Dans cet entretien,l'auteur de "Histoire secrète du pétrole algérien" revient sur les événements qui agitent actuellement la scène politique, notamment les divisions au sein de l'armée, l'élection présidentielle et les enjeux qu'elle sous-tend. Et de finir par des prévisions pessimistes sur l'Algérie de l'après-pétrole qui "retombera dans une misère effroyable". Liberté : Monsieur Malti, vous avez interpellé le patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le général de corps d'armée Mohamed Mediène, dit Toufik, au sujet de l'affaire Sonatrach II. Pouvez-vous revenir sur votre initiative qui, en son temps, avait défrayé la chronique médiatique ? Hocine Malti : C'est en janvier 2010 que je m'étais déjà adressé aux enquêteurs du DRS et je leur avais signalé quatre pistes à explorer : les contrats Saipem, SNC Lavalin, Orascom et les ventes de pétrole. Trois ans plus tard, j'ai interpellé leur patron, le général Mohamed Toufik Médiène, à ce propos également. Force est de constater qu'en 2014, soit quatre ans plus tard, tous ces dossiers sont figés ; la justice algérienne n'a pas avancé d'un iota. Si les Italiens et les Canadiens n'avaient pas dévoilé en 2013 certaines magouilles et cité des personnes, dont notamment Chakib Khelil et Farid Bedjaoui, on n'en aurait rien su. Je suis convaincu qu'il n'y a rien à attendre de la justice algérienne qui va s'arranger pour étouffer toutes ces affaires d'une manière ou d'une autre. La raison ? Autrefois, c'était le général Larbi Belkheïr qui était le parrain en chef pour tous ces gros contrats, pour les très grosses commissions. Aujourd'hui, c'est Saïd Bouteflika qui est le chef d'orchestre de la grande corruption. Pourquoi avoir choisi d'interpeller Toufik, que vous avez qualifié de "Rebb Dzayer" ? Si j'ai interpellé Toufik, c'est parce que c'est lui le patron de ceux qui enquêtaient ; j'ai voulu lui dire qu'il fallait qu'il secoue ses enquêteurs qui n'avaient pas fait leur boulot correctement, puisque trois années après ma première lettre, c'est le parquet de Milan qui m'a donné raison et qui a révélé les 200 millions d'euros versés par Saipem à Farid Bedjaoui avec la complicité de Chakib Khelil et pas le parquet d'Alger qui, au contraire, cherche à tout étouffer. On a assisté récemment à une guerre des tranchées entre le clan présidentiel et le DRS. Quelle analyse faites-vous de ces affrontements claniques par personnalités interposées ? Le remodelage de certaines structures de l'armée a exacerbé les tensions. Cela s'est manifesté par le rattachement de certaines directions du DRS à l'état-major et le limogeage de plusieurs généraux réputés proches de Toufik, patron des services de renseignements. Or, cette version des faits ne correspond pas à la réalité. La vérité est que ce sont les services américains et britanniques qui ont voulu un tel nettoyage dans les rangs de l'armée. L'attaque de Saâdani contre Toufik a poussé ce dernier à réagir par le biais de trois personnages qui ont couru à son secours : le général à la retraite Hocine Benhabib qui s'est attaqué au chef de l'état-major, Aboud Hichem qui a descendu en flammes Saïd Bouteflika et le Dr Mesbah qui a tenté de blanchir le DRS, allant jusqu'à lui trouver une volonté d'instaurer une société démocratique. Parallèlement, le DRS a maintenu la pression sur le chef de l'Etat au sujet d'un éventuel soutien pour un 4e mandat. Ce qui a fait que, miracle à l'algérienne, les affrontements ont cessé et, quelque temps après, Bouteflika a annoncé sa candidature à sa propre succession. Justement, pensez-vous que la candidature du président de la République pour sa propre succession à l'occasion du scrutin présidentiel du 17 avril a été le résultat d'un consensus au sommet de l'Etat ? Sinon, pourquoi subitement, les affrontements médiatiques, d'une rare violence faut-il le souligner, se sont arrêtés, sitôt la candidature de Bouteflika formalisée ? À la vérité, la fracture au sein de l'armée est profonde et le cessez-le-feu n'est que temporaire. Ma conviction est que les affrontements vont reprendre à l'occasion notamment de la désignation du vice-président, après l'amendement de la Constitution. Donc, selon vous, la guerre des clans va reprendre de plus belle, après la présidentielle. Comment appréhendez-vous la prochaine mandature ? L'alternative tout aussi détestable qui nous attend est que les deux clans s'entendent sur un partage du pouvoir et de la rente afin de faire perdurer le système en place depuis 1962. Il faut espérer que ce qui nous attend ne sera pas une nouvelle guerre civile. Car, de mon point de vue, un affrontement entre les deux clans de l'armée présenterait les prémices d'une situation à la libyenne ou à la syrienne. Pour le moment, avec le 4e mandat, l'Algérie est repartie pour une nouvelle période de glaciation à la Brejnev ; période qui, pour 4 ou 5 ans, selon la volonté divine, sera dirigée par un homme incapable de parler, incapable de se mouvoir, incapable de voyager, incapable de participer à des forums internationaux. En un mot, un homme incapable d'accomplir toutes les tâches qui relèvent de la charge du président de la République et dont les capacités de réflexion sont probablement affectées. Pour rester dans le contexte électoral, quel bilan faites-vous des quinze ans de règne de Bouteflika ? Bilan plus que catastrophique, c'est un désastre. Et pourtant, jamais les prix du pétrole n'ont été aussi élevés ; quasiment tout le temps entre 100 et 140 $ le baril. Du jamais vu jusque-là ! Une pluviométrie excellente comme l'Algérie n'en a jamais connue. Qu'a-t-il fait ? Un niveau de corruption jamais atteint, son extension à toutes les couches de la société, tant et si bien que cela a entraîné un changement des mentalités. Le peuple algérien, en général, et la jeunesse, en particulier, ont été gangrenés ; tout le monde pense que sans entregent (maârifa), on ne peut rien faire et chacun négocie le pouvoir qu'il détient ; celui qui a le pouvoir d'attribuer un permis de construire ou un logement va le négocier à plusieurs dizaines de milliers de dinars, le petit employé de mairie négocie l'extrait de naissance qu'il délivre à 500 ou 1 000 DA et ceux qui attribuent les permis de recherches pétrolières – donc les gens du pouvoir à l'origine du phénomène de corruption – vont négocier cela à plusieurs centaines de millions de dollars. Ils ont réussi à entraîner tout le monde dans cette spirale mafieuse, ce qui les arrange parfaitement. À partir du moment où tout le monde est corrompu, on ne peut donc pas leur demander des comptes. Il faudra hélas au moins le temps d'une génération pour que disparaisse ce phénomène et que le peuple se remette à croire en son avenir. Que dire d'autre du bilan de Bouteflika ? Qu'a-t-il fait sur le terrain de ces milliards de dollars accumulés durant ces quinze années ? Rembourser la dette, pour ensuite accumuler des dollars dans les banques américaines, un argent qui dort, qui sert l'économie américaine et non pas l'algérienne, comme je l'ai dit durant la conférence donnée à Montréal. Il a fait construire une autoroute Est-Ouest par des Chinois corrompus et corrupteurs avec un prix annoncé au départ de l'ordre de 5 à 6 milliards de dollars et qui va se terminer aux alentours de 14 à 15 milliards de dollars. Pourquoi ? En raison des milliards de dollars de commissions versés à Ghoul et compagnie ; la presse en parle tous les jours. On pourrait écrire des livres sur l'inaptitude de Bouteflika d'assumer la tâche de président de la République. Le peuple algérien ne l'intéresse pas, l'Algérie non plus, seule sa personne compte. Dans votre dernier essai, "Histoire secrète du pétrole algérien", dans lequel vous décrivez l'Algérie comme "un pays malade de ses dirigeants", vous êtes arrivé à la conclusion que l'Algérie est gangrenée par la "maladie hollandaise". Pouvez-vous être plus explicite ? J'ai expliqué dans mon essai Histoire secrète du pétrole algérien que la maladie hollandaise était le fait que l'économie du pays soit dépendante d'un seul produit, en l'occurrence le pétrole dans le cas de l'Algérie. Le marché algérien, les devantures à Alger regorgent de marchandises en tous genres, l'utile, le superflu, le cher, le bon marché ; on trouve de tout. Mais rien n'est produit en Algérie, tout vient de l'étranger. On a affaire à un immense bazar, dans lequel on ne fait qu'acheter et vendre des produits fabriqués ailleurs. L'Algérie ne vit que de son pétrole. Guérir le pays de cette maladie c'est inciter les Algériens à utiliser d'une autre manière cette manne que Dieu leur a donnée. Mais le régime algérien n'a pas cette qualité ; il ne croit pas en le génie du peuple, il ne veut pas que ce peuple s'émancipe. Et puis, tant que l'on importe tout, il y aura toujours des commissions, et en devises qui plus est. Comment voyez-vous l'Algérie de l'après-pétrole ? Que se passera-t-il quand il n'y aura plus de pétrole ? Si l'on ne prend pas des mesures dans les délais les plus courts, car l'après-pétrole c'est demain, le pays retombera dans une misère effroyable. Evidemment, les gens du pouvoir ne seront pas concernés, car avec les milliards de dollars qu'ils ont détournés, ils ont assuré leur survie et celle de leur descendance. Ils quitteront ce peuple de miséreux pour aller vivre en Europe, en Amérique ou à Abou Dhabi. J'aimerais bien me tromper, mais je crois que, malheureusement, c'est ce qui nous attend. Y. A Nom Adresse email