se retrouve, par la force des choses, otage du format de la conférence de presse. Voilà un homme qui a une mission de "porte-parolat" sans en avoir les attributs. Il doit également "encadrer" le message de l'Algérie vers l'extérieur, ou la prochaine présidentielle est compliquée à vendre, avec un MAE qui traverse une sorte d'état de grâce médiatique, puisque tous les journalistes adorent Lamamra sans qu'on sache pourquoi. D'ailleurs, l'un d'eux (un collègue de Djazaïr News, pour ne pas le citer, l'a carrément comparé à Mohamed Seddik Benyahia !), alors qu'un autre, poussant le bouchon encore plus loin, l'a propulsé comme "le candidat caché" en cas où Bouteflika ne se représenterait pas. Il va sans dire qu'autant la première comparaison peut faire plaisir à un énarque, sorti du moule d'Ouyahia ou de Attaf, autant la seconde est suicidaire pour toute carrière de diplomate à court terme.
"Encore une question..."
Et c'est cette communication bicéphale qui est servie à des journalistes dont le nombre ne cesse d'augmenter. Car dans la conjoncture politique que nous traversons, le pouvoir semble avoir besoin de cette presse aussi turbulente qu'indisciplinée et, disons-le, qui s'amateurise. Car il fallait supporter les questions de quelques confrères, dont certains jeunes, trop jeunes pour les lancer dans le grand bain de la dialectique avec des ministres rompus à la diplomatie. Tout y est passé : encore et toujours la polémique avec Hollande (close pourtant des deux côtés !), les émeutes de Ghardaïa. Notre position face aux Frères musulmans égyptiens ! Pourquoi on n'est pas invité à Genève II sur l'Iran ?!! Les postes à pourvoir dans la Fonction publique.
Pourquoi vous ne nous donnez pas la publicité ? Ou le meilleur, celui du journal El-Diar (pluriel de dar-maison, explique sérieusement le journaliste à Messahel qui n'a jamais dû en entendre parler), qui se plaint que son équipe se fasse tabasser par la police lors d'un sit-in des familles de disparus. Car, au-delà du fait qu'avec un nom immobilier pour un journal également porté disparu, il aurait été plus facile à Messahel de renvoyer le journaliste vers le ministre de l'Habitat, Tebboune, c'est toute la problématique des journaux inconnus au bataillon, et que le ministère de la Communication se sent obligé d'inviter. 159 journaux existent actuellement. Souvent aux noms imprononçables et au tirage confidentiel. Si jamais chacun d'eux s'amuse à couvrir l'évènement et à ramener un photographe, bientôt ces conférences mixtes se tiendront à la coupole du 5-Juillet. Car il faut être raisonnable, même dans la communication de masse à laquelle s'essayent les institutions, il y a des normes, des limites et des standards. On ne réinvente pas le genre. Une conférence de presse de ce calibre ne doit pas être un fourre-tout chaotique sous prétexte de la diversité médiatico-démocratique.
En plus, le traitement "égalitaire" de la presse n'existe plus du moment que les quotidiens, les radios, les TV, les sites Internet et les blogs d'information ont des impératifs de diffusion du message différents et souvent des temps de réactions antagonistes. Et en plus, cette conférence de presse élastique dure, dure, dure dans le temps. Tous les communicants savent qu'au-delà de 20/30 mn, le journaliste se lasse et le téléspectateur s'endort. Alors, pourquoi s'infliger une telle punition ? Mais le plus crucial demeure le contenu politique. Au-delà de ressasser nos positions diplomatiques que tout un chacun ne peut ignorer et qui obligent le MAE à user d'une langue de bois fantastique, au-delà de la corvée pour Messahel qui consiste à suppléer ses collègues ministres sur des questions techniques dont il ne peut détenir, à lui seul, la réponse, il y a toutes les lacunes de la sur-communication actuelle qui sont étalées.
Car, rappelons-le, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, autre découverte en matière de communication personnelle, a parlé, il y a juste deux jours à Guelma. Pour dire également tout le bien qu'il pensait du président Bouteflika. Car là est le propos. Ne pouvant le faire lui-même, le président Bouteflika laisse faire des communicants orphelins de son verbe. Et ça va durer.
M. B.
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